Protection du français: les oppositions dénoncent la molesse d'un règlement

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Par La Presse Canadienne, 2025
OTTAWA — Les principaux partis d'opposition aux Communes et des organisations de défense des francophones ont dénoncé la mollesse d'un règlement proposé par Ottawa pour donner des amendes aux contrevenants à la nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles. Or, le gouvernement libéral de Mark Carney – qui aura le dernier mot – refuse de se prononcer.
«Au niveau des montants des sanctions qui peuvent être infligées à des entreprises qui font des chiffres d'affaires en centaines de millions de dollars, quelques milliers de dollars d'amendes (...) c'est à la limite ridicule», a envoyé l'avocat de Droits collectifs Québec, François Côté, devant un comité parlementaire, mardi.
Le porte-parole ne mâche pas ses mots. Selon lui, le projet de règlement «rate sa cible» par sa «petitesse», sa «timidité» et son «manque de dents».
Le document, qui tient sur six pages, a été déposé pas moins de deux ans et demi après l'adoption de la loi, alors qu'Ottawa promettait de le faire un an plus tôt. «On a fait beaucoup de consultations», s'est justifiée la sous-ministre Julie Boyer du ministère du Patrimoine canadien.
En vertu du règlement proposé, une entreprise comme Air Canada, une habituée de la première marche du podium du non-respect des droits des francophones dans les palmarès du Commissaire aux langues officielles, pourrait se faire imposer des amendes allant jusqu'à 50 000 $ par infraction.
Or, le règlement devrait prévoir automatiquement de «doubler et de surdoubler» les amendes, a déclaré le porte-parole conservateur en matière de langues officielles, Joël Godin. «Je dis souvent "volonté et intention". Je ne le sens pas», a-t-il soupiré.
«Pourquoi ne pas aller jusqu'à un million de dollars parce que la dissuasion doit être financière», a plus tard renchéri un représentant de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA).
Mais les amendes seront distribuées en «dernier recours», précise le ministère du Patrimoine canadien, notamment après qu'une «ordonnance» du commissaire pour revenir dans le droit chemin n'ait pas été respectée.
Et même lorsqu'il sera prêt à mettre une entreprise à l'amende, le commissaire devra dresser une liste exhaustive des critères dont il a tenu compte parmi ceux dans le règlement et expliquer comment le montant de la sanction a été établi, une lourdeur que le commissaire a lui-même dénoncée la semaine dernière.
«Que se passe-t-il si l'on manque de mentionner l'un des critères, a évoqué Me John Mark Keyes de la FCFA. Est-ce que ça va annuler la violation? Ce genre de détails donne les moyens de contestation pour attaquer la décision du commissaire.»
«De belles recommandations», dit Ottawa
Le règlement prévoit aussi que les seules organisations qui pourront être mises à l'amende sont Air Canada, les administrations aéroportuaires, y compris les concessions (restaurants, magasins de détail, agences de location de voiture, etc.), VIA Rail et Marine Atlantique.
Or, les partis d'opposition au comité ne digéraient pas de voir une liste si restreinte. Le porte-parole bloquiste en matière de langues officielles, Mario Beaulieu, s'est notamment demandé pourquoi des amendes s'appliquent aux «Tim Hortons» d'un aéroport, mais pas au service de sécurité.
«On a considéré ceci longuement», lui a répondu la sous-ministre Boyer en expliquant que l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien est entièrement financée par des fonds publics. «Si ça ne te coûte rien parce que ça vient du Parlement et on le redonne au Parlement, ça n'aura pas l'effet voulu», a-t-elle dit.
Quant à l'idée d'appliquer ce règlement à d'autres entreprises à charte fédérale, comme les banques, les entreprises de télécommunications, et les autres transporteurs aériens, Ottawa répond être en train de développer un autre règlement.
Les libéraux au comité ont été très prudents dans leurs questions. Questionnée par La Presse Canadienne, la secrétaire parlementaire du ministre des Langues officielles, Madeleine Chenette, a refusé de dire si des changements devraient être apportés, se limitant à remercier les témoins pour leurs «belles recommandations».
Pressée à dire si le règlement manque de mordant, l'élue libérale a lâché qu'«il faudrait regarder dans quelle partie il y a plus de faiblesses que d'atouts» plutôt que de «poser un jugement de la sorte – c'est mou ou c'est fort».
Interrogé quelques instants plus tard, M. Beaulieu du Bloc québécois ne s'est pas gêné pour dénoncer un règlement «très mou» qui, une fois renforcé, devrait s'appliquer de surcroît à toutes les institutions fédérales.
«On voit que depuis 50 ans, les mêmes plaintes reviennent, reviennent, reviennent. Là, on arrive avec ça. On accouche d'une souris», a-t-il dit.
En fin de compte, le comité parlementaire présentera un rapport avec des recommandations à la Chambre des communes, mais c'est uniquement l'exécutif qui déterminera ce qu'il adviendra du règlement.
Michel Saba, La Presse Canadienne