Mark Carney «lèche les bottes» de Donald Trump, estime Lloyd Axworthy


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Par La Presse Canadienne, 2025
OTTAWA — Lloyd Axworthy, ancien ministre libéral des Affaires étrangères, accuse le premier ministre Mark Carney d'adopter une approche de «lèche-bottes» envers le président américain Donald Trump, au détriment des valeurs canadiennes.
«Il faut avoir des principes, être tactique et pragmatique. Mais il faut aussi être ferme et savoir ce que l'on défend», a avancé M. Axworthy lors d'une entrevue avec La Presse Canadienne.
«La flatterie fait toujours partie du jeu, mais vous pouvez la pousser jusqu'à devenir onctueux», a-t-il ajouté.
L'ancien ministre s'est entretenu avec La Presse Canadienne après avoir publié une critique en ligne dimanche dernier contre le gouvernement Carney.
M. Axworthy, que le premier ministre Jean Chrétien a nommé ministre des Affaires étrangères de 1996 à 2000, a supervisé la Convention d'Ottawa qui a interdit les mines terrestres dans de nombreux pays. Il a été une voix importante dans les relations internationales, notamment par son travail de plaidoyer auprès du Conseil mondial pour les réfugiés et les migrations.
Dans un billet de blogue publié à la suite du Sommet de l'OTAN, où les membres ont accepté la demande de Donald Trump d'augmenter massivement l'objectif de dépenses de défense de l'Alliance, M. Axworthy a accusé M. Carney et d'autres dirigeants mondiaux de s'incliner devant le président américain.
«L'OTAN risque désormais de laisser un homme lâche et menteur donner le ton à une stratégie de militarisme effréné», a écrit M. Axworthy, affirmant qu'il est dangereux de laisser la politique de défense être déterminée par «l'intimidation abusive et raciste de Donald Trump».
Il a également soutenu que le sommet n'avait pas suffisamment œuvré pour garantir la souveraineté de l'Ukraine et avait au contraire engagé les membres de l'Alliance à un niveau de dépenses de défense qui entraînerait des coupes dans les programmes sociaux et probablement dans l'aide étrangère.
«Un modèle est désormais établi : Donald Trump grogne, nous obéissons. À quoi d'autre allons-nous céder en silence ? Aux industries culturelles ? Aux normes environnementales, à la sécurité agricole, à la souveraineté arctique ?» a-t-il indiqué.
Lors de l'entrevue, l'ancien ministre a qualifié de «gênant» l'échange entre le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, et Donald Trump lors du Sommet de l'OTAN, au cours duquel M. Rutte a qualifié le président de «papa».
Il a également expliqué que ses inquiétudes avaient été renforcées par la décision de M. Carney d'abroger la taxe sur les services numériques qui visait les géants américains de la technologie, alors que le premier ministre et le président Trump entreprennent ce qu'il qualifie de négociations commerciales «secrètes», sans examen parlementaire.
«Quand cesserons-nous de prétendre que tout cela fait partie d'une stratégie de négociation astucieuse qui justifie le léchage de bottes dans l'espoir d'obtenir des concessions tarifaires?» a-t-il écrit dans son billet de blogue.
Le locataire de la Maison-Blanche a suggéré en mars que les États-Unis pourraient vendre à leurs alliés des avions de chasse n'ayant pas les mêmes capacités que ceux utilisés par l'armée américaine. M. Axworthy a affirmé à La Presse Canadienne qu'il était imprudent d'accepter une situation où «le Pentagone contrôle les boîtes noires de vos avions et de vos destroyers».
Selon lui, le gouvernement Carney poursuit sa politique étrangère et sa législation nationale axées sur la sécurité économique, tout en ignorant la nécessité d'investir dans la diplomatie pour prévenir les conflits et défendre les valeurs canadiennes à l'étranger.
Au lieu de se concentrer uniquement sur les dépenses militaires, il a mentionné qu'Ottawa pourrait mobiliser les investissements et les gouvernements de divers pays pour une meilleure gestion de l'eau douce, car de nombreux pays sont menacés par de graves sécheresses pouvant mener à des conflits armés.
Un projet de loi conflictuel
D'après M. Axworthy, le projet de loi C-5, portant sur les grands projets, a sapé les efforts de réconciliation avec les Premières Nations et le gouvernement a «ignoré» les peuples autochtones dans sa hâte à le faire adopter.
«Il ne s'agit pas seulement d'être consultés. Ils doivent être des partenaires. Ils doivent être impliqués. Ils sont essentiellement le troisième pilier de ce pays», a soutenu l'ancien député du Manitoba à propos des peuples autochtones.
«Vous allez mettre la machine en marche, mais vous allez laisser beaucoup de victimes sur la route», a-t-il précisé.
Le gouvernement a accéléré l'adoption de cette vaste loi et a choisi de ne pas raccourcir la pause estivale de 12 semaines afin de l'étudier plus en détail.
Le cabinet de M. Carney n'a pas encore répondu à une demande de réaction.
Le premier ministre lui-même vantait les mérites de la démocratie canadienne mardi.
«Nous nous trouvons dans une situation où nos valeurs sont mises à l'épreuve par des attaques contre la démocratie et les libertés, des attaques auxquelles nous devons résister», a fait valoir M. Carney lors de son discours à l'occasion de la fête du Canada.
«Dans un monde divisé (…), nous avons décidé de ne pas nous séparer et de nous battre, mais de nous unir et de bâtir», a-t-il ajouté.
M. Axworthy a souligné que le premier ministre venait d'une vie extérieure à la politique et a expliqué que c'était l'une des raisons pour lesquelles il avait soutenu Chrystia Freeland plutôt que M. Carney dans la course à la direction du Parti libéral cette année.
«Je ne pense pas qu'il n’ait jamais frappé à cette porte ou assisté à une assemblée de circonscription avant de devenir candidat à la direction», a-t-il indiqué lors de l'entrevue.
Lloyd Axworthy a réitéré une idée lancée en janvier, à savoir qu'Ottawa devrait collaborer avec les pays que M. Trump a parlé d'absorber pour organiser une campagne visant à promouvoir un commerce fondé sur des règles et la paix dans l'Arctique.
Dylan Robertson, La Presse Canadienne