La psychiatre a témoigné dans le dossier de la mère accusée d'abandon d'enfant
« Elle n'aurait jamais posé ces gestes si elle n'avait pas été malade »
Reconnue non-criminellement responsable d’abandon d’enfant et de négligence criminelle ayant causé des lésions, la mère de Lasalle qui a laissé derrière elle sa fillette de 3 ans le 15 juin dernier en Ontario, espère maintenant être libérée sous conditions.
Lundi après-midi, au palais de justice de Salaberry-de-Valleyfield, l’avocat de la mère, Me Justin Chenel, a plaidé sa libération devant le juge Bertrand St-Arnaud. Ce dernier est épaulé par Me Katerine Charbonneau dans les deux dossiers. Du côté du ministère public, c’est les procureures Me Lili Prévost-Gravel et Hélène Langis qui figurent aux dossiers.
Ces dernières plaident plutôt pour que l’accusée, dont l’identité est protégée par une ordonnance de non-publication, demeure détenue à l’Institut national de psychiatre légale Philippe-Pinel de Montréal où elle pourra, éventuellement, profiter de sorties non accompagnées.
Maintenant que l’état de santé mentale de la dame a été établi devant la Cour, l’après-midi a été consacré aux témoignages de proches de celle-ci. L’objectif était de présenter au juge le plan de sortie de l’accusée. Celle-ci pourrait attendre sa prochaine comparution devant la Commission des troubles mentaux, qui doit se tenir d'ici à 90 jours maximum, en liberté.
Un proche prêt à l'accueillir chez lui
Le premier témoin était le père de l’accusée. Ce dernier s’est adressé au Tribunal pour signifier son intention de l’accueillir chez lui si la Cour acquiesce à sa demande. Il a répondu à plusieurs questions des avocats un peu avant la pause du dîner.
Au cours de son interrogatoire, il a indiqué que l’accusée avait déjà tenu des propos décousus dans les mois qui ont précédé les événements. Il a aussi admis être au courant que l’accusée consommait du cannabis sur une base régulière. Titulaire d’un emploi à raison de trois jours par semaine, l’homme a admis qu’il ne pourrait pas la surveiller 24 heures sur 24 heures si elle vient vivre chez lui. « Elle aura sa vie », a-t-il fait savoir à la Cour.
Une option peu recommandée par la psychiatre au dossier, Marie-Michèle Boulanger, qui a précisé être surprise du plan de sortie impliquant le père de l’accusée. « Elle n’a jamais dit qu’elle était proche de lui. C’était même le contraire alors c’est surprenant comme choix. Je ne crois pas que ce soit une bonne solution, car quand on accueille une personne comme ça, il faut faire preuve d’une grande ouverture d’esprit et être très présent. »
La mère propose une alternative encadrée
Le second témoin a été la mère de l’accusée qui a aussi réitéré son offre d’accueillir l’accusée dans une unité voisine de la sienne si celle-ci obtient sa libération. La dame a aussi indiqué qu’elle parle ou voit l’accusée sur une base régulière pendant sa détention, une information confirmée par la psychiatre Boulanger plus tard dans la journée.
Cette dernière a noté un changement de comportement chez sa fille à la suite de son changement de médication. Elle a parlé d’idées plus claires et d’une connexion avec elle plus facile. « Elle s’ennuie de sa fille. Elle pleure souvent en parlant d’elle. Elle sait qu’elle a une maladie et qu’elle doit la contrôler avec l’aide de médicaments et de thérapie. Elle va mieux que lors de son arrestation.»
La femme a indiqué qu’en cas de libération, sa fille devra conserver son attitude positive et travailler sur ses aptitudes sociales. La preuve déposée en Cour a notamment démontré que la mère de famille était très seule dans la vie et qu’elle n’avait pas de cercle d’amis.
La mère de l'accusée a aussi affirmé être au courant des problèmes de consommation de sa fille, qui fume du cannabis depuis plus de 17 ans. « On en a déjà parlé. Elle sait que ce n’est pas bon pour elle et que ça peut être un déclencheur pour ses problèmes de santé mentale. Je n’ai jamais approuvé.»
La mère de l’accusée a indiqué avoir contacté l’hôpital pour établir un plan d’urgence en marge de la sortie de sa fille. « Je veux savoir comment détecter un problème et comment agir en cas de symptômes apparents. Ils ont accepté de m’aider avec ça.»
Bien qu’elle soit prête à l’accueillir près d’elle, la femme a admis à la Cour qu’il serait préférable que sa fille sorte graduellement. « Ce ne serait pas réaliste et sécuritaire de la libérer directement. Je fais confiance à la Cour pour prendre la meilleure décision, mais à mon avis, il serait mieux qu’elle fasse des sorties graduelles pour se réhabituer en société.»
