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Ottawa est exhortée à empêcher les armes canadiennes d'alimenter la guerre au Soudan

durée 16h15
3 novembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

OTTAWA — Alors que le premier ministre Mark Carney s'apprête à se rendre aux Émirats arabes unis, des organisations de défense des droits de la personne appellent son gouvernement à redoubler d'efforts pour stopper le flux d'armes en provenance des Émirats vers une milice soudanaise responsable d'actes de violence ethnique.

Bien que les Émirats arabes unis affirment ne pas armer les Forces de soutien rapides (FSR), de nombreuses organisations de défense des droits de la personne estiment que des avions destinés à transporter de l'aide humanitaire des Émirats arabes unis vers le Soudan acheminent régulièrement des armes.

Certaines organisations pensent que ces cargaisons comprennent des armes de fabrication canadienne.

«Les gouvernements comme celui du Canada ont l'occasion de démontrer concrètement ce que signifient les valeurs dont nous parlons si fort ces temps-ci», a fait valoir Martin Fischer, directeur des politiques de Vision mondiale Canada. «Les armes et composants de fabrication canadienne alimentent le conflit au Soudan. Il est insuffisant que le gouvernement affirme que le régime d'exportation d'armes actuel est de calibre mondial, car la réalité est tout autre.»

Le 16 octobre, M. Carney a annoncé qu'il se rendrait aux Émirats arabes unis en vue du sommet du G20, qui aura lieu le 22 novembre.

Des experts et des organisations caritatives canadiennes devaient témoigner lundi après-midi devant le sous-comité de la Chambre des communes sur les droits de la personne.

La guerre civile entre l'armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (FSR) a éclaté en avril 2023. Les FSR, une milice paramilitaire, ont succédé aux Janjawid, responsables du premier génocide du Darfour entre 2003 et 2005.

Les deux camps belligérants bloquent l'acheminement de l'aide humanitaire. La guerre a plongé plus de 30 millions de personnes, dont 16 millions d'enfants, dans un besoin urgent d'aide. «Cela représente plus du quart de la population canadienne, en termes d'enfants nécessitant une forme d'aide», a indiqué M. Fischer.

Cette situation a également engendré la plus importante crise de déplacements de population au monde, en comptabilisant les personnes se déplaçant à l'intérieur du Soudan et les réfugiés dans les pays voisins.

Les Émirats nient toute implication

Le gouvernement des Émirats arabes unis a été accusé à maintes reprises d'armer les FSR – accusations qu'il a fermement démenties, malgré le fait que le Groupe d'experts des Nations Unies sur le Soudan ait jugé ces rapports «crédibles».

À la fin de son mandat, en janvier dernier, l'administration du président américain Joe Biden a déclaré que les FSR commettaient un nouveau génocide dans la région du Darfour. Le Canada n'a pas qualifié les violences de génocide.

Les États-Unis ont imposé des sanctions à des parties au Soudan et à des entreprises des Émirats arabes unis accusées de fournir des armes aux militants avec le soutien du gouvernement.

Des violences atroces ont eu lieu au cours du mois dernier. L'Organisation mondiale de la Santé a rapporté que les FSR ont attaqué un hôpital de la ville soudanaise d'El-Fasher le 28 octobre, tuant des centaines de patients et enlevant plusieurs membres du personnel soignant. Des vidéos diffusées en ligne montrent des chambres d'hôpital criblées de balles.

Le Laboratoire de recherche humanitaire de Yale a publié la semaine dernière un rapport, basé sur des images satellites, montrant des flaques de sang à El-Fasher, suggérant des massacres sur plusieurs sites. Des vidéos en ligne montrent des dizaines de personnes assassinées par des miliciens.

«Le Canada est horrifié par les attaques à El Fasher et condamne le massacre signalé de plus de 2000 civils», a écrit la ministre des Affaires étrangères, Anita Anand, le 28 octobre sur les réseaux sociaux.

«Nous exhortons toutes les parties à respecter le droit international, à protéger les civils et à permettre immédiatement le passage sans entrave de l’aide humanitaire.»

Mme Anand a annoncé son intention de se rendre dans la région du Golfe début 2026.

Martin Fischer, de Vision mondiale Canada, a rapporté que les violences ethniques donnent lieu à des témoignages effroyables.

«Ils sont confrontés à des barrages routiers armés, à l'extorsion, aux pillages et à des informations très préoccupantes et alarmantes faisant état de violences sexuelles le long des voies de fuite, s'ils parviennent à s'échapper», a-t-il raconté.

Il soutient qu'Ottawa devrait collaborer avec ses alliés pour faire pression sur les deux camps afin d'obtenir l'autorisation d'acheminer l'aide et envisager d'accroître sa propre contribution.

Ottawa a déjà promis 103 millions $ d'aide au Soudan depuis le début du conflit.

Le Canada devrait renforcer sa législation afin d'empêcher que les permis d'exportation ne permettent le détournement d'armes canadiennes vers le Soudan, selon M. Fisher. L'an dernier, des entreprises canadiennes ont exporté pour 7 millions $ d'armes vers les Émirats arabes unis.

«Il est possible, et même nécessaire, de faire le ménage chez nous», a-t-il affirmé.

Appels à des sanctions supplémentaires

L'organisme Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient a exhorté Ottawa à suspendre toutes les exportations d'armes vers les Émirats arabes unis afin d'empêcher leur détournement vers le Soudan et à enquêter pour savoir si un tel détournement est déjà en cours.

L'organisme relève de nombreux rapports selon lesquels les armes déployées dans le conflit ont été fournies par STREIT Groupe, une entreprise fondée au Canada qui semble s'être installée aux Émirats arabes unis. L'entreprise n'a pas répondu à notre demande de commentaires.

Des groupes canadiens d'origine soudanaise demandent depuis des mois au Canada d'imposer des sanctions supplémentaires et d'envisager l'inscription des FSR sur la liste des organisations terroristes. La députée néo-démocrate Heather McPherson a exhorté la semaine dernière le Canada à faire pression sur les Émirats arabes unis pour qu'ils cessent de soutenir les FSR et qu'ils appuient les enquêtes internationales.

«L'inaction du Canada a contribué à alimenter ces crimes de guerre et il faut que cela cesse immédiatement», a-t-elle écrit dans un communiqué. «Nous avons du sang sur les mains et le Canada doit prendre des mesures immédiates, ce qu'il a jusqu'à présent refusé de faire.»

Le gouvernement fédéral a souvent décrit les Émirats arabes unis comme un partenaire d'investissement potentiel dans le domaine de l'intelligence artificielle.

Interrogée jeudi dernier, Mme Anand n'a pas précisé si elle avait fait part de ses préoccupations concernant le Soudan à ses homologues des Émirats arabes unis. Elle a plutôt vanté la rigueur du contrôle des exportations d'armes du Canada.

«Ce processus est régi par une loi de renommée mondiale (…) et je peux vous assurer que toute violation de cette loi est étroitement surveillée et sanctionnée», a-t-elle déclaré sur la colline du Parlement.

«Nous prenons cela très au sérieux et c'est le travail que j'ai demandé à mon ministère d'effectuer», a-t-elle ajouté.

Le bureau de Mme Anand a indiqué que ce travail comprend l'examen des allégations concernant la présence d'armes canadiennes au Soudan.

Dylan Robertson, La Presse Canadienne

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