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Le mariage de Catherine Trestler – 19 mars 1809

durée 18h00
8 juin 2025
duréeTemps de lecture 10 minutes
Par
Centre d'Archives de Vaudreuil-Soulanges

Figure féminine renommée associée à la maison Trestler de Vaudreuil-Dorion, Catherine Trestler agrémente de manière insolite la chronique historique de Vaudreuil-Soulanges depuis plus de 40 ans. On rapporte qu’elle s’est mariée contre la volonté de son père, qu’elle fut déshéritée et que son fantôme revient occasionnellement, par vengeance, hanter la maison Trestler de ses plaintes contre l’injustice paternelle. C’est son mariage toutefois qui constitue l’évènement le plus étonnant de sa vie.

Dans la nuit ou dans la soirée du 19 mars 1809, Jean-Baptiste Deguire, curé de la paroisse Saint-Michel de Vaudreuil, bénit le mariage de Catherine Trestler, âgée de 16 ans et 5 mois, et Lazarus Hays, âgé de 24 ans, en présence des témoins Jean-Baptiste Lefaivre et Samuel Dumas ; le père de Catherine consentant à son mariage.

Après avoir inscrit le mariage au registre de la paroisse, conservé au Centre d’archives de Vaudreuil-Soulanges, le curé, plutôt distrait, inscrit en ce même 19 mars le baptême de Joseph Eléazard Hayst, l’époux de Catherine. Il est baptisé parce qu’il n’était pas catholique, étant juif de nation et de religion. Son parrain est Samuel Dumas et sa marraine, Marie-Amable Génus. Les parents montréalais de Lazarus sont mentionnés, mais absents à son baptême et à son mariage.

Sur Catherine Trestler

Née le 20 mai 1792, Catherine est baptisée le lendemain par le curé Deguire. Son père, Johann Joseph Tröestler, originaire de Mannheim (Palatinat-Allemagne), avait joint, en 1776, le corps mercenaire des chasseurs de Hesse-Hanau pour aller combattre les insurgés des colonies britanniques de l’Amérique du Nord en guerre contre la Grande-Bretagne du roi George III.

Le 21 novembre 1785, Trestler épouse à Montréal Marguerite Noël dite Charlan, âgée de 15 ans et sept mois. Leur contrat de mariage de la veille stipule qu’ils seront communs en biens selon les articles de la coutume en ce pays. Ce contrat comprend une clause de donation mutuelle de tous les biens qui appartiendront au premier mourant et, si des enfants sont issus du couple, la donation prendra aussi effet en leur faveur. Le couple s’installe dans la seigneurie de Vaudreuil en 1786 près du domaine du seigneur Chartier de Lotbinière.

Catherine n’a pas encore deux ans quand sa mère meurt subitement à Vaudreuil, le 23 octobre 1793, sans autres droits pour elle que ceux déterminés par la coutume et le contrat de mariage de novembre 1785. Catherine est protégée pour les droits qu’elle possède sur les biens de la communauté qui existait entre sa mère décédée et son père survivant, lequel pense déjà à se remarier.

Trestler est élu tuteur de ses quatre filles le 14 février 1794 ; Jean-Baptiste Dassylva, un grand-oncle, est élu subrogé-tuteur, lequel doit veiller à ce que leurs biens soient protégés contre les abus ou illégalités que pourraient commettre le père tuteur. Ainsi, le droit de Catherine à un juste héritage doit être respecté qui lui serait versé à l’âge de sa majorité ou avant si son père l’émancipe. À cette époque, la majorité n’est atteinte qu’à l’âge de 21 ans. Comme Catherine est né en mai 1792, elle n’atteindra donc sa majorité qu’en mai 1813. Un mariage peut cependant l’émanciper de la tutelle de son père.

Trestler fait procéder les 18 et 19 février 1794 à l’inventaire des biens de sa communauté avec sa première épouse. La somme due à Catherine est évaluée à 7 870 livres. Selon les lois en vigueur au Bas-Canada, Trestler ne pouvait priver sa fille Catherine, tout comme sa fille Madeleine, des biens issus de la succession de leur mère. Il va régler avec sa fille Madeleine le 10 octobre 1810 ; elle est majeure depuis deux semaines et a épousé Patrice Adhémar le lundi 1er octobre précédent. Il a cependant retardé le versement de la somme due à Catherine. À la suite d’un procès intenté contre lui en 1810, une entente finale réglant la succession est intervenue le 13 mai 1813, le jour anniversaire des 21 ans de Catherine.

Le 23 février 1794, Trestler épouse à Montréal Marie-Anne Curtius. Leur contrat de mariage stipule qu’une partie du patrimoine revient aux héritiers de sa première communauté établie par l’inventaire des 18 et 19 février. Un premier enfant mâle naîtra de leur union en 1798, Jean-Baptiste, lequel sera l’héritier principal avec son frère Joseph-Amable et sa mère. Trestler perd deux de ses quatre filles en février et mars 1794 ; Madeleine et Catherine demeurent ses seules héritières de sa première communauté avec leur mère. Pour l’instant, Trestler ne se préoccupe pas de la succession de ses deux dernières filles, mais plutôt de réussir en affaires.

En somme, les sources sont peu bavardes sur Catherine avant son mariage en 1809. Fréquentait-elle une école au village Saint-Michel de Vaudreuil ? A-t-elle fréquenté un couvent à Montréal ou celui de Pointe-Claire fondé en 1784 ? Elle a sans doute profité des leçons de sa grand-mère maternelle, Marguerite Dassylva, décédée en 1804. Elle parlait assurément anglais et avait aussi probablement acquis quelques notions d’allemand auprès de son père et de sa belle-mère.  Jouait-elle du piano ? Elle a assisté à un mariage en 1807 et signé de sa belle main le registre de la paroisse Saint-Michel de Vaudreuil et au bas du contrat de mariage. Avait-elle des ami(e)s ? Quelles étaient ses relations avec sa sœur aînée Madeleine, née en septembre 1789, sa belle-mère et ses demi-frères ? Son éveil et sa curiosité, ainsi que les ressources et fréquentations dont elle a pu profiter dans une maison où il y avait des livres, des clients, des négociants, lui ont probablement permis dès son jeune âge de développer un certain esprit d’indépendance.

Sur Lazarus Hays

Lazarus Hays est né à Montréal en 1784. Son père, André ou Andrew est un juif originaire des Pays-Bas, né vers 1742, qui a immigré dans la province de Québec en 1763. Orfèvre, marchand de poterie et de porcelaine, il est un membre renommé de la communauté juive de Montréal. Son épouse et mère de Lazarus, Brandele Abigail ou Branny David, est la fille de David David, un trafiquant de fourrures et un important homme d’affaires montréalais.

Le 28 septembre 1798, Samuel David de la rue Saint-Paul à Montréal embauche pour quatre ans Lazarus, âgé de 14 ans, à titre d’apprenti. Samuel est l’oncle de Lazarus, le frère de sa mère, laquelle décédera en 1801. En septembre 1802, Éléazar termine son apprentissage chez son oncle.

Que fait-il entre octobre 1802 et la date de son mariage le 19 mars 1809 ? Travaille-t-il pour son père dans l’orfèvrerie et la vente d’argenterie ? Travaille-il pour son oncle ou d’autres membre de sa famille élargie comme commis ou négociant ? Fréquente-t-il le voisin de son oncle de la rue Saint-Paul, Samuel Dumas, lequel est subrogé tuteur de Catherine et son parrain en 1809 ? Se rend-il à l’occasion dans la seigneurie de Vaudreuil à titre de négociant ? Cinq à six mois avant son mariage, le 19 mars, il demeure dans la paroisse de Saint-Michel de Vaudreuil. Il est donc le premier juif à avoir habité Vaudreuil-Soulanges. Demeure-t-il au village travaillant pour les marchands Forbes ou pour Gerrard, Parker & Ogilvy, propriétaires des magasins de la rue Saint-Michel au village de Vaudreuil, à la suite du marchand Hubert Lacroix des Chenaux ?

