Nous joindre
X
Rechercher
Publicité

Voie de contournement de Lac-Mégantic: étude d’impact sur l’environnement demandée

durée 03h55
7 mars 2023
La Presse Canadienne, 2023
durée

Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

MONTRÉAL — Des organismes et des citoyens demandent au ministre fédéral de l’Environnement de déclencher une étude d’impact sur l’environnement du projet de voie de contournement ferroviaire de Lac-Mégantic. Ils craignent notamment des répercussions sur les ressources en eau potable et les zones humides.  

Ils ont fait parvenir lundi au ministre Steven Guilbeault une lettre, dont La Presse Canadienne a obtenu copie.  

Une évaluation d’impact indépendante est demandée, alors qu’«aucune évaluation environnementale indépendante et approfondie n’a été effectuée», peut-on lire.  

Parmi les autres critiques du projet, le niveau de sécurité du tracé de la voie de contournement est jugé inférieur à celui de la voie actuelle. Ils soutiennent également que le coût du projet a explosé, passant de 133 millions $ en 2019 à près de 1 milliard $ en 2022.  

La municipalité de Frontenac, le Syndicat des Producteurs forestiers du Sud du Québec, la Fédération de l’Union des producteurs agricoles (UPA) de l’Estrie, Eau Secours, le Conseil régional de l’environnement de l’Estrie et la Coalition des Victimes collatérales (CVC) — qui réunit près de 300 membres — font ainsi front pour dénoncer le tracé choisi, qui n’est pas le meilleur selon des experts, affirment-ils.  

Rappelons qu’un projet de voie de contournement a été mis sur pied à la suite de la tragédie ferroviaire du 6 juillet 2013, où 47 personnes ont perdu la vie. Un train rempli de pétrole brut a dévalé une pente en amont de Lac-Mégantic avant de dérailler en plein centre-ville, déclenchant des explosions et un immense incendie. 

Le tracé de voie de contournement de 12,5 km proposé passe par les municipalités de Nantes, Lac-Mégantic et Frontenac, dans la MRC du Granit, en Estrie. 

«Les experts disent que le tracé proposé est plus dangereux que le tracé actuel, indique Kurt Lucas, un des membres de la coalition. Il y a trois courbes de plus, les mêmes pentes qu’avec le tracé actuel, la vitesse va augmenter de 10 milles à l’heure à 40 milles à l’heure ou 65 km/h.»  

Une autre membre de la CVC, Yolande Boulet Boulanger, souligne que le tracé de la voie de contournement passe toujours en ville, à proximité d’industries et de résidences.  

Du côté environnemental, M. Lucas rappelle que le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement du Québec a bien évalué le projet en 2019, mais que cela s’est fait «avant que les études géotechniques et hydrologiques (ne) soient effectuées», lit-on dans la lettre. 

L’Office des transports du Canada (OTC) a d’ailleurs demandé au Chemin de fer du Centre du Maine et du Québec (CMQ) — propriété du Canadien Pacifique (CP) — une «évaluation des effets environnementaux à jour» le 13 décembre dernier. Cette évaluation n’a toujours pas été fournie, selon une mise à jour de l’OTC publiée le 9 février.  

Les groupes craignent des conséquences sur les milieux naturels qui seraient traversés par la voie de contournement ainsi que sur l’alimentation en eau potable. Et le tout compromet de plus l’idée de «guérison sociale» portée par le projet de voie de contournement, plaident-ils.  

«On estime que plus de 500 citoyens de Lac-Mégantic, Nantes et Frontenac seront affectés négativement par le projet de la voie de contournement ferroviaire (200 résidences). Ces effets négatifs comprennent le bruit, la pollution, les vibrations, le compactage du sol, l’assèchement des puits et la contamination de l’eau potable», lit-on dans la lettre envoyée au ministre.  

M. Lucas souligne qu’on ignore si la nappe phréatique, qui fournit l’eau potable à Lac-Mégantic et aux environs, va être affectée.  

«Il faut creuser 70 % du tracé à Frontenac, et avec le dynamitage, c’est clair que ça va contaminer l’eau. (…) Comment aller de l’avant avec quelque chose qui met en danger la santé et le bien-être des citoyens ?» questionne M. Lucas, qui est propriétaire à Frontenac et va être exproprié. 

Mme Boulet Boulanger, dont les terres situées à la limite de Lac-Mégantic et de Frontenac seraient traversées par la voie de contournement, souligne qu’au-delà de l’expropriation, ce sont bien les risques environnementaux qui lui posent problème.  

«Ce qui me dérange le plus, c’est le fait qu’ils sont obligés de creuser au-delà de 100 pieds dans du granit, c’est plus bas que le niveau de la nappe phréatique. Puis, la dynamite est un contaminant, donc on craint la contamination de la nappe phréatique», indique l’agricultrice.  

La perte de milieux humides est aussi mentionnée dans la lettre au ministre Guilbeault. Selon le guide de référence présenté lors des consultations publiques sur l’hydrologie et les mesures visant à atténuer les impacts potentiels du projet, en novembre, «la construction pourrait entraîner la perte permanente jusqu’à 59 hectares de milieux humides», ce qui correspond à 110 terrains de football.  

«Comment cela se justifie-t-il, surtout aujourd’hui où la protection des zones humides et la lutte contre le changement climatique sont une priorité gouvernementale ?» écrivent les groupes dans la lettre, alors que cette superficie correspond à «22 fois plus que ce qui s’est produit au cours des 15 dernières années» en termes d’interventions dans des milieux humides des trois municipalités.  

Outre les impacts, Mme Boulet Boulanger interroge le rôle même de la voie de contournement.  

«L’accident est arrivé parce qu’il y a eu beaucoup de négligences. Ça ne veut pas dire qu’il va en arriver un autre demain, avance l’octogénaire qui a perdu son petit-fils dans la tragédie. En connaissez-vous beaucoup des villes où le train ne passe pas dedans ? (…) Mégantic n’a pas plus de raison d’avoir une voie de contournement qu’une autre ville.» 

À un référendum tenu par la municipalité de Frontenac le 19 février dernier, les citoyens ont répondu non à 92,5 % à la question : «Approuvez-vous le projet de la nouvelle voie de contournement ferroviaire sur le territoire de Frontenac ?».  

Le conseil municipal de Nantes a quant à lui retiré son appui au tracé de la voie de contournement en janvier.  

Le gouvernement fédéral a par ailleurs déclenché les expropriations des propriétaires de terrains nécessaires à la construction de la voie de contournement ferroviaire le 13 février. Il n’a pas précisé combien des 43 propriétaires concernés vont être expropriés. 

L’Union des producteurs agricoles a dénoncé une «procédure brutale (…) à l’égard des propriétaires touchés» ainsi qu’une «ambiance d’omerta». L’UPA tiendra vendredi, avec le Syndicat des Producteurs forestiers du Sud du Québec, une conférence de presse pour exposer leurs arguments.  

Johanna Pellus, La Presse Canadienne