« Rien ne sert une liberté d’expression si une personne a peur de s’exprimer » -Philippe-Audrey Larrue Saint-Jacques
Censure : Philippe-Audrey Larrue Saint-Jacques réagit à la suspension de Jimmy Kimmel
Aux États-Unis, le réseau ABC a suspendu indéfiniment Jimmy Kimmel Live! après des propos tenus le 15 septembre par l’animateur concernant l’assassinat du commentateur conservateur Charlie Kirk. Plusieurs observateurs dénoncent cette décision comme une atteinte à la liberté d’expression.
Lors d’une entrevue avec Néomédia, l’humoriste Philippe-Audrey Larrue Saint-Jacques a exprimé son inquiétude face à cette mesure.
« Pour répondre simplement, ça me fait peur. L’autre raison pour laquelle ça me fait peur, c’est qu’il y a une semaine environ, Charlie Kirk a été exécuté publiquement pour les idées qu'il propageait », confie-t-il.
Il précise ne pas partager les propos de Kirk, mais considère que sa mort constitue aussi une grave atteinte à la liberté d’expression.
« Pour être clair, c’est une personne avec qui je n’étais pas en accord et qui propageait des idées auxquelles je m’oppose totalement. Cependant, le principe même des États-Unis repose sur la liberté d’expression. Cela ne signifie pas seulement être capable de dire ce que l’on pense, mais aussi de se sentir en sécurité lorsqu'on s’exprime. Rien ne sert une liberté d’expression si une personne a peur de s’exprimer. »
L’humour, un contre-pouvoir pour le peuple
L’humoriste rappelle également la situation vécue par Stephen Colbert, qui anime The Late Show With Stephen Colbert depuis 2015. Le 17 juillet dernier, Colbert annonçait que son émission ne reviendrait pas en ondes.
Selon lui, l’humour exerce un rôle de contre-pouvoir essentiel dans une société. « Dans une société démocratique, il y a des mécanismes qui permettent aux gens qui ne sont pas en position de pouvoir de s’y attaquer, et l’humour en fait partie. »
Il souligne que les deux animateurs représentaient parfaitement ce contre-pouvoir. « Autant Colbert que Kimmel s’attaquaient directement au pouvoir et le critiquaient ouvertement », affirme-t-il.
Larrue Saint-Jacques soutient qu’une blague ne devrait jamais être perçue comme une menace. « Normalement, une blague n’est pas dangereuse, ça demeure simplement une blague. Au pire, elle peut blesser ou choquer, mais ce n’est pas dangereux. De s’attaquer à ça, c’est plus dangereux que de laisser une mauvaise blague circuler. »
« Shame on you America! »
La suspension de Jimmy Kimmel Live! a également fait réagir le milieu de l’humour au Québec, notamment Mike Ward, qui a publié sur sa page Facebook une critique acerbe de ce qu’il considère comme une régression inquiétante de la liberté d’expression aux États-Unis :
« Vous étiez LE symbole mondial de la liberté d’expression. Maintenant, vous êtes devenu une pâle copie de la grande nation que vous étiez. Shame on you America! » -Mike Ward
Ce point de vue est partagé par Larrue Saint-Jacques, qui y voit une contradiction dans le discours public. « Il y a une hypocrisie là-dedans. Non seulement ils instrumentalisent la mort de Charlie Kirk, mais en plus, ils critiquent la communauté “woke” pour tenter de les "cancel". »
Il dénonce également le rôle joué par certains humoristes et animateurs de podcasts américains comme Joe Rogan qui, selon lui, ont utilisé leur liberté d’expression pour influencer les dernières élections.
« Ce gars-là a assurément joué un rôle lors des dernières élections. Il est défenseur de la liberté d’expression, il est pour la liberté absolue d’expression, c’est pour ça qu’il a un podcast. Cependant, en quoi c’est cohérent maintenant de continuer de supporter le gars qu’il a aidé à faire élire en l’invitant à son podcast, en lui donnant une plateforme, tout en étant extrêmement complaisant avec lui… Où sont ses principes ? C’est pour cette raison que j’en veux beaucoup à des gens comme lui. »
L’humoriste estime par ailleurs que ses pairs devraient tous dénoncer la décision du réseau ABC. « T’as le droit de ne pas trouver Kimmel ou Colbert drôles, de ne pas être en accord avec ce qu’ils disent, mais si t’es un humoriste qui prône la liberté d’expression, tu n’as pas le choix d’être outré par le fait qu’un collègue se fait retirer des ondes pour avoir utilisé sa liberté d’expression. C’est dans ce sens que je trouve ça très désespérant. »
Rassuré malgré tout
Questionné sur l’avenir de l’humour face à cette situation, Philippe-Audrey Larrue Saint-Jacques demeure optimiste. Selon lui, il ne s’agit pas de la fin de l’humour, mais plutôt du début d’une nouvelle phase.
« Ce qui me rassure par rapport aux humoristes, c’est que l’humour reste un art de contre-culture. Son essence est basée et nourrie par une contre-culture, des gens en marge de la société, qui l’observent, la critiquent et la ridiculisent. »
Il rappelle que les périodes de censure ne sont pas nouvelles. « Ça a existé aux États-Unis avec le maccarthysme, des moments de censure au nom de la bien-pensance, et le pays s’en est remis. J’ai confiance que l’humour va être capable de récupérer et de se remettre de ça. »
Il cite notamment l’humoriste Lenny Bruce, figure marquante née dans un contexte de répression. Il estime qu’à long terme, un certain positivisme pourrait émerger, même si la situation actuelle traduit selon lui un recul.
« Y’a rien de pire comme stratégie que de provoquer des humoristes »
Philippe-Audrey estime que la démarche actuelle aux États-Unis pourrait avoir l’effet totalement inverse. « Je pense qu’il va y avoir une réaction. Pour des personnes qui n’aiment pas faire rire d’eux, il n’y a rien de pire comme stratégie que de provoquer des humoristes. C’est de loin la pire chose à faire. C’est impossible que les humoristes se laissent faire. »
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