Toit à moi a commencé à acheter des condos pour lutter contre l'itinérance

Temps de lecture :
4 minutes
Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Passer d’un refuge pour itinérants à un condo en plein Quartier des spectacles à Montréal pourrait sembler impensable et pourtant, c'est ce qui est arrivé à Martin Fortier, qui était jusqu’à tout récemment hébergé par la Maison du Père.
Martin Fortier est l’un des cinq premiers bénéficiaires du projet «Toit à moi» dont les promoteurs ont fait la présentation mardi à Montréal. «Des logements, il n'y en a pas, puis abordables non plus», a-t-il dit avec émotion lors de la conférence de presse de présentation du projet. «Je me sens très, très, très privilégié. J'ai même l'impression que je ne suis pas encore réveillé ce matin. Moi, je vais avoir accès à un appartement qui est tout près d'ici? Jamais de ma vie, je pense que j'aurais été capable d'avoir accès à un immeuble ou à un appartement comme ça, un condominium même.»
Gouvernements, innovez!
Les responsables du projet ont lancé mardi un appel au public, aux grands donateurs et aux gouvernements pour que ces derniers innovent et incluent leur démarche dans leurs programmes de soutien au logement qui se limitent à la construction ou la reprise et la remise en état de logements existants.
Le directeur général de Toit à moi, Serge Lareault, veut qu’on y ajoute l’achat de condos à prix raisonnable. «Il ne faut pas juste construire, requalifier des vieux immeubles. Il faut sauter sur ce marché parce que ce ne sont pas 50, ce ne sont pas 100, ce ne sont pas 500 logements dont on a besoin pour affronter la crise majeure que Montréal vit et l'ensemble du Québec. Ce sont des dizaines de milliers de logements dont on va avoir besoin rapidement.»
«Ce soir, au Québec, il y a 10 000 personnes qui vont dormir dans la rue ou dans un refuge. Ce n'est pas dans cinq ans, ce n'est pas dans dix ans qu'ils veulent un appartement. Le froid, il est ici maintenant», s’insurge-t-il.
Pour les citoyens qui veulent aider
Le modèle de Toit à moi a ceci d’original en ce qu’il permet aux gens ordinaires, qui se sentent impuissants face à la montée de l’itinérance, de faire leur part. Comment? En devenant parrains ou marraines d’un logement avec un don de 25 $ par mois. Il faut 30 de ces petits donateurs pour faire en sorte que le condo, en bout de ligne, ne coûte que 300 $ par mois au futur locataire. Sur le marché, les mêmes condos se louent de 1600 $ à plus de 2000 $ par mois. Déjà, sans même avoir mené de campagne de financement, Toit à moi compte 300 de ces citoyens-donateurs.
Ces petits donateurs vont soutenir les locataires, des personnes vieillissantes, explique Martin Gauthier, cofondateur de l’organisme. «On a priorisé les gens de 55 ans et plus parce qu'elles sont de plus en plus nombreuses à se retrouver en refuge. Elles ont travaillé toute leur vie, souvent à faible revenu et n'arrivent plus à trouver un logement à leur portée et basculent dans les hébergements d'urgence et même dans la rue. Il nous semble urgent de leur offrir le plus rapidement possible de pouvoir vivre dans la dignité.»
Quant à l’acquisition des copropriétés, ce sont des gens comme Martin Gauthier, entrepreneur et philanthrope qui a créé la Fondation famille Gauthier et qui a fait don de 2 millions $ sur trois ans, qui la rendent possible. Aux grands donateurs, fondations et corporations s’ajoutent des prêts hypothécaires et des investisseurs en ce qu’on appelle du capital patient. Il ne manque, en fait, que les gouvernements auxquels s’adressait l’appel à l’aide lancé mardi.
Moins cher, plus vite
On peut s’attendre à ce que les pouvoirs publics tendent l’oreille. Construire un logement social coûte de 450 000 $ à 500 000 $ l’unité et il faut l’attendre de quatre à six ans. Toit à moi vise le marché des condos de moins de 300 000 $ – il y en a «des centaines à Montréal», selon M. Gauthier – et ceux-ci peuvent être remis à leurs nouveaux locataires en deux mois. La mathématique est on ne peut plus claire.
L’appel vise non seulement le grand public et les grands donateurs, mais aussi les promoteurs immobiliers, à qui l’on demande d’offrir leurs condos invendus.
Toit à moi entretient des objectifs ambitieux. On vise l’achat de 75 condos par année à Montréal au cours des deux prochaines années. Ensuite, de 2028 à 2030, 150 par année dans la métropole et ses couronnes, notamment Longueuil et Laval et, à compter de 2030, 150 autres logements par années partout au Québec. L’initiative intéresse d’ailleurs plusieurs villes hors de la région métropolitaine qui n’ont pas accès à des grands organismes et donateurs. «Le concept sera autant sinon plus pertinent dans les autres villes», a fait valoir Serge Lareault.
Un soutien communautaire
À terme, on veut pouvoir offrir 1000 logements hors marché d’ici 2035 et pas seulement un toit, mais aussi un soutien communautaire avec les ressources et le suivi nécessaires à ce rétablissement en société. À Montréal, le Chaînon et la Maison du Père se sont associés à Toit à moi pour ce soutien.
«Nous ne sortons pas de l’itinérance intact. Impossible. C’est traumatisant. Ça laisse des traces, des blessures et une insécurité, une perte de confiance en soi. Donc l’accompagnement est important», a expliqué la présidente et directrice générale du Chaînon, Sonia Côté.
«La situation est urgente, rappelle Martin Gauthier. Les services d'hébergement sont pleins. Des centaines de personnes dorment dans la rue, directement sur le trottoir ou dans des tentes. Leur nombre semble évidemment augmenter sans fin. Et comme plusieurs personnes ici le savent, plusieurs personnes attendent dans les refuges des mois et sinon des années avant d'avoir une place en logement stable.»
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne