Un nouveau laboratoire sur les jeux de hasard et d'argent numériques à Montréal


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Un nouveau centre de recherche qui reproduit l'expérience vécue dans un casino a ouvert ses portes à l'Université Concordia, à Montréal. Le collaboratoire CHANCE se distingue des autres à travers le monde en se penchant sur l'aspect social des jeux de hasard et d'argent numériques, selon une chercheuse.
Sylvia Kairouz, professeure au Département de sociologie et d’anthropologie et titulaire de la Chaire de recherche sur l’étude du jeu de l’Université Concordia, explique que plusieurs laboratoires se penchent déjà sur la façon dont l'individu se lie aux jeux numériques.
«Ce qu'on a essayé de créer dans ce laboratoire, c'est de faire cet espace où on reproduit un peu des espaces qui existent dans les casinos au Québec», déclare Mme Kairouz, en entrevue. Elle indique que le centre de recherche a nécessité cinq ans de préparation, et que selon les recherches de l'équipe, il s'agit du premier au monde en son genre.
Le Collaboratoire pour les études des jeux de hasard et d’argent numériques connectés (CHANCE), inauguré le 29 avril, a conçu une salle qui ressemble à la Zone du Casino de Montréal, où se trouvent des consoles de jeux numériques et où des groupes se forment autour des machines dans un contexte festif.
«L'avantage de ça, c'est qu'on est capable de regarder les interactions sociales et l'environnement social qui entourent les jeux de hasard et d'argent. Ça c'est la première dimension qui est propre au laboratoire CHANCE», indique Mme Kairouz.
Le laboratoire peut aussi être transformé en espace de vie de type «lounge» pour que les chercheurs puissent demander à des personnes d'y jouer à des jeux de hasard et d'argent sur leur téléphone ou sur leur tablette électronique dans le cadre d'études. Ils ont également la possibilité d'y convier des personnes à regarder des matchs de sport et à faire des paris sportifs.
Évidemment, les études du laboratoire sont menées avec de l'argent virtuel, et non du véritable argent.
La professeure explique que le collaboratoire, une expression qui illustre l'union entre l'expérimentation et la collaboration, s'attarde à l'interrelation entre l'environnement social, l'individu comme joueur, mais aussi le jeu en lui-même.
«Dans le collaboratoire CHANCE, on est capable de produire des jeux, les offrir, mais les manipuler comme on le souhaite», détaille-t-elle.
«Dans le jeu lui-même, on est capable de contrôler tous ses paramètres et de voir de façon expérimentale, solide avec des données, comment les joueurs réagissent à ça. Est-ce que ces mesures-là viennent chercher le joueur ou pas? Quand il y a des messages préventifs, est-ce qu'ils sont perçus par le joueur? Est-ce que ça change le comportement du joueur? Ou ce sont juste des messages qui font bonne figure, mais qui n’ont aucun impact?»
Un espace surveillé qui vise la prévention
Si le collaboratoire n'est pas un véritable espace de jeux de hasard et d'argent numériques, Mme Kairouz a dit voir lors de l'inauguration du centre de recherche des participants s'immerger dans l'espace de jeu reproduit par les chercheurs.
«Étonnamment, mardi dernier, les gens qui étaient là à l'inauguration, on leur a donné la chance de jouer et d'expérimenter. Rapidement, les gens rentrent dans cet espace de dynamique autour du jeu», a-t-elle dit. Malgré l'argent virtuel, les gens étaient impliqués dans la notion du gain, le fait de gagner ou de perdre, ce qui permet de se rapprocher beaucoup de l'expérience réelle, affirme la professeure.
L'ensemble du collaboratoire est conçu de façon à récolter plusieurs types de données.
«C'est tout connecté par des caméras. On a du eye tracking [suivi des yeux] sur les consoles de jeu. On a des caméras cachées un peu partout et on capte le son également. On observe beaucoup. Il y a des données qualitatives, mais on a des données quantifiables, c'est-à-dire l'acte qui est de jouer, chaque bouton qui est pesé se transforme en une donnée dans nos banques de données», énumère Mme Kairouz.
La professeure explique que le collaboratoire pourra s'attarder à des aspects variés des jeux de hasard et d'argent numériques, comme l'impact des publicités qui apparaissent dans les jeux, ou bien l'endroit où se rendent les données collectées dans les applications de jeu.
Le collaboratoire CHANCE a comme objectif de faire de la recherche innovante, mais aussi de produire des données qui permettent de faire des recommandations en matière de prévention.
Mme Kairouz précise que le centre de recherche pourra accueillir des partenaires qui font de la prévention et du traitement, ainsi que des décideurs.
«Au lieu de faire des recommandations écrites toutes sobres, on va les inviter à venir participer avec nous, donc collaborer avec nous tout au long de nos projets», fait-elle valoir.
À la limite du jeu vidéo et du jeu de hasard
Remarque-t-on une différence sociale entre les personnes qui jouent à des jeux numériques sur des consoles en comparaison avec celles qui jouent sur leur cellulaire?
La professeure Kairouz explique qu'en matière de lieux physiques, des études montrent qu'un effet de groupe peut contrôler le comportement du joueur. Toutefois, de premières observations ont permis de constater que des espaces comme celui de la Zone peuvent banaliser les jeux de hasard et d'argent, notamment avec la présence d'écrans et le fait que les gains soient fêtés, dit Mme Kairouz. Elle précise que ce deuxième aspect sera à explorer.
La chercheuse indique toutefois qu'il est clair que de plus grandes dépenses sont recensées sur les jeux sur les téléphones cellulaires et que les gens y passent plus de temps.
«Le jeu en ligne a cette caractéristique-là de vraiment permettre plus facilement l'immersion et la perte de contrôle. Ça, les données sont claires», affirme-t-elle.
Mme Kairouz participe également à l'organisation d'un colloque qui aura lieu les 8 et 9 mai prochains, dans le cadre du 92e congrès de l'Acfas. Le colloque «Digitalisation, consommation et addiction» se penchera notamment sur des jeux de hasard et d'argent qui reprennent des codes des jeux vidéos, ce qui les rend encore plus attrayants.
Le colloque s'attardera aussi à des jeux numériques hybrides, qui sont gratuits et accessibles, mais qui incorporent des mécaniques de jeux de hasard, souligne la chercheuse, qui précise que ces jeux appellent éventuellement le joueur à devoir dépenser de l’argent.
Le colloque est également réalisé en collaboration avec l'Université Laval, ainsi que le Centre hospitalier universitaire vaudois et l'Université de Lausanne, situés en Suisse.
Coralie Laplante, La Presse Canadienne