Un diagnostic lourd et des risques persistants
Le troisième témoin de la journée était la psychiatre Marie-Michèle Boulanger qui a rédigé le rapport de 48 pages déposé par la défense afin de déterminer l’état mental de l’accusée.
Dans sa conclusion, l’experte prône la détention à Pinel avec la possibilité de faire des sorties sans accompagnement. Elle se voulait toutefois rassurante. « J’ai laissé une porte entrouverte puisque madame a clairement exprimé sa volonté d’être libérée. Il faut préciser que lorsqu’on parle de sorties, ça peut vouloir dire des sorties dans la cour de Pinel sans accompagnement. On y va graduellement pour chaque patient. Il serait peu probable que madame sorte par elle-même à l’extérieur de nos murs d’ici sa comparution devant le Tribunal administration prévue d’ici le temps des Fêtes. »
Selon la professionnelle, l’accusée souffrirait d’un trouble schizo-affectif qui mélange la schizophrénie et la bi-polarité et qui se traduit par des épisodes maniaques ou dépressifs. « Elle est à risque de faire d’autres psychoses pour le reste de sa vie. Dans son cas, elle présente des idées délirantes. Par exemple, lors de son arrestation, elle pensait que la victime était contrôlée par une entité quelconque et que la meilleure façon de réagir était de s’en séparer. Elle n’était pas en mesure de dissocier le bien et le mal. Elle n'aurait jamais posé des gestes comme ceux-là si elle n'était pas malade. »
La psychiatre a précisé que certains stresseurs, comme un retour dans la société, une reprise de contacts avec la victime ou encore la surmédiation de ses dossiers pourraient continuer à l’apparition de nouveaux symptômes. « La consommation de cannabis, le changement de médication, l’insomnie, le changement de son équipe traitante ou d’autres facteurs imprévisibles pourraient contribuer à fragiliser sa santé mentale. L’accusée a démontré à plusieurs reprises qu’elle était très intelligente. Cela signifie qu’en cas de crise, elle est très bien capable de le cacher à son entourage jusqu’à la commission des faits. Je ne suis pas certaine que si je l’avais évalué une heure avant les faits reprochés, j’aurais pu déceler quoi que ce soit. Je ne doute pas que l’accusée est une bonne personne et qu’elle veut vraiment cesser de consommer et obtenir de l’aide.»
La docteure a aussi précisé que l’accusée a une bonne auto-critique par rapport à ses actes, mais qu’elle minimise beaucoup les impacts de son retour en société. « Pour le moment, elle ne mesure pas bien les conséquences. Les gestes posés sont très graves. Pour elle, ils sont passés, donc ce n’est plus nécessaire d’en parler. Il va falloir, si elle reste avec nous, aborder le sujet de front. C’est encore difficile pour elle de le faire et c’est normal.»
Pour l’experte, si l’accusée demeure détenue à Pinel, il sera plus facile de modifier son traitement médical et d’en suivre les conséquences. « On doit diminuer le lithium qu’elle prend actuellement. On ne sait pas comment elle va réagir. La dernière fois qu’on a modifié son traitement, elle a eu une réapparition de certains symptômes. Il faut trouver le bon traitement pour elle.»
Dre Boulanger a précisé que l’accusée collabore très bien à la prise de son traitement et au suivi psychologique. « Elle comprend qu’elle a commis des gestes qui ne doivent plus jamais se reproduire. Elle veut vraiment qu’on trouve pourquoi elle l’a fait et qu’on lui vienne en aide. À mon avis, elle n’est pas à l’abri d’une récidive de psychose si elle rencontre un stresseur. Je dois aussi préciser qu’elle n’est pas agressive ou violente quand elle va moins bien. Ses idées sont moins claires.»
Si elle demeure à Pinel, l’accusée sera changée d’unité. Là-bas, elle apprendra en détail comment reconnaître les signes d’une psychose et quels sont ses déclencheurs personnels. Un comité de sorties se penchera aussi sur la possibilité qu’elle puisse faire des sorties par elle-même.
« Au début, on parle d’une sortie dans le corridor sans supervision. Par la suite, une sortie dans la cour, puis au dépanneur au coin de la rue avec un accompagnateur. Toutes les sorties sont décidées par un comité formé de trois personnes qui ne traitent pas la personne.»
Dans le dossier, la défense demande une libération avec modalités qui permettrait à la mère de famille de demeurer chez son père sous conditions.
Ce mardi 16 septembre, les avocats exposeront leurs arguments respectifs et le juge St-Arnaud pourrait fixer le sort de l'accusée avant l'heure du dîner.
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