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Centre d'Archives de Vaudreuil-Soulanges

Reynald Piché et l’œuvre Le Souffle d’Éole

durée 08h00
23 novembre 2025
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Par Centre d'Archives de Vaudreuil-Soulanges

Il y a 25 ans, le 16 août 2000, la Ville de Salaberry-de-Valleyfield recevait un prix d’excellence du Réseau québécois de Villes et Villages en santé (RQVVS) pour la réalisation de la Place des Tisserands et de la sculpture monumentale Le Souffle d’Éole. Cet espace vert, bien choisi, se situe au bout de la baie St-François, sur un terre-plein, entre les deux voies de circulation de la rue Alexandre et du Centenaire. Il se trouve à proximité du centre d’achat et de l’usine de filtration et directement en face de l’hôtel Moco. Les trois personnages de la sculpture du Souffle d’Éole sont localisés sur les terrains de l’ancienne usine de la Montreal Cotton.

L’idée de cette œuvre trouve sa source lors d’une soirée commémorative tenue en 1996, où fut prise la décision d’organiser une levée de fonds afin d’ériger un monument à la mémoire de la grève de 1946 à la Montreal Cotton. Cette grève historique, menée par Madeleine Parent, organisatrice syndicale et secrétaire du comité d’organisation du Congrès des métiers et du travail à cette époque, et Kent Rowley, organisateur syndical et qui est devenu directeur du syndicat des Ouvriers unis des textiles d’Amérique (OUTA), ont aidé à mobiliser plus de 3 000 ouvrières et ouvriers pour obtenir de meilleures conditions de travail.  Après 96 jours de lutte, les travailleurs réussissent à obtenir la reconnaissance syndicale et une première convention collective. Un tournant majeur dans l’histoire syndicale québécoise.  Kent Rowley a été emprisonné six mois et Madeleine Parent a été arrêtée et poursuivie à cause de cela. On peut lire leur histoire dans deux livres qui sont intitulés Kent Rowley, une vie pour le mouvement ouvrier de l’auteur Rick Salutin et Madeleine Parent, militante de l’auteure Andrée Lévesque qui a dirigé cet ouvrage.

La sculpture Le Souffle d’Éole

Conçue par Reynald Piché et Denis Poirier, deux artistes et enseignants du Cégep de Valleyfield, Le Souffle d’Éole, composée de trois sculptures distinctes, représente un homme, une femme et un enfant, symboles de la famille ouvrière et du courage des travailleurs de la Montreal Cotton. Selon l’article de Hugues Théorêt de La Source du 15 septembre 1999, la sculpture a été réalisée au coût de 140 000$.  Fabriquée en acier inoxydable, l’œuvre mesure approximativement 4,5 mètres (15 pieds) de hauteur par personnage pesant plus d’une tonne chacun. Deux années d’efforts ont été nécessaires à sa conception et à sa fabrication.  

L’inauguration a eu lieu le 3 septembre 1999, dans le cadre du 125e anniversaire de la ville. Sur la plaque commémorative, on peut lire : « Hommage aux ouvrières et ouvriers du coton qui menèrent une lutte victorieuse au cours de l’été 1946 ».  Lors de cet événement, des centaines de personnes ont assisté à une animation sur la fabrication du coton et ont entendu le sifflet de la Montréal Cotton.  Dans la soirée, un spectacle d’éclairage a été admiré par les gens près du monument commémoratif. Une déclaration du maire de Valleyfield lors de l’inauguration dit que « On est une ville d’ouvriers.  C’est un hommage aux gens qui ont bâti notre municipalité.  Ce monument sera notre tour Eiffel, notre carte de visite ».  

Les artistes : Reynald Piché et Denis Poirier

Reynald Piché est né en 1929 à Rock Island, au Québec.  Sa famille s’installe à Salaberry-de-Valleyfield peu après sa naissance.  Il entre à l’École des Beaux-Arts en 1959, à l’âge de 30 ans, et enseigne ensuite au Cégep de Valleyfield dès 1962. Pendant près de 30 ans, il y sera professeur d’arts plastiques. Il s’installe dans les années 1980-1990 à l’ancienne centrale hydroélectrique des Cèdres, surnommée le Petit pouvoir, qu’il transforme en atelier-logement. On lui doit notamment la sculpture-fontaine qui se trouvait autrefois devant le bureau de poste de Valleyfield. On lui doit aussi l’invention de la technique de l’aluchromie. Il a exposé à Paris, Londres et Milan, contribuant au rayonnement international de l’art régional. Il est décédé le 18 juin 2015.

Denis Poirier, né en 1946 à Salaberry-de-Valleyfield, a reçu une formation en dessin industriel, en peinture (École des Beaux-Arts de Montréal), en sculpture et en éducation. Il a également enseigné au Cégep de Valleyfield à partir de 1979. Ses œuvres, dont la sculpture Papillon, qui est installée à la Bibliothèque Armand-Frappier, pesant 400 livres, sont présentes à Valleyfield et ailleurs au Québec.  En 2017, il a reçu le prix Reynald-Piché pour l’ensemble de son œuvre. Il est décédé le 22 novembre 2020.  Selon l’article de Marie-Ève Smith, historienne de l’art, qui avait écrit un article sur le « Souffle d’Éole » dans la revue Au fil du temps en décembre 2006, plusieurs de ses œuvres ont été faits à son atelier de travail sur la rue Saint-Hippolyte à Salaberry-de-Valleyfield.  Aussi, à chaque année, il ouvrait les portes de son atelier à l’occasion des Journées de la Culture.

