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Quand la thérapie de couple s'adapte à de nouvelles réalités

durée 14h11
15 mai 2023
La Presse Canadienne, 2023
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

MONTRÉAL — La notion de famille s'est élargie au fil du temps; autrefois réservé à un couple de parents hétérosexuels et leurs enfants, le terme s'applique aujourd'hui à un groupe de personnes que le cœur a choisi. Avec cet élargissement du noyau familial, les raisons de faire appel à un professionnel en relation d'aide varient, elles aussi.

Thérapeute conjugale et familiale (TCF) depuis neuf ans et travailleuse sociale depuis plus d'une vingtaine d'années, Anny Veillette constate que les raisons de faire appel à ses services ont évolué au fil du temps.

«De façon générale, les gens sont plus sensibles à leur vie de couple, mentionne-t-elle, alors que débute ce lundi la Semaine des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec. Avant, on consultait pour des problèmes avec les enfants. Il reste encore des demandes du genre, mais les gens consultent davantage en faisant la différence entre la situation avec les enfants et l'état de leur vie de couple.»

«Il y a de plus en plus de demande; les gens réalisent qu'il n'y a pas de raison d'avoir honte d'aller demander de l'aide ou des conseils pour leur santé mentale, la santé de leur couple et leur santé sexuelle», complète Joanie Heppell, sexologue et présidente de son ordre professionnel.

Ce faisant, les couples qui choisissent de faire appel à un thérapeute le font généralement par un réel désir d'améliorer leur relation.

«Il y a un demi-siècle, les couples se séparaient peu parce qu'une pression extérieure les contraignait à rester ensemble. Aujourd'hui, les gens restent en couple pour des raisons internes; il n'y a plus cette pression», affirme la Dre Christine Grou, présidente de l'Ordre des psychologues du Québec.

L'évolution des mœurs amène également de nouveaux enjeux au sein des couples.

«Évidemment, certaines pratiques persistent, comme des problèmes de communication, la gestion des conflits, la relation avec les enfants ou avec la famille de notre partenaire, ou la sexualité, énumère Abdelghani Barris, TCF. Mais les manières d'être en couple ont changé, et on est passé d'unions traditionnelles vers des formes plus ouvertes, plus fluides, qui génèrent nécessairement des enjeux qui n'étaient pas aussi présents auparavant.»

«Il y a plusieurs modèles de famille qui amènent de nouvelles réalités, non seulement pour les partenaires, mais pour les enfants et les autres membres de la famille, poursuit Dre Grou. Mais peu importe le modèle choisi, des constantes demeurent: il faut un respect de l'autre, une bonne communication, des valeurs fondamentales communes et un attachement qui unit. Cet attachement significatif est un facteur de protection pour la santé mentale.»

La pandémie comme facteur d'exacerbation

La pandémie de la COVID-19 a  joué un rôle important dans l'exacerbation de certains problèmes de couple ou familiaux, notamment en raison du confinement. «Ça a vraiment isolé les gens. J'ai des couples qui ont été deux ans ensemble avec moins d'activités, moins de stimulation ou de rencontres, et ça a appauvri leur relation», estime Mme Veillette.

Un sondage Léger commandé par l'Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ) en 2022 indiquait d'ailleurs que 30 % des Québécois avaient observé une hausse des tensions ou des conflits au sein de leur couple ou de leur famille depuis le début de la pandémie.

Dans d'autres cas, le confinement a permis à des couples de prendre conscience de certains éléments problématiques et d'entamer une démarche thérapeutique en prévention, soutient Mme Heppell. «Ça a permis un certain recul, un nouveau regard sur la relation et dans plusieurs cas, le couple a choisi de ne pas attendre que les problèmes s'exacerbent. Je vois ça d'un très bon œil», dit-elle, d'autant plus que «les gens ont tendance à attendre de 6 à 7 ans avant de demander de l'aide», ce qui est souvent trop tard.

Enfin, certains couples se sont plutôt trouvés renforcés par le confinement. «Des études ont démontré que les gens qui étaient bien en couple ont été protégés pendant la pandémie, mais que ceux qui étaient malheureux ou insatisfaits de leur couple ont été plus vulnérables. On comprend donc que la pandémie a exacerbé des pressions déjà existantes quand il y en avait», précise Dre Grou.

Délais d'attente variables

Quand elle lit dans les journaux qu'il y a des délais d'attente d'un à deux ans pour consulter, la thérapeute pratiquant à Québec grince des dents. «Ça ne fait que décourager des couples en souffrance de penser qu'ils n'auront pas l'aide dont ils ont besoin alors que c'est possible de leur trouver une place», dit-elle.

Au plus fort de la pandémie, Mme Veillette avait décidé de tenir une liste d'attente, qui s'est avérée inutile puisque les clients finissaient toujours par trouver ailleurs. «Même si on affiche complet, en cours de route, il y a des couples qui arrêtent ou qui terminent leur démarche, explique-t-elle. Alors, il y a toujours des places qui se libèrent.»

La pandémie et la hausse des demandes, jumelée à un manque de professionnels qualifiés, expliquent quand même le temps d'attente auquel font face les couples ayant besoin d'aide, soutient M. Barris.

«Il n'y a pas suffisamment de formation pour les TCF, et il n'y en a pas suffisamment qui sont formés au Québec, et même au Canada», avance-t-il.

Le titre de TCF n'est d'ailleurs pas reconnu dans le réseau de la santé et des services sociaux; ce faisant, l'élan de la profession au Québec est ralenti, estime l'OTSTCFQ. Résultat, plusieurs thérapeutes conjugaux et familiaux pratiquent aussi sous un autre titre professionnel qu'ils détiennent, tels que psychologue, travailleur social, infirmier, sexologue, médecin ou avocat.

Dre Grou, estime toutefois que le boom de la demande engendré par la pandémie est en train de se résorber. «J'ai certaines raisons de croire que ça se calme un peu, indique-t-elle en entrevue. Mais c'est plus au niveau des cabinets privés; dans le réseau public, on manque environ 900 psychologues pour répondre à la demande.»

La téléconsultation, qui s'est largement répandue depuis trois ans, a permis de prendre en charge une clientèle qui attendait, faute de services à proximité. «Maintenant, on n'est plus obligés de trouver un professionnel qui se trouve dans sa ville», poursuit Mme Grou.

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Cette dépêche a été rédigée avec l'aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.

Marie-Ève Martel, La Presse Canadienne