« Quand on se fait imposer quelque chose, ça ne fonctionne pas»
Loi 2 : Sylvain Dufresne presse les députés régionaux d’agir
Suite à l’adoption sous bâillon du projet de loi 2, plusieurs spécialistes de la santé craignent ses conséquences, notamment un exode de médecins vers l’Ontario. Dans Vaudreuil-Soulanges, certains jeunes médecins ont déjà quitté la région, tandis que d’autres envisagent de partir.
Pour le Dr Sylvain Dufresne, coordonnateur du guichet d’accès aux médecins de famille (GAMF) à Vaudreuil-Soulanges et président de l’Association des médecins omnipraticiens du Sud-Ouest, l’exode est bien réel et déjà commencé. « Il y a des gens qui ont déjà démissionné dans la région de Vaudreuil-Soulanges, deux jeunes qui sont déjà partis pour l’Ontario. »
Chaque médecin qui quitte équivaut à environ 35 années de services perdues mentionne le Dr Dufresne. « Quand ils sont en préparation pour partir, ils vont me contacter pour m’aviser de leurs intérêts, mais aussi pour s’informer qu’est-ce qu’ils doivent faire avec leur liste de patients. Je les informe d’un point de vue organisationnel pour le guichet, à savoir comment ils doivent mettre leur liste dans le guichet avant de partir », explique Dr Dufresne.
Il ajoute qu’il est aussi dans l’obligation de les informer de leurs obligations déontologiques. Par souci de confidentialité, il ne peut révéler les noms des médecins qui l’ont contacté. « Oui, des médecins m’ont contacté, mais je ne suis pas en mesure de dire de nom, je dois respecter le contrat verbal que j’ai avec les médecins. Ce sont aussi eux qui doivent avertir leur clientèle de leur départ. »
Impacts sur les cliniques et le futur hôpital
Ces départs peuvent affecter des cliniques comme le GMF de Hudson. Pour l’instant, aucun médecin de cette clinique n’a quitté, mais la situation reste fragile. « Les médecins de Hudson sont facilement mobilisables, étant parfaitement anglophones. Pour préciser, il n’y a pas de médecin en provenance de Hudson qui est parti, mais il y a deux médecins dans Vaudreuil-Soulanges qui ont quitté l'Ontario », précise Dr Dufresne.
Le Dr Tara McCarthy confirme : « Nous n’avons pas deux médecins qui sont partis, mais plutôt deux médecins qui s’apprêtent à partir. S'ils se préparaient au mois de mai, ils sont maintenant prêts à partir. »
Dr Dufresne mentionne également avoir été contacté par des chefs de GMF en lien avec des médecins français. « Nous avons une bonne filiale dans Vaudreuil et Valleyfield. Le Dr. Mitchell Germain, qui est l’ancien chef de médecine familiale du CISSSMO a développé une filiale pour aller chercher des médecins français. C’est entre autres grâce à sa filiale que le GAMF a beaucoup diminué, mais présentement, ces médecins ont des inquiétudes à venir travailler ici. »
La situation est similaire pour les médecins venant du Nouveau-Brunswick. « Le Nouveau-Brunswick recrute des médecins du Québec, alors je ne pense pas que dans la situation actuelle, des médecins de là-bas viendront travailler ici », ajoute-t-il.
Le futur hôpital de Vaudreuil inquiète Dr Dufresne. « En tant que président de l’Association des médecins omnipraticiens du Sud-Ouest, ça me rend inquiet pour ce qui est de donner des soins adéquats, mais aussi pour l’ouverture de l’hôpital de Vaudreuil, sans nuire à celle de Valleyfield et sans nuire à celle du Lakeshore. »
Il précise : « On ne peut pas ouvrir Vaudreuil, tout en fermant deux autres hôpitaux, nous devons ouvrir Vaudreuil en surplus de ce qui est déjà offert. Ça fait une dizaine d'années que je suis impliqué dans l’organisation des soins et avec ce nouveau projet de loi, nos efforts pour mettre Vaudreuil sur la carte sont anéantis en quelques sortes. »
Pour que l’urgence de Vaudreuil soit pleinement opérationnelle, il calcule qu'il faudra entre 20 et 30 médecins. « Ça prendrait au moins 30 médecins pour faire fonctionner la nouvelle urgence en plus des 23 médecins qui sont présentement à Valleyfield, pour la maintenir ouverte. Comment fait-on pour recruter 30 nouveaux médecins à l’urgence à temps plein alors qu’il y a des pénuries partout. C’est sans compter les autres médecins qui seront sur les autres étages », déplore Dr Dufresne.
Accessibilité aux soins et pénuries
Le Dr Dufresne souligne l’importance de l’hôpital pour la région. « Quand on regarde dans la région du Sud-Ouest, il y a une population d’environ 450 000 habitants. L’hôpital de Valleyfield a environ 220-230 lits, Châteauguay a aussi environ 230 lits, ça fait une moyenne d’un lit par 1000 habitants, mais la moyenne au Québec est de 2 à 2,5 lits par 1000 habitants. »
Avec ses 404 lits, l’hôpital de Vaudreuil améliorerait l’offre hospitalière dans le Sud-Ouest. « Ça représente 404 lits supplémentaires, donc on vient se mettre à un niveau qui est similaire à celui du reste du Québec. En ouvrant l’hôpital, on vient d’augmenter notre offre de service en milieu hospitalier, ce qui va désengorger les urgences. Si les urgences débordent, ce n’est pas en raison du personnel qui ne travaille pas assez, comme peut le penser Christian Dubé, c’est parce qu’il manque de lits sur les étages et les gens finissent par stagner à l’urgence. », explique Dr Dufresne.
Quant aux soins en Ontario, il confirme : « Oui, les Québécois peuvent y aller, ils ont le droit, il y a une entente pour que le gouvernement du Québec paie l’hôpital pour les services qui sont prodigués. Cependant, je serais curieux de savoir combien cela coûte au gouvernement du Québec. »
Un système de santé sous pression
Le Dr Dufresne souligne les défis auxquels le système de santé québécois doit faire face : pénuries, manque de financement et impacts persistants de la pandémie. « Quand on le regarde individuellement, les gens qui y travaillent sont très bons, c’est l'accessibilité qui est plus problématique. Il y a eu un gros manque d’investissement depuis des années, il y a eu des coupures dans le personnel, des médecins ont été mis à la retraite et ça a créé une diminution des ressources. »
Il précise que contrairement au Québec, l’Ontario a augmenté ses investissements en soins de première ligne. « En ce moment, les gens qui ont accès à ces ressources, ont attendu des mois et des mois au dans le système public ou bien ils sont allés payer au privé pour y avoir accès, alors que nous avons un système de santé qui est gratuit », ajoute Dr Dufresne.
Plus qu’un manque d’accessibilité : un manque de prévention
Selon Dr Dufresne, la prévention est l'un des principaux problèmes de notre système de santé. « La prévention est tellement importante. Je pense sincèrement que la prévention doit commencer à l’école. Je travaille sur les facteurs de risques avec mes patients pour amener un changement de comportement, mais ça prend un lien de confiance entre le docteur et le patient, ça se développe avec le temps. Chose qui ne va pas s’améliorer avec le nouvelle loi 2, qui va presser les médecins à donner leurs directives. »
Il insiste sur l’importance de l’éducation préventive : « En commençant avec les jeunes à l’école, ces mêmes jeunes, lorsqu’ils auront 20-30-40 ans, auront déjà de meilleures habitudes de vie et donc moins besoin du système de santé. C’est là que le gouvernement doit investir. »
Une loi controversée
Dr Dufresne s’interroge sur le vote des députés de la CAQ : « Que ce soit Marilyne Picard (Soulanges), Claude Reid (Beauharnois), Carole Mallette (Châteauguay) ou bien Marie-Belle Daoust (Huntingdon), comment se fait-il qu’ils aient voté en faveur de ça ? Que font-ils pour la population ? »
Le ratio patients/médecins dans Vaudreuil-Soulanges est préoccupant : environ 1 700 patients par médecin, contre 950 à Montréal. Selon Dr Dufresne, la loi 2 risque de compliquer l’accès aux soins.
Selon la nouvelle loi 2, les patients orphelins seront automatiquement affiliés à un médecin. Une idée qui, sur papier, fait du sens, mais qui en pratique sera beaucoup plus complexe à gérer selon le Dr Dufresne.
« Il va y avoir tellement de patients dans les cliniques que les gens n’auront plus accès à leur médecin. À Vaudreuil-Soulanges, il y a 40 000 patients qui sont suivis ailleurs à Montréal, Laval ou Saint-Jean Richelieu par exemple. » explique Sylvain Dufresne.
« Que va-t-il arriver lorsque loi va être appliquée et que les médecins de l’extérieur auront des cibles de rendements à respecter ? Pensez-vous qu’ils vont garder leurs patients de Vaudreuil ? Ils vont les désinscrire de leur liste et les inscrire en affiliation, ce qui veut dire qu’il va y avoir environ 40 000 patients de plus sur nos épaules dans Vaudreuil-Soulanges sans les effectifs médicaux supplémentaires. » prévient le docteur.
Il affirme que la meilleure manière d’améliorer le modèle présent n’est pas d’en imposer un, mais bien d’en discuter pour l’améliorer. « Quand on se fait imposer quelque chose, ça ne fonctionne pas, il y a une démotivation et du désengagement et quand ça arrive, c'est la population qui en souffre. »
Il ne voit pas une réforme du domaine de la santé comme une mauvaise chose, bien au contraire, en autant qu’elle soit faite de manière adéquate. « Ça prend du temps de réflexion et il faut voir les implications sur chacun des comtés avant de voter. S’ils doivent voter, c’est le rôle des députés de faire part de leurs inquiétudes et des conséquences qu’aura le projet de loi sur leur population. »
À lire également :
Le GMF Hudson Médicentre craint pour sa survie après l’adoption de la loi 2

