Un an après Fiona, une ville de Terre-Neuve s'éloigne de la mer


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Par La Presse Canadienne, 2023
SAINT-JEAN, T.-N.-L. — Un an après qu'une vague provoquée par la tempête post-tropicale Fiona eut frappé l'arrière de sa maison et l'eut tordue comme un tire-bouchon, Lori Dicks vit désormais sur une colline, loin de l'eau.
Elle a toujours une vue sur l'océan, mais elle est suffisamment loin pour qu'il n'y ait aucune chance qu'il enfle et engloutisse à nouveau toute sa vie, comme ce fut le cas le matin du 24 septembre 2022, à Port-aux-Basques, à Terre-Neuve.
«J'y pense encore tout le temps. Tant de changements se sont produits pour nous, pour tout le monde. Même la ville entière est affectée, même le paysage a changé», a-t-elle déclaré récemment lors d'une entrevue, depuis son nouveau domicile à l'autre bout de la province, à Burin Bay Arm.
«De notre côté de la rue, où se trouvaient toutes nos maisons, il n'y a plus rien. Toutes nos maisons sont démolies maintenant», a-t-elle poursuivi.
Fiona a détruit environ 100 résidences ce matin-là dans le sud-ouest de Terre-Neuve, et une femme de 73 ans est décédée lorsqu'elle a été emportée par la mer. Des maisons qui appartenaient à des familles depuis des générations ont été emportées ou détruites, et certains ont tout perdu à l'intérieur de leur demeure.
Mme Dicks et son mari Claude vivaient dans leur maison de Port-aux-Basques depuis près de trois décennies, où ils ont d'ailleurs élevé leur fille. Après que Fiona eut fissuré ses fondations, la maison a été jugée trop dangereuse pour y retourner et elle a été condamnée. Mme Dicks a été autorisée à revenir pendant une brève période pour retirer ce qu'elle pouvait.
Elle se sent chanceuse d’avoir pu sauver quoi que ce soit.
Port-aux-Basques a maintenant établi ce que la municipalité appelle la zone à fort impact – une zone considérée comme la plus à risque de subir de graves dommages causés par les tempêtes, même celles dont la puissance est inférieure à celle de Fiona. Certains habitants l'appellent la «ligne Fiona».
À l'intérieur de cette ligne, plus de 80 maisons ont été emportées par Fiona ou démolies plus tard, après que les dégâts causés par la tempête les ont rendues inhabitables, a déclaré le maire Brian Button, dans une entrevue. Dans le secteur, 57 autres maisons sont toujours debout et occupées. M. Button a déclaré que les propriétés seront rachetées par la province afin que les résidents puissent déménager ailleurs.
Le gouvernement provincial a versé environ 41,6 millions $ en compensation aux habitants du sud-ouest de Terre-Neuve qui ont perdu leur maison lors de la tempête, selon un communiqué du ministère de la Justice et de la Sécurité publique. Les propriétaires des 57 maisons situées à l'intérieur de la zone d'impact recevront au moins 200$ par pied carré pour leur maison, ainsi que de l'argent pour leur terrain, a indiqué le ministère.
La décision de déplacer les gens a été dévastatrice, a affirmé M. Button, mais elle était nécessaire. Fiona a effondré une grande partie du littoral de la ville longeant la mer, et ces maisons sont dorénavant dangereusement proches de l'eau.
«Tout cela est très émouvant, a dit le maire. Nous voyons tous les dégâts qui existent, qui sont visibles. Mais personne n'a réalisé l'aspect santé mentale que cela a eu sur la communauté.»
«Pour moi, personnellement, cela a été un combat, juste pour essayer, mentalement, de garder le cap et de gérer tout cela», a-t-il ajouté.
Au-delà des longues heures et des décisions déchirantes qui lui ont été demandées en tant que maire bénévole d'une ville en proie à un désastre écrasant, il a supporté le poids du chagrin de certains habitants. Des résidents au cœur brisé lui ont crié dessus, pour ensuite l'approcher en larmes pour s'excuser, a-t-il raconté.
«Des gens m'ont dit : "Eh bien, vous ne comprenez pas que vous n'avez rien perdu"». Cependant, M. Button a affirmé qu'il s'est assis avec des centaines de familles touchées, qu'il a entendu leurs histoires et qu'il a pleuré avec elles.
Ashley Smith est propriétaire et directrice générale de la société de conseils en climat Fundamental Inc., basée à Saint John's. Elle affirme qu'à mesure que la planète se réchauffe et que de puissantes tempêtes devraient se dérouler plus fréquemment, les discussions difficiles imposées à Port-aux-Basques doivent avoir lieu dans d'autres communautés côtières.
Elle utilise le terme «retraite gérée» pour décrire un processus d'identification des zones côtières vulnérables, et peut-être l'adoption de règlements interdisant la construction de nouvelles maisons dans ces zones, et imposant le déménagement des gens hors d'elles, comme le fait Port-aux-Basques.
«Toute communauté le long de la côte sera vulnérable. En particulier les petites communautés qui sont restées pratiquement inchangées par rapport à il y a 50, 60, 70 ou 100 ans, a déclaré Mme Smith dans une récente entrevue. La plupart des très petites communautés situées le long des très longues côtes (de Terre-Neuve) sont situées directement au bord de l'eau, et c'est une situation vulnérable.»
La côte atlantique de la Nouvelle-Écosse est également vulnérable, a-t-elle souligné, tout comme certaines parties de l'Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick.
Les conversations sur la retraite gérée sont tendues, reconnaît-elle. Il n’est pas facile de demander aux gens de laisser derrière eux des maisons qui, dans de nombreux cas, ont été construites par des membres de leur famille, il y a des générations. La plupart des villes ne disposent pas non plus des données dont elles ont besoin pour justifier ces décisions, a-t-elle ajouté.
Toutefois, il sera plus sûr et moins traumatisant pour les communautés de commencer les travaux de leur plein gré, plutôt que de se les voir imposer par une tempête comme celle de Fiona, a indiqué Mme Smith.
Dans leur maison perchée à Burin Bay Arm, Mme Dicks et son mari ont recommencé à zéro. Elle a reconstruit son entreprise de coiffure dans sa nouvelle communauté et se trouve à quelques minutes en voiture de sa fille de 29 ans, qui devrait accoucher le mois prochain de leur premier petit-enfant.
Elle retient toujours ses larmes lorsqu'elle parle du coup matinal de Fiona et de la façon dont cela a changé sa vie pour toujours. Elle s'inquiète pour son mari, qui a assisté, impuissant, à la vague qui s'abattait sur leur maison. Même leur chien, Cooper, traverse une période difficile, a-t-elle déclaré.
Ses voisins de Port-aux-Basques lui manquent, mais elle ne pense pas qu'elle pourrait supporter de passer régulièrement par son ancien quartier, où de nombreuses maisons ont disparu.
«D'une certaine manière, je suis heureuse de ne pas être là pour conduire dans notre rue et voir (la situation), a-t-elle confié. Parce que je ne pense pas que je pourrais m'en sortir, pour vous dire la vérité.»
Sarah Smellie, La Presse Canadienne