Survie des libéraux: Son rapport de force retrouvé, le Bloc dit être négociable
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTEBELLO — À quelques jours d'une rentrée parlementaire qui sera marquée par le déchirement de l'entente qui permettait aux libéraux de Justin Trudeau de se maintenir au pouvoir grâce à l'appui des néodémocrates, le Bloc québécois se réjouit de retrouver son rapport de force et annonce être prêt à marchander son soutien lors des votes de confiance. Et la formation politique dirigée par Yves-François Blanchet a déjà dressé sa liste de demandes.
«On est très contents», lâche au bout du fil le leader parlementaire bloquiste, Alain Therrien, en entrevue avec La Presse Canadienne à l'aube du caucus présessionnel de son parti qui débute lundi à Montebello, en Outaouais.
M. Therrien explique que c'est «une fenêtre d'opportunité» qui s'ouvre pour le Bloc alors que les libéraux redeviendront «véritablement» un gouvernement minoritaire.
«Nos objectifs restent les mêmes, mais le moyen d’y arriver, ça va être beaucoup plus facile, dit-il. On va négocier et chercher des gains pour le Québec. (...) Notre rapport de force, il s'est amélioré, ça, c'est clair.»
Mais un stratège bloquiste à qui La Presse Canadienne a accordé l'anonymat puisqu'il n'était pas autorisé à s'exprimer publiquement a été beaucoup plus tranché. «Ils (le NPD) viennent officiellement de nous redonner un rapport de force, (...) la balance du pouvoir», a-t-il dit.
Et, au Bloc, on prend, semble-t-il, pour un fait accompli que le résultat des prochaines élections – qui doivent avoir lieu d'ici tout au plus un an – sera un gouvernement conservateur majoritaire dirigé par Pierre Poilievre.
«Ça va arriver avec ou sans le Québec, poursuit notre source. Ils (les conservateurs) sont 20 points d’avance partout au Canada, à l’exception du Québec, et ça ne changera pas. (...) Leur vote est ferme.»
Alors que les troupes de M. Poilievre promettent de multiplier les votes de confiance dans l'espoir de provoquer des élections générales au pays, la stratégie du Bloc ne sera pas de «passer en mode préélectoral» et de «s'empresser de faire élire un gouvernement conservateur majoritaire».
Ils considéreront plutôt avoir été élus pour un mandat de quatre ans et entendent utiliser leur pouvoir retrouvé pour faire ce qu'ils considèrent comme étant des gains pour le Québec.
Il n'y a rien de surprenant à ce que les bloquistes voient une excellente nouvelle dans le déchirement de l'entente qui permettait aux libéraux de gouverner sans écouter leurs demandes, a expliqué la politologue Geneviève Tellier de l'Université d'Ottawa.
«Le Bloc n’a de l’influence que si le gouvernement, peu importe lequel, est minoritaire, a-t-elle expliqué. Dans le cas d’un gouvernement majoritaire, la pertinence du Bloc devient plus difficile à justifier parce que comme les autres partis il peut s’opposer, il peut demander au gouvernement de rendre des comptes, mais il ne peut pas influencer les politiques du gouvernement.»
À vos calepins
Or, cet appui ne viendra pas sans rien en échange: il y aura «des conditions», prévient-on dans les officines bloquistes. Les libéraux peuvent à présent commencer à prendre des notes.
Les bloquistes veulent que le gouvernement fasse accorder la recommandation royale à leur projet de loi C-319 qui vise à augmenter la pension des aînés de 65 à 74 ans au même niveau que celle versée aux 75 ans et plus.
Un projet de loi ayant une incidence budgétaire et qui émane d'un député, comme c'est le cas ici, doit nécessairement obtenir la recommandation royale avant la troisième lecture faute de quoi le règlement prévoit que le président de la Chambre mettra un terme aux délibérations et le jugera irrecevable.
«Ça, c’est un cheval de bataille, indique M. Therrien. On a un projet de loi là-dessus, donc ce n’est pas nébuleux, ce n’est pas énigmatique. (...) Le gouvernement, s’ils nous le donnent (la recommandation royale), ça se peut que s’il y a un vote de confiance, on pourrait peut-être les laisser passer pour cette fois-ci.»
Le Bloc veut aussi que le Québec obtienne davantage de pouvoirs en matière d'immigration, en particulier au chapitre des travailleurs étrangers temporaires. Il souhaite également aller «chercher l'argent que le gouvernement fédéral nous doit».
Ces demandes concernant les pensions des aînés et les pouvoirs en immigration sont «faciles, faisables et claires», a insisté M. Therrien. «C'est clair que ce sera sur la table. Je peux vous le dire: c’est moi qui vais négocier.»
Mais les bloquistes ont aussi en tête d'«éliminer l'aide financière colossale» aux pétrolières, d'accorder davantage de financement aux soins de santé comme le réclament les premiers ministres des provinces et de limiter ou d'éliminer l'empiétement des compétences des provinces par Ottawa.
Surveiller ses arrières
Sur le plan électoral, les bloquistes entendent faire grossir leurs rangs – qui sont aujourd'hui composés de 32 députés – essentiellement en chassant sur les terres libérales.
Ils veulent arracher Gaspésie-Les Îles-de-la-Madeleine-Listuguj à la ministre des Pêches, Diane LeBouthillier, mais également Québec-Centre au ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Jean-Yves Duclos, ainsi que faire des gains en Estrie.
Ils devront toutefois surveiller leurs arrières, alors que les conservateurs ne cachent pas qu'ils convoitent leur lunch.
Le parcours qu'a emprunté le véhicule récréatif de Pierre Poilievre aux allures de caravane électorale qui a sillonné le Québec cet été en dit d'ailleurs long à ce sujet. L'engin, dans lequel il accordait même des entrevues, affichait une photo de M. Poilievre avec sa famille, les couleurs et le logo de son parti ainsi que son message de «gros bon sens» en français et en anglais.
«Le Parti conservateur va jouer dans les platebandes du Bloc québécois», note la professeure Tellier. Elle a précisé que le Saguenay-Lac-Saint-Jean et la grande région de Québec sont des terrains fertiles pour eux, notamment parce que l'attrait d'avoir une voix à la table des décisions peut plaire s'il y a un sentiment que les conservateurs pourraient former un gouvernement majoritaire.
M. Poilievre met aussi beaucoup l'accent sur la circonscription de Trois-Rivières où il veut faire élire l'ancien maire Yves Lévesque.
Pour ne pas perdre du terrain, notre source a expliqué que sa formation politique devra démontrer être «davantage connectée sur les priorités des Québécois que tout autre parti» et qu'elle est «la seule» qui parle pour les Québécois, qui travaille pour eux et qui a les propositions qu'ils souhaitent.
En entrevue, son leader parlementaire est passé à l'attaque, se moquant des «messages extrêmement généraux» du chef conservateur et de sa réticence à répondre directement aux questions.
«C'est du grand n'importe quoi», a déclaré M. Therrien. Par exemple, lorsqu'il répète qu'il va réparer le budget, «il va faire ça quoi, avec un tournevis».
Selon lui, le chef conservateur sera tôt ou tard «obligé» en campagne électorale de débattre et d'expliquer sa pensée. «Ce que les Québécois vont s’apercevoir c’est que les libéraux et les conservateurs se ressemblent beaucoup plus que les Québécois ne le pensent», a-t-il affirmé.
Michel Saba, La Presse Canadienne