«On a fait une bonne job», dit le directeur des enquêtes de la commission Gallant

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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Après des semaines de témoignages, des centaines de personnes rencontrées et des dizaines de milliers de documents consultés, la direction de la commission d'enquête sur le fiasco SAAQclic conclut les audiences publiques avec le sentiment du devoir accompli.
«Quand je me remets à l'esprit la citation de notre commissaire (Denis Gallant), qui avait promis aux Québécois et Québécoises de retourner toutes les pierres, j'ai vraiment le sentiment que c'est ce qu'on a fait. On est allé aussi loin qu'on a pu», soutient le directeur des enquêtes, Robert Pigeon, à La Presse Canadienne.
Deux jours avant de clôturer les audiences publiques vendredi, lui et trois autres membres du comité de direction de la commission Gallant se sont entretenus avec les médias sur leur travail et celui de leur équipe.
Les témoignages entendus et les documents révélés ces derniers mois ont permis de mettre en lumière les coulisses de la transformation numérique de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), et de mieux comprendre ce qui a pu causer des dépassements de coûts et le lancement raté de la plateforme SAAQclic.
Certains doutent encore de l'utilité d'une telle commission d'enquête et s'interrogent à savoir à quoi servira cet exercice au bout du compte. Le procureur en chef, Simon Tremblay, répond que les résultats se feront sentir sur le long terme avec les prochains contrats informatiques.
Il rappelle que l'objectif de la démarche est de «regarder la forêt au complet au lieu de s'attarder à un arbre, et dire qu'est-ce qu'on peut recommander au gouvernement qui ferait en sorte que ça se passerait différemment».
«C'est sûr que le bénéfice n'est pas aujourd'hui. Il est sur les prochains contrats. On ne recevra pas un chèque, mais ça va coûter moins cher. Ça va être mieux géré», fait valoir Me Tremblay.
Il prend l'exemple de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction, la commission Charbonneau, où il a été procureur dans les années 2010.
«Aujourd'hui, les contrats à Laval coûtent 50 % moins cher en ingénierie, dit celui qui est désormais à la tête du service juridique de cette ville. La commission Charbonneau et le gouvernement, en appliquant les recommandations, ont changé les façons de faire, qui fait en sorte qu'on a diminué beaucoup le risque» de corruption et de collusion.
«Ça va coûter quelques millions (la commission Gallant), mais les bénéfices quantitatifs et qualitatifs sont incommensurables. (...) Je me dis que la commission Charbonneau, ça a été un des meilleurs investissements que le Québec a pu faire pour assainir ses moeurs et ses pratiques», plaide-t-il.
En parallèle de la commission Charbonneau, des enquêtes policières ont eu lieu, entraînant des accusations criminelles, des condamnations et permettant de récupérer des millions de dollars pour les coffres publics, souligne le procureur en chef.
Dans le cas du dossier SAAQclic, l'Unité permanente anticorruption et l'Autorité des marchés publics mènent chacune actuellement des enquêtes. «Chacun des outils a son rôle» à jouer, évoque Me Tremblay.
Changement de gestion et de perception
Déjà un changement s'opère dans l'appareil gouvernemental, avance la secrétaire générale de la commission Gallant, Véronyck Fontaine, qui travaille depuis plus de 25 ans dans la fonction publique québécoise.
Des collègues qui suivent attentivement les travaux de la commission disent que «ça influence leur gestion», mentionne Mme Fontaine.
«Après ce que j'ai entendu, je vais changer moi-même des façons de faire», dit-elle.
La perception du public a aussi évolué, selon la directrice des communications de la commission, Joanne Marceau. La population connaît mieux les contrats informatiques et le fonctionnement de l'État québécois.
«C'était une des premières fois où il y avait vraiment une commission d'enquête sur l'appareil étatique. (...) Il y a beaucoup de fonctionnaires qui aimaient ça parce qu'ils se disaient: ‘‘enfin, on voit qu'on n'est pas toutes des tartes. Enfin, on voit qu'on travaille’’. Parce qu'on n'a pas juste vu les choses qui allaient mal, mais aussi les choses qui vont bien», soutient Mme Marceau.
Un échéancier serré
Avant même de commencer ses travaux, la commission Gallant a essuyé des critiques concernant des allégations d'apparence de conflit d'intérêts.
Les partis d'opposition à l'Assemblée nationale ont reproché que certains membres du personnel avaient des liens professionnels ou amicaux avec le gouvernement ou la SAAQ. Ils sont allés jusqu'à demander le démantèlement de la commission.
M. Pigeon s'est dit «surpris» par ces accusations, mais l'équipe a décidé de garder «le focus» sur son travail d'enquête.
«En bout de ligne, je pense qu'on a fait une bonne job. On va se le dire, je pense qu'on a fait une bonne job», affirme l'ex-directeur de la police de la Ville de Québec.
«Dès qu'on a entendu des témoins de faits, le focus est allé sur les vraies choses: l'enquête. Et les oppositions ont demandé d'élargir le mandat. Ça dit tout», soutient Me Tremblay.
Il souligne que des règles ont été mises en place pour encadrer la question des conflits d'intérêts ou des apparences de conflits d'intérêts afin d'assurer notamment la confiance auprès du public.
M. Pigeon demeure par ailleurs «convaincu que, si on avait choisi des gens qui n'avaient jamais fait de commission d'enquête, on n'aurait pas eu suffisamment de temps pour réussir ce qu'on a réussi».
La commission Charbonneau a eu besoin de trois à six mois avant de prendre son envol, indique M. Pigeon, tandis que celle sur SAAQclic aura duré en totalité moins d'un an.
«On a eu un décret (du gouvernement) le 24 mars, la déclaration d'ouverture le 24 avril, et le 24 octobre (le commissaire) va faire la déclaration de clôture. C'est vraiment short», mentionne Mme Marceau.
Au cours des prochaines semaines, des membres de la commission seront mis à contribution pour épauler le commissaire Denis Gallant dans la rédaction de son rapport attendu d'ici le 13 février.
La commission Gallant en quelques chiffres
- plus de 130 témoins entendus durant les audiences publiques
- plus de 300 personnes rencontrées par les enquêteurs
- Une soixantaine d'employés
- 75 jours d'audiences publiques
- plus de 200 000 documents étudiés
- 4 millions de courriels reçus et traités
- Budget total inconnu pour le moment
Frédéric Lacroix-Couture, La Presse Canadienne