Travaille-t-il à titre de commis chez Jean-Joseph Trestler où il aurait séduit sa fille Catherine ? Il aurait eu, entre autres, le droit de manger à la table familiale et ainsi pu faire des yeux doux à Catherine. Or, il n’existe aucun document prouvant son embauche chez Trestler. Ce dernier embauche Daniel Forbes comme commis pour trois ans le 7 mai 1803. Il embauche un professeur d’anglais pour six mois le 12 avril 1806. Antoine Mayer Brodorotti, d’origine allemande, a agi comme commis principal chez Trestler jusqu’à son décès le 6 avril 1808. Le 29 juin 1807, Jacques Franchère est embauché pour trois ans à titre de commis pour tenir un magasin à Rigaud ou à l’endroit où il plaira à Trestler. Le 28 novembre 1808, Trestler embauche Michel Fasche pour un an comme homme à tout faire.

Fuite aux États-Unis

C’est probablement au cours de l’année 1808 qu’à seize ans Catherine est tombée amoureuse de Lazarus Hays, un jeune homme de sept ans son aîné, commis, commerçant et négociant. Le lieu et la date de leur première rencontre sont inconnus. À Montréal, rue Saint Paul ? Dans la seigneurie de Vaudreuil ? Au magasin de Trestler ? Aucun document ne permet de l’établir. 

Les amoureux ont-ils parlé de leur désir de se marier ? Jean-Joseph Trestler, député élu en juin 1808, riche bourgeois, a d’autres vues pour sa fille mineure et s’opposa certainement à un mariage avec Lazarus. La famille Hays et la famille David ne voyait sans doute pas d’un bon œil un tel mariage. À l’automne 1808, Catherine Trestler s’enfuit aux États-Unis avec Lazarus pour l’épouser devant un juge, dont le nom demeure aujourd’hui inconnu. Cette fuite et ce mariage ne sont connus que par une lettre du 12 mars 1809 du curé de Vaudreuil.

Le mariage catholique Trestler-Hays

Il va sans dire que Catherine Trestler n’avait pas, pour se marier aux États-Unis, le consentement de son père et, comme elle est mineure, un tel mariage s’avère nul en regard du droit canon et de la Coutume de Paris. Le mariage étatsunien d’une mineure n’a aucune valeur juridique au Bas-Canada. Il s’agit d’un mariage clandestin et la fuite de Catherine avec son amoureux est considérée comme un rapt de séduction. De retour de l’escapade aux États-Unis, Catherine s’est réfugiée chez des personnes approuvées par le curé Deguire, probablement chez Jean-Baptiste Lefebvre et Marie-Amable Génus, à 600 mètres de l’église.

Les péripéties entourant le mariage catholique de Catherine Trestler et Lazarus Hays débutent donc par leur retour à Vaudreuil. Il est impossible de déterminer à quelle date ils reviennent. Chose certaine, Jean-Joseph Trestler est mis au courant ainsi que le curé Deguire. Il s’agit maintenant de les marier, mais Lazarus est de religion juive. Le 12 mars 1809, le curé Deguire écrit alors à Joseph-Octave Plessis, évêque de Québec, pour expliquer la situation et obtenir les dispenses afin de célébrer le mariage. Il y a urgence, semble-t-il.

