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Pipeline dans le nord du Québec: deux tracés potentiels

durée 05h00
16 décembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Des groupes environnementaux ont publié mardi matin une carte qui indique les tracés où l’entreprise norvégienne Marinvest Energy aurait proposé de construire un pipeline dans le nord du Québec.

Marinvest Énergie Canada, une filiale de la société énergétique norvégienne, a l’intention de construire un pipeline qui partirait de l’Ontario jusqu’à Baie-Comeau, où elle compte construire une usine de liquéfaction et un terminal maritime pour exporter du gaz naturel provenant de l’Ouest canadien.

À la suite de présentations effectuées auprès de Premières Nations, des groupes environnementaux soutiennent avoir mis la main sur les deux tracés envisagés par l’entreprise norvégienne.

«On rend publics ces tracés parce que c’est important que les Québécois et Québécoises puissent voir ce qui se trame actuellement», a indiqué Alice-Anne Simard, directrice de Nature Québec.

Un des tracés propose qu’un pipeline passe par l’Abitibi, au nord de Rouyn-Noranda et de Val-d’Or et au sud d’Amos, pour ensuite traverser la Mauricie puis contourner le Lac-Saint-Jean au nord, près d’Alma, et de se rendre à Baie-Comeau.

Ce scénario est «problématique», avance la directrice de Nature Québec, notamment «parce qu’il viendrait passer vraiment très proche du Lac-Saint-Jean, dans la portion où la population du Lac-Saint-Jean se trouve».

Questionné par La Presse Canadienne, Justin Meloche, du cabinet National, qui s’occupe des relations publiques de Marinvest, a indiqué lundi que «cette carte date déjà de plusieurs semaines» et que ce trajet est «écarté à l’heure actuelle».

La deuxième proposition partirait du nord de l’Abitibi et se dirigerait vers le nord de Lebel-sur-Quévillon, en passant par le sud de Chibougamau jusqu’à Baie-Comeau, un itinéraire qui éviterait davantage les secteurs habités.

Ce tracé «est une ébauche préliminaire» et «ce n'est rien de définitif», a indiqué le relationniste Justin Meloche.

Peu importe le scénario, la construction d’un tel pipeline de 1000 km entraînerait «de la déforestation sur l’ensemble du tracé ainsi qu’une grande fragmentation des habitats fauniques et floristiques, en plus de causer la destruction de nombreux milieux humides et hydriques», a dénoncé Henri Jacob, président de l’Action Boréale, dans un communiqué.

«Les traversées de nombreuses rivières et cours d’eau présentent aussi des risques pour la faune aquatique et la pollution de l’eau. De plus, l’emprise du pipeline de 60 mètres de large limiterait beaucoup d’activités aux utilisations traditionnelles, tels la chasse, la pêche, le piégeage, la cueillette de plantes médicinales, etc.», a souligné Henri Jacob.

Selon Alice-Anne Simard, «la compagnie Marinvest est à pied d'œuvre pour faire accepter son projet par les gouvernements et par les Premières Nations, mais elle fait ce travail-là dans l'ombre, loin du regard des Québécois, ce qui est problématique, car on veut avoir une réelle discussion».

Dix lobbyistes enregistrés

Le registre des lobbyistes du Canada et celui du Québec indiquent que l’entreprise Marinvest Énergie Canada a engagé au moins dix lobbyistes pour promouvoir l’oléoduc auprès des gouvernements du Québec et du Canada.

«On peut s’attendre à ce que la compagnie essaie de convaincre les gouvernements de donner des fonds publics pour le développement de ce projet», a commenté Alice-Anne Simard.

Selon des documents obtenus par La Presse Canadienne au mois d’octobre dernier, une série d'activités de lobbying ont été menées par Marinvest Énergie Canada ces derniers mois à l'intention de hauts fonctionnaires, de membres du personnel politique du bureau du ministre fédéral de l'Énergie, Tim Hodgson, d'un conseiller principal du premier ministre Mark Carney et du chef conservateur Pierre Poilievre.

Nature Québec, Greenpeace Canada et l’Action Boréale craignent que ce projet d’oléoduc soit désigné comme un projet d'intérêt national dans le cadre de la loi C-5 au fédéral ou encore qu’il soit désigné prioritaire et d'envergure nationale selon le projet de loi Q-5, déposé par Québec la semaine dernière.

Ces deux lois visent à accélérer l’octroi des autorisations pour les grands projets.

«Ces nouvelles lois créent une fenêtre d'opportunité pour les promoteurs d’énergies fossiles: moins de temps pour s'opposer, moins de protection pour le territoire. C'est exactement le moment où il faut être le plus vigilant», a indiqué Louis Couillard, responsable de la campagne énergie-climat de Greenpeace Canada.

Selon lui, «le gouvernement Legaut devrait fermer la porte tout de suite au projet», parce que «de toute façon, le pipeline ne verra pas le jour, car il n’y a pas d’acceptabilité sociale».

Sur son site internet, Marinvest Energy se décrit comme une entreprise de développement de terminaux et de systèmes d'énergie marine «durable».

Mais la directrice de Nature Québec rappelle que le gaz albertain, extrait essentiellement par fracturation hydraulique, n’est pas une énergie «durable» ou de transition.

Ce type de projet, ajoute-t-elle, irait à l’encontre des recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et de l’Agence internationale de l’énergie, qui soutiennent «qu’on ne doit pas construire de nouvelles infrastructures d'énergie fossile» si on veut respecter l’Accord de Paris.

«En plus d'être désastreux pour la planète, ce projet est un gouffre financier: investir des milliards dans une infrastructure qui sera obsolète avant même sa mise en service, c’est un non-sens total» affirme Alice-Anne Simard.

Exporter du gaz vers l’Europe

L'installation proposée par Marinvest «pourrait permettre au Canada d'exporter des volumes importants de gaz naturel canadien vers l'Europe afin de soutenir sa sécurité énergétique à moyen terme et sa transition énergétique à long terme», peut-on lire dans une note d'information destinée, au printemps dernier, au sous-ministre de Ressources naturelles Canada et dont La Presse Canadienne a pris connaissance.

De son côté, le premier ministre Legault avait indiqué, à propos du projet, en juillet dernier, que «si c’est payant pour les Québécois, on va le regarder. Si ce n’est pas payant pour les Québécois, on ne le regardera pas».

En 2021, son gouvernement avait pourtant mis la hache dans le projet GNL Québec à Saguenay, un projet semblable à ce que compte faire Marinvest Energy.

Le gouvernement du Québec affirmait qu'il risquait de «nuire à la transition énergétique». L'année suivante, le projet de GNL a également été rejeté par le gouvernement fédéral, après que l'Agence d'évaluation d'impact du Canada a conclu qu'il était susceptible de nuire à l'environnement.

Dans une déclaration transmise à La Presse Canadienne, Marinvest Energy écrit que le projet de pipeline «n'a pas encore été officiellement soumis aux autorités compétentes et en est toujours à un stade préliminaire».

Par conséquent, «aucun plan technique, environnemental ou économique complet n'a été finalisé ou rendu public».

Pour le moment, l’entreprise affirme que sa «priorité absolue» est d'établir un «dialogue respectueux et transparent avec les Premières Nations et les communautés autochtones», au sujet de son projet de pipeline et d’un terminal maritime pour exporter du gaz naturel.

Stéphane Blais, La Presse Canadienne

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