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Une sénatrice relance un projet de loi visant à limiter l'isolement cellulaire

durée 17h47
30 octobre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

OTTAWA — La sénatrice indépendante Kim Pate lutte contre le recours à l'isolement cellulaire dans les prisons depuis 2018, année où le gouvernement fédéral s'est engagé à limiter cette pratique.

Elle a déclaré à La Presse Canadienne que la situation n'a fait qu'empirer depuis.

Sécurité publique Canada rapporte une augmentation de 36 % des séjours en isolement cellulaire de 61 jours ou plus entre 2021 et 2024.

«Nous avons constaté une prolifération, un recours accru à l'isolement chez les détenus, en particulier les détenus autochtones, et plus particulièrement ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale», a relevé Mme Pate.

La sénatrice est l'une des principales instigatrices du projet de loi S-205, aussi connu sous le nom de Loi de Tona. Ce texte législatif vise à proposer des «solutions de rechange à l’isolement et (prévoit) une surveillance et des mesures de réparation dans le système correctionnel».

Le projet de loi, dont une version antérieure a été rejetée lors du déclenchement des élections printanières, est maintenant examiné par un comité sénatorial.

La Loi de Tona limiterait à 48 heures maximum la durée des séjours en isolement cellulaire – ce que le Service correctionnel du Canada (SCC) appelle les unités d'intervention structurée (UIS). Elle garantirait l'hospitalisation des détenus placés en isolement après le diagnostic de troubles mentaux invalidants.

La loi favoriserait également la réinsertion des détenus issus de populations défavorisées ou minoritaires sortant de l'isolement, par l'entremise de groupes communautaires et de services similaires. Elle permettrait aussi aux détenus de demander une réduction de peine en cas d'injustice dans l'administration de leur peine.

La Loi Tona porte le nom de Tona Mills, une femme autochtone qui, après avoir passé plus de dix ans en UIS, a reçu un diagnostic de schizophrénie induite par l'isolement.

Mme Pate s'est dite heureuse que le projet de loi progresse enfin après un long retard.

«Une des difficultés de mise en œuvre réside dans le fait que le SCC a agi pratiquement sans rendre de comptes» depuis le dépôt du projet de loi initial, a-t-elle déclaré.

En 2019, le gouvernement fédéral a octroyé 74 millions $ au Service correctionnel du Canada afin d'améliorer les services de santé essentiels, comme les soins psychiatriques, les soins infirmiers 24 heures sur 24 et la défense des droits des détenus en isolement.

Mme Pate s'est dite consternée que le SCC ait dépensé cet argent sans freiner la hausse du nombre de détenus en isolement, soulignant qu'elle n'est pas la seule à s'inquiéter.

«Il ne s'agit pas de l'opinion de Kim Pate ni de celle d'avocats qui intentent des poursuites. Il s'agit du Bureau de l'ombudsman, nommé par le gouvernement du Canada pour examiner ces questions, a-t-elle précisé. Année après année, ils signalent les mêmes problèmes et on les ignore.»

Le projet de loi se heurte déjà à une forte opposition au Sénat.

«Le directeur parlementaire du budget a estimé que le coût pourrait atteindre 2 milliards $. C'est un problème», a pointé le sénateur conservateur Claude Carignan, un critique virulent de la Loi de Tona.

M. Carignan a ajouté que le projet de loi imposerait un fardeau supplémentaire considérable à des systèmes de santé publique et de justice déjà sous tension. «Je ne crois pas que multiplier les procédures et les soumettre au juge, et ainsi augmenter l'encombrement des tribunaux, soit bénéfique au système», a-t-il dit.

Il soutient que la recherche d'alternatives ciblées à l'isolement pour certains détenus devrait incomber au gouvernement fédéral, et non à un sénateur par le biais d'un projet de loi d'initiative parlementaire.

«Ce projet de loi doit émaner du gouvernement, qui dispose de tous les outils nécessaires pour élaborer un nouveau système qu'il puisse mettre en œuvre, a affirmé M. Carignan. Il n'est pas judicieux qu'un sénateur s'empare de ce type de projet de loi.»

Émilie Coyle est directrice générale de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, un organisme qui soutient les femmes et les personnes de diverses identités de genre dans le système carcéral. Dans le cadre de son travail, elle visite des prisons et ne considère pas l'isolement cellulaire comme un lieu de réinsertion pour les détenus.

«On imagine souvent les unités d'intervention structurée (UIS) comme des lieux où l'on reçoit un soutien et des soins supplémentaires. C'est ce que leur nom suggère. Mais en réalité, elles servent à punir les détenus», a-t-elle argué.

Selon Mme Coyle, les femmes autochtones, les femmes noires, les personnes de diverses identités de genre et les autres membres de communautés marginalisées sont plus souvent placées en UIS que les autres détenus.

La directrice de l'organisme de soutien a expliqué que, selon la loi, les détenus des UIS doivent bénéficier d'au moins quatre heures de sortie de cellule par jour. Deux de ces heures doivent être consacrées à un «contact humain significatif», une expression qui, d'après elle, n'est pas clairement définie par la loi.

«Les détenus se retrouvent enfermés dans des espaces très petits et confinés, constamment surveillés, sans avoir la possibilité de parler à des personnes qui se soucient réellement d'eux, a déploré Mme Coyle. Ces personnes peuvent se trouver en situation de crise de santé mentale extrême, et le fait de se trouver dans ces lieux ne fera qu'aggraver la situation, car nous savons que les crises de santé mentale nécessitent l'intervention de professionnels de la santé mentale compétents, ce qui n'est pas le cas dans les unités de soins spéciaux. »

Selon la sénatrice Kim Pate, le sort réservé à la Loi de Tona aura des répercussions sur l'image du Canada.

«Le Canada a toujours joui d'une excellente réputation à l'échelle internationale en tant que protecteur, défenseur et promoteur des droits de la personne, a-t-elle affirmé. Et si nous ne prenons pas soin des personnes détenues dans des lieux comme nos prisons, comme le disait souvent Nelson Mandela, alors nous ne méritons pas notre réputation.»

Justin Escoto, La Presse Canadienne

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