Le curé informe Plessis qu’Éléazar (Lazarus), qui réside dans sa paroisse depuis cinq à six mois, est juif de nation et de croyance, qu’il a enlevé Catherine Trestler, l’a épousée devant un magistrat aux États-Unis et a donné copie de leur acte de mariage. Il signale qu’Éléazar reconnaît sa faute et que Catherine demeure dans une maison de sa confiance. Il précise qu’Éléazar désire devenir catholique pour épouser Catherine, mais craint le ressentiment de ses parents. Il ajoute enfin que le prétendant de Catherine désire que le baptême et le mariage lui soient accordés dans le secret et même la nuit, le plus tôt possible. Le curé termine sa lettre en mentionnant que Jean-Joseph Trestler consent au mariage de sa fille Catherine avec Éléazar Hays.

Quatre jours plus tard, le 16 mars, l’évêque Plessis répond au curé de Vaudreuil. Il trouve qu’Éléazar a débuté peu proprement à inspirer confiance dans la conversion qu’il projette. Il pense que son premier but est d’épouser Catherine et non de devenir catholique, mais il laisse entièrement à la prudence du curé Deguire le soin de procéder à l’Instruction d’Éléazar et de lui donner le baptême quand il le trouvera suffisamment préparé. Il précise que, si Éléazar demeure bien dans sa paroisse et se conduit chrétiennement, il pourra plus tard lui faire faire sa première communion. Il ajoute enfin que, comme Catherine est en lieu sûr, soit hors de la portée d’Éléazar considéré comme un ravisseur, le mariage peut se faire aussitôt après son baptême. Sa lettre tient lieu d’une dispense de trois bans et de celle du temps prohibé en cette période pascale.

Le dimanche 19 mars a lieu le mariage secret de Catherine Trestler. Entretemps, le 18 mars, Jean-Joseph Trestler est à Montréal chez le notaire Louis Chaboillez où il dicte son testament par lequel il ne laisse à Catherine que la somme de cinq shillings à déduire des biens de sa communauté avec sa seconde épouse, Marie-Anne Curtius, ne pouvant toucher à l’héritage de Catherine provenant de la succession de la communauté de son père avec sa mère décédée en 1793.

Conclusion

Les entrées du registre de la paroisse Saint-Michel du 19 mars 1809 et la correspondance entre le curé Deguire et l’évêque Plessis remettent en question l’histoire et la légende de Catherine Trestler. Il demeure des zones d’ombre dans sa vie. Mais, elle s’est bien mariée, étant mineure, devant l’église catholique avec le consentement de son père avec un commis, négociant et commerçant juif qui ne travaillait pas pour son père. Son père, peu bienveillant dira-t-on, ne l’a pas déshéritée, mais a plutôt retardé jusqu’à sa majorité le versement de sa part dans la communauté de biens qui lui revenait juridiquement de sa mère.

Il est permis d’affirmer que c’est l’amour et la ténacité qui ont guidé les pas d’Éléazar et de Catherine. Le couple s’installa en 1810 dans une terre de la seigneurie de Vaudreuil près de la moderne montée Levac. Éléazar était marchand et a agi comme paie-maître pendant la guerre de 1812-1814. En 1829, leur domicile se trouve dans la seigneurie de Soulanges dans une terre près du chemin Saint-Antoine.

Plusieurs enfants sont issus de leur union, dont Éléazar, né en 1819, lequel devint notaire et déclara être d’origine juive allemande au recensement de 1871. Éléazar, père, s’éteignit aux Cèdres le 1er mars 1854 ; il fut inhumé sous le côté gauche de l’église des Cèdres, aujourd’hui disparue. Après le décès de son mari, Catherine a demeuré quelques années chez sa fille Phoebe au village des Cèdres et chez son fils David à Saint-Clet. Par testament, le 8 février 1867, elle céda à ses enfants tous les biens qu’elle possédait encore. Elle est décédée le 10 juin 1868 probablement dans la maison de son fils Éléazar, maison située à la sortie Est du village des Cèdres de 1867 ; elle fut aussi inhumée dans le sous-sol de l’église.

Signature de Catherine dans son testament du 8 février 1867

Auteur:  Jean-Luc Brazeau, bénévole

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