« Je préfère mourir que de retourner au Cameroun »
La fin du PEQ « désastreux » pour des familles de la région
Le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) a pris fin le 19 novembre 2025 et il n’est plus possible de présenter une demande dans les deux volets de ce programme. Ce programme s’adressait aux travailleurs étrangers temporaires ou aux étudiants étrangers diplômés du Québec. Edith Nadège Tchakounte fait partie de ces gens qui craignent maintenant de devoir quitter le Québec.
Mariée et mère de quatre enfants dont deux universitaires, la Camerounaise a toujours perçu la Belle Province comme une terre d’opportunités. La perspective d’un nouveau départ rempli de promesses l’a attiré ici. « J’ai toujours eu envie de partir mais je me demandais bien où aller et c’est là que le Québec m’est apparu : on y parle français, on recherche des travailleurs dans plein de domaines. Rendu là, je ne vivais que pour le Québec. On a tout vendu pour faire le transfert jusqu'ici », exprime Mme Tchakounte, émotive.
La préposée au bénéficiaire habite sur l’ile de Montréal avec le reste de sa famille, mais elle occupe un petit logement près de Salaberry-de-Valleyfield les jours où elle travaille. Avec son maigre revenu, elle peine à joindre les deux bouts mais elle évite à tout prix de se plaindre par peur qu’on la retourne au Cameroun.
« On a besoin de personne comme elle, c’est pas comme si on avait trop de préposés aux bénéficiaires dans ce réseau actuellement instable », témoigne Francine St-Denis, directrice générale de Reseaux qui accompagne les personnes immigrantes dans leurs démarches d’inclusion, dont Mme Tchakounte.
Même les collègues de celle-ci désirent qu’elle reste, soulignant le manque criant de main-d'œuvre dans leur domaine.
« Je suis tout le temps stressée et pourtant on fait tout pour rester en règle, je fais attention à ce que je fais tout le temps », explique Edith Nadege qui attend le renouvellement de son permis de travail. Elle possède néanmoins l’autorisation de travailler pendant l’attente.
Survivre à cette épreuve
Depuis son arrivée au Canada, Edith Nadège Tchakounte affirme n’avoir jamais réellement connu de répit. Venue chercher stabilité et sécurité, elle et sa famille se retrouvent plutôt en mode survie. Ce bouleversement majeur dans leur quotidien s’est accompagné de sacrifices monétaires importants.
Les couts des sessions universitaires de ses deux ainées en font partie : « Les frais pour les étudiants étrangers sont très importants, mais on travaille tous très fort et on a fait le nécessaire pour que ça fonctionne […] ils sont premiers de classe, maintenant qu’ils sont bien établis, ce serait dommage de tout recommencer à zéro », indique Mme Tchakounte.
Cette dernière avoue qu’elle a eu des moments d’hésitation et qu’elle s’est demandé à de nombreuses reprises si elle et son mari avaient pris la bonne décision en déplaçant leur vie. Selon elle, l’avenir de ses enfants était hypothéqué en Afrique.
« Quand on quitte l’Afrique, les gens de notre entourage ont l’impression qu’on a réussi, je ne peux pas revenir. Je ferais trop de peine à ma mère et je ne me le pardonnerai pas. Je préfère mourir que de retourner au Cameroun.
Briser le rêve de l’immigration
« Le téléphone sonne beaucoup chez nous, les gens veulent savoir comment on peut les accompagner maintenant que le PEQ n’existe plus. On les dirige vers le Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ), mais la démarche est complètement différente, il faut bien plus de points », explique Mme St-Denis, qui estime maintenant qu’il s’agit de la seule véritable voie de passage vers la citoyenneté québécoise.
Le système de points s’appuie sur de nombreux facteurs qui déterminent, pour le gouvernement du Québec, si une personne immigrante a un profil assez intéressant pour demeurer dans la province. On juge entre autres la maitrise de la langue française autant à l’oral qu’à l’écrit, on s’appuie aussi sur le niveau d’éducation et sur l’âge de la personne, car plus on est jeune, plus notre dossier a des chances de retenir l’attention.
Ainsi, plus un immigrant obtient de bons résultats dans ces catégories, plus il marque de points et mieux ses chances d’être invité à déposer une demande de sélection permanente dans le cadre du PSTQ.
« J’ai entendu dire qu’ils commençaient à rappeler des gens avec un peu plus de 700 points, comment je vais faire moi ? [...] Beaucoup de choses ne vont pas en ma faveur dans ce système », souligne Mme Tchakounte sans cacher l’émotion dans sa voix. Malgré d’excellents résultats à l’examen de français, elle ne compile qu’un peu plus de 450 points. Elle a 45 ans.
« Les décideurs doivent arrêter de penser qu’on est que des dossiers, nous sommes des humains après tout », s’exclame Edith Nadège.
Même si, pour le moment, Néomédia n’a pu s’entretenir qu’avec elle, son cas n’est pas isolé dans Vaudreuil-Soulanges ou dans Beauharnois-Salaberry. Francine St-Denis indique qu’elle traite de plus en plus de dossiers comme celui-ci depuis la fin du PEQ : « On ramasse des gens en larmes tellement leur déception est grande. Plusieurs sont démunis face à la tournure des événements. »

