Rémunération des médecins: des expertes estiment que la réforme doit aller plus loin

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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTREAL — Changer le mode de rémunération des médecins est nécessaire au Québec, réitèrent des expertes, mais il s'agit d'un faux débat, selon elles, puisque les parties étaient déjà toutes d'accord sur ce point. De plus, on avance que la loi 2 ne va pas assez loin et qu'on devrait faire des médecins des salariés du réseau, comme c'est le cas de la plupart des autres professionnels de la santé.
Actuellement, environ 70 % de la rémunération globale des médecins du Québec provient de la rémunération à l’acte. Avec la loi 2, ce taux chuterait de plus de moitié. Pour le reste, le salaire d'un médecin serait basé sur la capitation (le nombre de patients sur sa liste), une autre partie serait aussi liée à un taux horaire et à des cibles de performance, ce dernier point faisant gronder les fédérations de médecin.
Anne Plourde, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), croit que revoir le mode de rémunération des médecins est un incontournable.
«À certains égards, ce qui est proposé dans le projet de loi, si on exclut toute la question des cibles de performance, la pression au volume — ça, on ne pense pas que c'est très positif — mais disons remettre en question la part du financement à l'acte pour introduire de la capitation et la rémunération à l'heure, ça, c'est positif», dit-elle.
Mme Plourde voit d'un bon œil — comme le propose d'ailleurs Québec solidaire — de salarier les médecins et qu'ils cessent ainsi d'être des travailleurs indépendants.
«[Avec le projet de loi 2] on n'est pas en train de remettre en question le statut des médecins d'entrepreneurs privés au sein de notre système de santé, déplore la chercheuse. Même si on change le mode de rémunération, les médecins demeurent des entrepreneurs privés qui vendent leurs services au régime public. Et ça, à notre avis, ça nuit notamment à l'accès aux services parce que ça nuit à l'intégration réelle des médecins au sein du réseau public, au sein des équipes multidisciplinaires du réseau public.»
Les indicateurs de performance ne sont pas nécessairement une mauvaise idée, mais c'est le concept de les lier à la rémunération qui est problématique, selon Mylaine Breton, de la Chaire de recherche du Canada en gouvernance clinique des services de première ligne et professeure titulaire au département des sciences de la santé communautaire à l'Université de Sherbrooke.
Elle souhaiterait qu'ensemble, les médecins et le gouvernement identifient ces indicateurs de performance. «D'abord et avant tout, il faut retourner ces données aux professionnels, pas à une fin coercitive, mais vraiment soutenir une pratique réflective, comme un bulletin. On a des bulletins depuis qu'on est au primaire pour voir c'est où nos forces, nos faiblesses, comment on peut s'améliorer. Quand tu n'as aucune donnée, tu n'as aucune idée si t'es bon ou pas», illustre Mme Breton.
Elle est critique par rapport à l'état du réseau actuel. «On a une première ligne qui est en train de couler. Puis là, on les aide (les médecins) à couler par en bas», dénonce-t-elle. Elle croit qu'avec la loi 2, le gouvernement n'aide pas les médecins à accomplir leur mandat. Pour y arriver, les décideurs doivent d'abord mettre en place l'infrastructure pour collecter les données, puis identifier avec les médecins les indicateurs où ils peuvent s'améliorer «mais pas à des fins de les lier à la rémunération individuelle», s'empresse-t-elle d'ajouter.
Des médecins salariés avec le même budget
Selon Mme Plourde, il ne faudrait pas plus d'argent pour entreprendre ce virage majeur qui ferait des médecins des salariés. L'enveloppe actuelle sert déjà à couvrir les prestations d'assurance sociale, car les médecins vont réserver une partie de leur salaire pour le cotiser dans leur fonds de pension ou dans d'autres types de protection sociale.
«Actuellement, si on prend l'exemple des médecins spécialistes au Québec, ils sont payés en moyenne 460 000$ par année. Ça, c'est six fois plus qu'un employé salarié à temps plein moyen au Québec. C'est énorme. En fait, ce ratio, c'est le plus élevé de tous les pays de l'OCDE. Donc, on pourrait très bien, avec l'enveloppe actuelle, offrir un salaire tout à fait adéquat aux médecins tout en leur offrant des protections sociales, un fonds de pension, à même l'enveloppe existante», soutient Mme Plourde.
Là où le bât blesse avec la loi 2, c'est la façon de l'imposer de manière coercitive. «C'est un faux débat parce que tout le monde était d'accord par rapport à changer les modalités de rémunération des médecins. [...] Même la FMOQ [Fédération des médecins omnipraticiens du Québec] était très ouverte à ça. On le sait, ce sont des modalités beaucoup plus modernes, et juste à l'acte ou juste à la capitation, il y a des désavantages très grands dans les deux milieux», explique Mme Breton.
La professeure pointe un autre enjeu dans la rémunération des médecins: la prime de 30 % accordée aux omnipraticiens pour les frais de bureau. Cette prime devait initialement être diminuée dans le projet de loi 2, mais le ministre de la Santé, Christian Dubé, a décidé de la maintenir dans une volonté de tendre la main aux médecins.
Certains médecins ont de la difficulté à couvrir tous leurs frais administratifs avec la prime de 30 %, mais d'autres empochent la différence une fois toutes les dépenses couvertes par la prime. «Dans un contexte où on veut valoriser la médecine familiale, on ne veut certainement pas qu'ils gagnent moins cher. [...] On veut qu'ils investissent dans ces infrastructures. Je pense qu'il faut réfléchir à comment on peut devenir cohérent parce que c'est clair que dans une transformation, de sortir le financement de l'infrastructure, de la rémunération individuelle, c'est une bonne idée, convient Mme Breton. Je pense qu'on l'a mal construit il y a 30 ans, sauf que là, il faut le faire de manière transitoire, puis il ne faut certainement pas le faire pour que les GMF fassent faillite, et que ça demeure quand même attrayant comme milieu de pratique», conclut-elle.
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne