Les pères immigrants ont d'importants défis, mais découvrent une nouvelle parentalité

Par La Presse Canadienne
Les hommes issus de l’immigration qui ont des enfants vivent une paternité qui se distingue de celle des pères québécois à plusieurs égards.
À l’approche de la fête de Pères, le 15 juin, et alors que s’ouvre ce lundi la 13e Semaine québécoise de la paternité, une série de données vient jeter un nouvel éclairage sur la réalité des pères immigrants.
Ceux-ci sont confrontés à des défis et des obstacles auxquels, bien souvent, ils ne s’attendaient pas, comme l’indique Christine Gervais, professeure à l’Université du Québec en Outaouais et codirectrice scientifique de l’Institut universitaire SHERPA, spécialisé dans le domaine de la migration et des questions de pluriethnicité.
«Environ 80 % de ces pères immigrants ont été choisis parce qu'ils avaient justement une formation professionnelle, un diplôme qui correspond aux besoins de main-d'œuvre du Québec. Donc, quand ils font leurs démarches migratoires, ils ont l'impression qu'ils sont attendus comme travailleurs et que leur expertise va être recherchée, mais quand ils arrivent, finalement, ce n'est pas ça du tout la réalité. Au contraire, c'est plutôt de n'avoir à peu près pas d'opportunités d'emploi pendant leurs premières années.»
Promesses brisées
Ainsi, le Québec attire les immigrants avec des promesses illusoires, du moins dans l’esprit de ceux qui arrivent et qui déchantent assez rapidement. «Plusieurs ont témoigné de cette impression, que ce qu'ils trouvent en arrivant, par rapport à ce qu'on leur a projeté quand ils étaient dans leur pays, qu'il y a un grand écart. Ils vont être surpris par la quantité d'embûches qu'ils vont rencontrer, par la précarité qu'ils vont devoir accepter», explique la chercheuse.
Le plus grand obstacle, bien connu et documenté, se trouve du côté de la reconnaissance des diplômes. «Ils sont ingénieur ou médecin dans leur pays, mais ils arrivent ici et on ne reconnaît pas leur diplôme. Donc, comme ils ont souvent la charge d'une famille, ils ne sont pas en mesure d'aller faire ce qu'on leur demande comme mise à jour à l'université. Souvent ce sont plusieurs années d'étude. Ils vont alors accepter des emplois très faiblement rémunérés qu'on va leur offrir, comme être concierge dans des écoles notamment ou du service à la clientèle, ce qui fait qu'ils ont un petit revenu malgré le fait qu'ils soient très scolarisés.»
Ces pères doivent alors vivre des deuils difficiles, par exemple celui d'une profession qu'ils aimaient, de la reconnaissance sociale qui vient souvent avec une profession, d’une situation financière plus confortable et aussi un deuil de relations significatives comme la famille élargie et les amis proches.
Portrait statistique
Le Regroupement pour la valorisation de la paternité (RVP) a recueilli et regroupé les données touchant les pères immigrants, tirées de l’Enquête québécoise sur la parentalité de l’Institut de la statistique du Québec, afin de comprendre ces réalités à travers le prisme de l’analyse statistique et ses trouvailles viennent quantifier ces impressions.
On y apprend ainsi que près de deux pères immigrants sur trois (63 %) détiennent un diplôme universitaire, une proportion presque deux fois plus élevée que chez les pères nés au Canada (34 %). Et pourtant, ils ont trois fois plus de chances d’appartenir à un ménage à faible revenu (26 % chez les pères immigrants, comparativement à 8 % chez les pères nés au Canada).
En contrepartie, l’analyse quantitative nous apprend que, proportionnellement, les pères immigrants sont deux fois plus nombreux (42 %) à tirer une plus grande satisfaction de leur rôle de parent que les pères québécois (21 %).
Et leur situation conjugale s’en ressent, les pères immigrants étant plus nombreux à souligner un soutien élevé de leur conjointe (66 % chez les pères immigrants, comparativement à 51 % chez les pères nés au Canada) et sont aussi plus nombreux à se dire rarement ou jamais critiqués par cette dernière (57 % vs 52 %).
Quand la famille devient une équipe
Christine Gervais reconnaît avoir été surprise du niveau de satisfaction deux fois plus élevé face à la parentalité chez les pères immigrants que chez leurs semblables québécois. «C'est quand même surprenant quand on sait qu'ils vivent dans des conditions de plus grande précarité, autant en termes de logement qu’en termes de revenus qu'en termes de soutien social. L'hypothèse que je fais, c'est que probablement que ces pères-là ont l'impression que d'avoir réussi à amener leur enfant au Québec, c'est déjà une grande réussite. Ils sont fiers de ça et ils trouvent que c'est moins difficile d'être parent, que le plus difficile, ils l'ont déjà assumé.»
Quant au plus grand soutien de leur conjointe et de la critique moins présente de celle-ci chez les pères immigrants, Mme Gervais déballe ces chiffres avec les explications suivantes, soulignant d’entrée de jeu que 59 % des pères immigrants disent que leur entourage est peu disponible pour leur venir en aide – la plupart du temps parce que cet entourage est demeuré dans le pays d’origine – une proportion deux fois plus élevée que chez les pères québécois (28 %).
«Toute la vie familiale devient centrée sur un projet commun qui est de garantir un meilleur avenir ou davantage d'opportunités à l'enfant. Donc les parents vont se retrouver à travailler en équipe d'une manière très serrée et cet objectif va vraiment les rapprocher», explique-t-elle.
Et toute la façon de voir les rôles familiaux éclate dans ce nouveau contexte. Certes, dit la chercheuse, dans la majorité des sociétés non occidentales, les attentes font en sorte que les soins aux enfants et l’éducation sont entièrement assumés par les femmes et l'entourage. Les pères ont généralement un rôle de pourvoyeur et assurent la sécurité et la transmission des valeurs morales et religieuses.
«Pour les femmes, c'est merveilleux»
«Arrivés ici, sans réseau de soutien, sans la famille élargie, forcément les pères se retrouvent à prendre en charge certaines dimensions qui relèvent de la vie de famille, comme les soins directs aux enfants, les communications avec l'école, l'aide aux devoirs, reconduire les enfants aux activités parascolaires, et ça, pour les femmes, c'est merveilleux. Elles apprécient énormément de voir leur conjoint investir cette sphère-là et pour plusieurs, c'est une surprise, un changement qu'elles apprécient. Et je crois que ça explique en grande partie que les pères se sentent plus soutenus et très peu critiqués, parce que ce qu'ils font c'est apprécié et c'est essentiel dans ce nouveau contexte dans lequel la famille se trouve.»
Le RVP propose quelques pistes de soutien à la lumière de ces données, soit: améliorer les démarches d’insertion à l’emploi et aider les pères immigrants à subvenir aux besoins de base de leur famille; accompagner les pères immigrants dans l’adaptation au rôle de père; valoriser le lien père-enfant; et compenser la perte du soutien de l’entourage et de la famille élargie par des services et des ressources des organismes qui soutiennent les familles immigrantes.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
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