Nous joindre
X
Rechercher
Publicité

Un rapport dénonce l'ingérence de l'industrie fossile dans les écoles

durée 14h33
18 février 2025
La Presse Canadienne, 2024
durée

Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Des organisations de parents et de médecins dénoncent l’ingérence de l’industrie pétrolière et gazière dans de nombreux programmes d’éducation de plusieurs écoles à travers le pays.

Une quarantaine de compagnies pétrolières et gazières et 12 organisations liées à l'industrie participent à l’éducation sur les changements climatiques dans des écoles partout au pays, selon le rapport «L'éducation polluante: L'influence des combustibles fossiles sur l'éducation des enfants au Canada», publié mardi.

Celui-ci explique comment l’industrie minimise son rôle dans la crise climatique, à travers du matériel éducatif qu’elle fournit aux écoles, soit par le biais de partenariats gouvernementaux, soit en finançant des tiers à but non lucratif qui fournissent ce matériel.

Le rapport de 110 pages a été commandé par l'Association canadienne des médecins pour l'environnement (ACEP), le groupe de parents For Our Kids, avec le soutien de la Raffi Foundation for Child Honouring.

«Parlons sciences»

Les auteurs du rapport, Anne Keary et Jennifer Chesnut, lèvent le voile sur différentes techniques utilisées par l’industrie pour, selon elles, limiter la compréhension du public sur le besoin urgent de s’éloigner des combustibles fossiles.

Par exemple, «Parlons sciences» est un organisme caritatif qui emploie plus de 100 personnes à temps plein et qui reçoit des fonds d’une multitude d’acteurs des énergies fossiles, comme Hibernia, Cenovus, Chevron, Shell, Enbridge, Fluor et Enerplus.

Sur son site internet, «Parlons sciences» soutient avoir, à travers différentes ressources pédagogiques, «réalisé plus de 2 millions d'interactions avec des jeunes et des enseignantes et enseignants» dans les 30 dernières années.

L’une des ressources pédagogiques que «Parlons sciences» fournit aux écoles est un document appelé «Production d’électricité: les combustibles fossiles».

Le document, disponible en ligne, explique les «avantages» et les «inconvénients» de l’utilisation de combustibles fossiles pour produire de l’électricité, avant de conclure que les combustibles fossiles ont «amélioré la qualité de la vie aux quatre coins du monde» et pourraient «jouer un rôle dans l’augmentation de la production d’énergie qui réduit la pauvreté énergétique».

Le rapport commandé par l’ACEP souligne que, même si cette ressource pédagogique fait référence aux impacts climatiques, «cette conclusion pro-industrielle ignore les énergies renouvelables en tant que source d'énergie propre qui réduit la pauvreté» et omet également de mentionner les impacts disproportionnés du changement climatique sur les sociétés à faible revenu.

Le rapport souligne aussi que cette ressource pédagogique, un document composé de graphiques, de photos, de diverses illustrations, de liens et de «quiz», omet d'expliquer «les conséquences dévastatrices que l’utilisation continue des combustibles fossiles devrait avoir sur les systèmes climatiques, les écosystèmes et les sociétés humaines du monde».

Inside Education

Parmi les autres ressources pédagogiques analysées dans le rapport, il y a celles d'Inside Education, qui est notamment financé par BP, Cenovus Energy, Enbridge et Suncor.

Cette organisation à but non lucratif produit du matériel pédagogique tel que «Oil Sands Field Trip» et organise des activités comme Generate, «un sommet de quatre jours entièrement financé sur l'éducation au climat et à l'énergie pour les élèves du secondaire, comprenant des repas gratuits, l'hébergement et une subvention de voyage».

Inside Education est également présent sur les réseaux sociaux et produit des vidéos en anglais comme en français.

Dans l’une des ressources éducatives qu’Inside Education fournit aux écoles, une affiche destinée aux enfants, on explique que plus les nouvelles technologies se développeront, plus la remise en état des sites d’exploitations minières s’améliora.

L’affiche fait notamment référence aux mines de charbon et on peut y lire qu’éventuellement, «l’empreinte» d’une mine ressemblera davantage à un «instantané dans le temps».