Les deux artistes ont marqué le paysage culturel de la région et ont reçu, à titre posthume, chacun un hommage : en 2015, Reynald Piché a été honoré par le maire Denis Lapointe alors que Denis Poirier l’a été par le député Claude Reid, en 2020.

Pourquoi le « Souffle d’Éole »?  L’explication, selon l’article de Marie-Ève Smith, serait que le souffle incarne le concept de liberté acquise en 1946, l’affranchissement des travailleurs.  Souvenons-nous en regardant la position des personnages; ils semblent prendre leur envol. Le personnage de l’homme personnifierait Trefflé Leduc.  Quand le syndicaliste Kent Rowley a ouvert un bureau sur la rue Saint-Laurent pour la campagne du textile (syndicalisation), l’un des premiers travailleurs du textile qui s’est présenté pour signer sa carte de membre était Trefflé Leduc.  Il était un homme âgé de 60 ans qui avait toujours travaillé à l’usine de Valleyfield. Il est devenu le leader des travailleurs et président du syndicat local à cette époque. Le personnage de la femme personnifierait Léa Duval qui fut représentante des Dames Auxiliaires et mère de trois enfants grévistes à la manufacture. Elle aurait institué le mouvement de solidarité des femmes. Le personnage de l’enfant avec un cerf-volant, quant à lui, rappellerait la jeunesse. Il faut se rappeler que des enfants ont travaillé à la manufacture.

L’art public et la reconnaissance

L’installation de la sculpture Le Souffle d’Éole s’inscrit dans la politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement, appelée la Politique du 1%, qui réserve une partie du budget des constructions publiques à la création artistique. Cette politique favorise l’accès à l’art, la valorisation des lieux publics et le soutien aux artistes régionaux.  La Place des Tisserands en est un exemple marquant : un lieu de mémoire devenu espace de culture et de fierté locale.  Rappelons que le Réseau québécois de Villes et Villages en santé (RQVVS), né de l’initiative de Rouyn-Noranda, reconnaît les municipalités qui mettent la communauté au cœur de leurs actions.  Depuis 2019, ce réseau est porté par Espace Muni.  La ville de Salaberry-de-Valleyfield, membre active du réseau, avait remporté en 2015 la Coupe Villes et Villages en santé.  Le souffle d’Éole, prix d’excellence du RQVVS, demeure une œuvre emblématique du patrimoine de Salaberry-de-Valleyfield.  Elle unit l’art, la mémoire ouvrière et l’identité collective, tout en perpétuant l’esprit de deux artistes majeurs : Reynald Piché et Denis Poirier, dont l’héritage continue d’inspirer et d’embellir la région.

Au sujet de la Montreal Cotton : mémoire d’un monde ouvrier

Fondée en 1874, la Montreal Cotton Company – souvent appelée « La Coton » par les habitants – a marqué l’histoire économique et sociale de Salaberry-de-Valleyfield. Pendant des décennies, des générations entières de familles ont travaillé dans cette manufacture textile, qui représentait la prospérité, mais il y avait des conditions de travail difficiles.

Au plus fort de sa production, l’usine employait plus de 3 000 ouvrières et ouvriers.  Les longues heures, la chaleur et le bruit constant des métiers à tisser faisaient partie du quotidien. Malgré ces conditions, un sentiment d’appartenance unissait les travailleurs, reflétant une solidarité qui allait culminer avec la grande grève de 1946.  Les activités qui se faisaient à l’usine étaient de blanchir, teindre et faire la finition de tissus en plus de fabriquer du fil de rayonne et de coton.

Les traces de cette époque demeurent visibles. Une partie de l’ancienne manufacture a été transformée en hôtel (MOCO), préservant ainsi un pan du patrimoine industriel de la ville.  D’autres parties, réaménagées, accueillent des espaces culturels et communautaires, où passé et présent se côtoient.

La sculpture Le Souffle d’Éole, installée sur la Place des Tisserands, s’élève ainsi sur l’ancien site même de la Montreal Cotton, ravive le souvenir des familles, des luttes et la dignité de celles et ceux qui ont bâti Valleyfield à la force de leurs mains.  

Sur le site de la Place des Tisserands, il y a des plaques avec les noms gravés de personnes ayant contribué financièrement à la gigantesque sculpture Le souffle d’Éole. L’organisme Coton-46 avait organisé cette campagne de financement en invitant la population à y participer.  Plusieurs l’ont fait de même que différents paliers du gouvernement, des mouvements syndicaux et d’autres commanditaires.

Sur le site du Musée de Société des Deux-Rives (MUSO), nous pouvons visiter l’exposition permanente qui raconte l’histoire de la Montreal Cotton en montrant différents aspects du travail et de la vie de ces travailleurs, et en présentant même du coton, matière première utilisée à l’usine.  

Enfin, une déclaration de Reynald Piché à propos de cette sculpture lue dans un article de Hugues Théorêt dit : « Ce n’est pas un monument aux morts, mais à la vie et à l’avenir »

Auteure : Johanne Deneault, technicienne, Centre d’archives de Vaudreuil-Soulanges.
 

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