Un pathologiste ayant examiné plus de 2000 baleines aborde son travail avec humilité

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Par La Presse Canadienne, 2025
VICTORIA — Le pathologiste vétérinaire Stephen Raverty a réalisé quelque 2500 nécropsies de baleines et d'autres grands mammifères marins au cours des 25 dernières années, lui qui travaille pour le ministère de l'Agriculture et des Terres de la Colombie-Britannique.
Quand il est plongé dans son travail, l'expression prend un sens macabre. Imaginez M. Raverty, les pieds dans les entrailles d'une baleine à bosse, tentant de garder l'équilibre dans un véritable bourbier d'intestins, de graisse et de sang.
Une photographie, peu ragoûtante, immortalise un moment en 2011 où M. Raverty, trempé jusqu'aux épaules dans une boue violette, travaille sur une baleine à bosse échouée morte sur l'île de San Juan, dans les eaux américaines, près de l'île de Vancouver.
«Oui, il peut être difficile de se frayer un chemin à travers la carcasse, avec ses côtes et tous ces autres tissus aux textures et aux viscosités différentes», a expliqué M. Raverty.
Il se souvient de la découverte «très satisfaisante» de multiples vertèbres fracturées et luxées, ce qui lui a permis de confirmer que l'animal avait été tué par une collision avec un navire.
M. Raverty a récemment participé à l'enquête sur la mort d'une baleine à bosse, vraisemblablement heurtée par un bateau fin octobre dans la baie de Howe, près de Vancouver. Ce décès s'inscrit dans une série d'autres, dont celui d'une baleine à bosse retrouvée morte le 18 septembre après qu'un navire de BC Ferries a signalé avoir heurté une baleine au large de la côte nord de la Colombie-Britannique, et celui d'une autre retrouvée morte le 8 novembre au large de l'île Lasqueti.
Il arrive que le travail de médecin légiste spécialisé dans les baleines se retourne contre M. Raverty, comme lors de la récente autopsie de la baleine à bosse de la baie de Howe.
Gonflée par la décomposition, la carcasse perforée laissait échapper une odeur nauséabonde. «C'est presque comme une explosion, et le vent, le gaz, souffle juste à côté de vous.»
«Je sens encore l'animal quand je passe devant la buanderie», a dit M. Raverty, lors d'une entrevue trois semaines après l'autopsie.
La compagnie d'observation des baleines Prince of Whales a annoncé qu'un de ses navires avait heurté une baleine à bosse peu avant la découverte de la baleine morte le 25 octobre. La compagnie a déclaré à l'époque dans un communiqué qu'elle était «dévastée» par l'incident et que la baleine avait été vue s'éloigner à la nage.
M. Raverty a affirmé que les lésions trouvées sur l'animal, que le ministère des Pêches a identifié comme étant une baleine de quatre ans connue sous le nom de BCY1464 ou Wisp, étaient compatibles avec une collision, mais il a précisé que l'enquête était toujours en attente des résultats des analyses pour détecter la présence d'algues nuisibles.
«Lorsqu'un animal heurte un navire, nous cherchons à savoir s'il était déjà mort avant la collision. Nous examinons donc le lieu de l'impact pour vérifier s'il y a des saignements.»
M. Raverty a indiqué qu'on espérait que les conclusions concernant les trois décès de baleines récents seraient publiées au début de l'année prochaine.
Des signalements en hausse
Caitlin Birdsall, directrice générale de la Marine Education and Research Society, a indiqué qu'il était difficile de déterminer si le nombre de décès de baleines liés aux collisions avec des navires était en augmentation.
«Ce que nous savons, c'est que le nombre de signalements a augmenté, et c'est tout ce que nous pouvons savoir, a-t-elle détaillé. La plupart du temps, les baleines mortes ne sont jamais découvertes.»
M. Raverty n'intervient pas systématiquement sur les lieux de chaque baleine morte en Colombie-Britannique.
Cependant, si l'animal est accessible, que la situation est sans danger et que les ressources le permettent, les représentants du gouvernement, les chercheurs et les défenseurs de l'environnement font tous appel à M. Raverty pour obtenir des réponses.
Il travaille avec une grande variété d'animaux, des chats et des chiens à la faune sauvage, et estime que les mammifères marins représentent «probablement moins de deux à trois pour cent de notre activité totale» au Centre de santé animale de la Colombie-Britannique où il travaille.
L'intérêt de M. Raverty pour les animaux marins et leur anatomie a débuté à l'âge de 12 ans, lorsqu'il était bénévole à l'Aquarium de Vancouver. Il y a appris auprès du regretté vétérinaire Al MacNeill, qui était également pathologiste vétérinaire pour le gouvernement fédéral.
«L'étendue et la profondeur de ses connaissances étaient tout simplement remarquables», a dit M. Raverty à propos de son mentor.
Titulaire d'un doctorat de l'Université de Stirling, un centre de recherche de premier plan en biologie marine, et de certifications professionnelles des deux côtés de la frontière, M. Raverty a examiné pour la première fois une grande baleine, une orque résidente du sud mâle adulte, J18, échouée près du terminal de BC Ferries à Tsawwassen, en Colombie-Britannique, en mars 2000.
M. Raverty a indiqué que l'animal présentait un gros abcès sur le flanc, et son rapport a conclu à sa mort des suites d'une infection bactérienne.
Une nécropsie commence par la collecte et le catalogage des preuves visuelles au sol et, si nécessaire, par voie aérienne à l'aide d'un drone.
«La première chose que nous faisons est de photographier l'animal et de documenter toute anomalie, a-t-il expliqué. Nous recherchons en particulier des preuves d'interactions humaines, qu'il s'agisse d'une collision avec un navire, d'une hélice, d'un enchevêtrement ou d'autres incidents.»
Viennent ensuite les mesures, étape où les choses peuvent se compliquer.
«On découpe la graisse, on mesure son épaisseur et on caractérise sa couleur et sa consistance. Chez un animal sain qui s'alimente activement, on observe la graisse suinter de la surface de coupe.»
La suite des opérations doit être effectuée dans un ordre précis.
«On commence par examiner le thorax, car les intestins contiennent des bactéries, a indiqué M. Raverty. Si on incise les intestins et qu'on manipule d'autres tissus, on risque de contaminer les échantillons.»
Une fois les organes internes exposés, on peut les prélever pour obtenir des indices, notamment sur les antécédents reproductifs de l'animal.
Parfois, la cause du décès est évidente, comme les traumatismes vasculaires «si violents qu'ils peuvent provoquer la rupture des gros vaisseaux sanguins partant du cœur et une hémorragie massive dans les cavités thoracique et abdominale».
Dans d'autres cas, l'examen des poumons révèle la présence de virus.
M. Raverty utilise notamment des couteaux de boucher et des scies mécaniques pour découper les côtes, a-t-il précisé.
Un travail en laboratoire
Toutefois, une nécropsie ne s'arrête pas au travail physique sur le rivage.
Elle se poursuit au laboratoire, où les échantillons de tissus et de fluides prélevés font l'objet d'analyses complémentaires.
M. Raverty a expliqué que ce travail au microscope peut révéler des indices importants sur la santé des animaux.
Il a ajouté que son travail permet non seulement d'identifier les causes de décès chez les baleines, mais aussi d'extrapoler l'état de santé de l'espèce à l'échelle de la population.
Au fil des ans, M. Raverty a également constaté l'introduction de techniques médico-légales de plus en plus sophistiquées, notamment le séquençage du génome et le séquençage moléculaire.
L'imagerie satellitaire permet de suivre la prolifération de toxines nocives produites par les algues et, en 2021, lors de l'épisode de rivière atmosphérique qui a inondé la vallée du Fraser, elle a montré un panache d'eau brunâtre se déversant dans la mer des Salish.
«Parmi les choses qui me sont venues à l'esprit, il y a les variations de salinité qui peuvent affecter l'intégrité de la peau», a précisé M. Raverty à propos des rejets.
«On y trouve des microplastiques. L'utilisation intensive d'engrais dans la vallée a pour effet d'inoculer le milieu marin avec des nutriments qui pourraient permettre à certaines algues de proliférer et de produire des toxines.»
Autrement dit, M. Raverty ne se contente pas d'effectuer un travail d'analyse médico-légale sur les animaux, mais étudie également leur habitat écologique dans son ensemble, en collaboration avec des chercheurs universitaires et des scientifiques gouvernementaux.
Il a ajouté que son travail ne serait pas possible sans l'aide de la Garde côtière canadienne et des Premières Nations locales.
Il peut être difficile d'assister à la mort de baleines, compte tenu de leur statut d'animaux très intelligents et charismatiques dans les sociétés occidentales, et de leur importance culturelle et spirituelle pour les Premières Nations, a soutenu M. Raverty.
«L'impact est considérable, a-t-il fait valoir. Quand on s'approche de ces animaux morts, souvent, ce qui frappe le plus lorsqu'on les voit dans leur milieu naturel, c'est leur majesté. Ils incarnent une véritable force de la nature.»
Il a confié aborder son travail sur ces animaux si «vénérés» avec «une profonde reconnaissance et une certaine humilité».
«Mais il faut rester objectif.»
Wolfgang Depner, La Presse Canadienne