Mais cette affirmation, soulignent les auteures du rapport, minimise «les impacts dévastateurs du changement climatique provoqué par les combustibles fossiles au fil du temps» ainsi que «l’héritage de dommages irréparables de l’industrie sur les terres, les voies navigables et les communautés autochtones».

Se concentrer sur les actions individuelles

Les auteures du rapport déplorent qu’à travers ses programmes destinés aux écoles, l’industrie présente constamment les petits gestes individuels comme des réponses appropriées à la crise climatique.

Par exemple, Shell a parrainé le programme «Le Défi Régime énergétique en classe», à l’échelle nationale.

Il s’agissait d’un concours annuel, qui a duré 10 ans, et auquel ont participé plusieurs écoles.

En 2022, 100 prix étaient offerts aux classes participantes, dont la valeur totalisait 50 000 $.

Ce programme encourageait les élèves, du primaire et du secondaire, à mesurer et à réduire leur propre empreinte carbone par des actions individuelles.

Shell, quant à elle, «prévoit de développer plus de 800 nouveaux champs de pétrole et de gaz», dénoncent les auteures du rapport en soulignant que les gestes individuels ne font pas le poids devant les projets d'expansion de l'industrie.

À l’image de tous les programmes financés par l’industrie examinés par les auteures du rapport, «Le Défi Régime énergétique en classe» ne met pas en lumière la première solution à la crise climatique, c’est-à-dire la transition rapide des énergies fossiles aux énergies renouvelables.

Mettre l’emphase sur «les petits gestes» est problématique, car cela occulte la responsabilité des plus grands émetteurs: l’industrie pétrolière et gazière, soulignent les auteures.

Mettre l’emphase sur les petits gestes sous-entend également à tort que les changements climatiques peuvent être combattus de manière adéquate «par des changements dans les habitudes de consommation personnelle» alors qu'en réalité, «des changements systémiques sont nécessaires pour abandonner les combustibles fossiles et garantir un avenir sans danger».

Le rapport regorge d’exemples de concours destinés aux écoles du pays ou de programmes scolaires financés par l’industrie et qui mettent l’emphase «sur les petits gestes» individuels.

En 2021, l'organisation Éco Héros (Earth Rangers), financé par l'industrie, encourageait par exemple les étudiants à remplacer les ampoules à incandescence par des ampoules économes en énergie et à prendre une photo de cette action pour la partager sur les réseaux sociaux.

«Utiliser moins d’énergie signifie émettre moins de gaz à effet de serre, ce qui signifie que vous contribuez à lutter contre le changement climatique, directement depuis chez vous! Vous faites un pas de plus vers le statut de scientifique luttant contre le changement climatique, comme ceux qui participent à la COP26 cette année!».

Ce message des Écos Héros destiné aux élèves, souligne le rapport, omettait encore une fois complètement le rôle de l’industrie dans la crise climatique.

Voici une liste non exhaustive d'autres ressources pédagogiques qui sont, en partie ou largement, financées par l'industrie pétrolière et gazière et qui figure dans le rapport de l'Association canadienne des médecins pour l'environnement (ACEP) et du groupe de parents For Our Kids.

Au Québec, Énergir finance en partie le programme Carbone Scol'ÈRE, qui enseigne aux enfants comment «réduire leur propre empreinte carbone en ignorant le rôle de l'industrie», selon les auteures du rapport.

En Alberta, le gouvernement a demandé à Suncor Energy et à Syncrude de s'associer à la création «du programme d'études 2014 pour les élèves de la maternelle à la troisième année, et à Cenovus de s'associer à l'élaboration du programme d'études pour les élèves de la quatrième à la douzième année»

En Saskatchewan, un «nouveau cours de 100 heures sur le pétrole et le gaz a été créé dans les écoles secondaires en partenariat avec Teine Energy».

En Ontario, «Imperial Oil s'est associée à Forêts Canada pour organiser des séances d'information sur l'importance de la plantation d'arbres à l'intention des élèves vivant à proximité de sa raffinerie de pétrole de Sarnia».

Stéphane Blais, La Presse Canadienne

app-store-badge google-play-badge