Lutte au changement climatique : le rôle contradictoire du Canada

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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Lors d’une conférence de presse à la COP30 au Brésil, la ministre de l'Environnement Julie Dabrusin a annoncé un financement de près de 400 millions $ pour les pays en voie de développement. Au cours de cette annonce, elle a présenté le Canada comme «un champion» de la lutte au changement climatique, même si le pays exporte et produit toujours plus de combustibles fossiles, responsables en grande partie de la crise climatique.
Jeudi, la ministre de l’Environnement a annoncé 392 millions $ dans des projets internationaux d’action climatique qui financeront «notamment l'utilisation durable des terres, des systèmes alimentaires résilients et la conservation de la forêt amazonienne».
Le Canada «s'est engagé à faire sa part au pays et à l'étranger pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris» en «investissant dans une croissance à faible émission de carbone» et «nous faisons preuve de leadership pour bâtir un monde plus sûr et plus durable», a indiqué la ministre, qui a qualifié le pays «de champion de la lutte au changement climatique».
Mais, selon l’analyste en politiques climatiques et énergétiques d’Équiterre Charles-Édouard Têtu, le Canada n’est pas le «champion» qu'il prétend être.
«Le gouvernement est un peu hypocrite en ce moment. D’un côté, il investit (400 millions) pour que le reste du monde puisse être bien préparé aux changements climatiques. Puis, de l'autre côté, il investit 75 fois cette somme directement dans les poches des grosses entreprises pétrolières pour qu’elles continuent de polluer et nous ramènent à cette situation là. Donc c'est très problématique», a indiqué l’analyste qui participe à la COP30.
L’analyste d’Équiterre faisait référence à un récent rapport du groupe Environmental Defence, qui indique qu’en 2024, le gouvernement du Canada a accordé au moins 29,6 milliards $ en soutien financier à l’industrie pétrolière et gazière.
Pour arriver à ce montant, Environmental Defence a compilé les subventions directes, les allégements fiscaux, les prêts et les garanties de prêts.
«Tout l’argent dépensé aujourd’hui pour atténuer les changements climatiques nous permettra d’économiser des milliards de dollars en dommages climatiques futurs. Par conséquent, le fait que le Canada consacre ses ressources financières limitées à des subventions à l’industrie des combustibles fossiles revient à brûler de l’argent», a commenté Emilia Belliveau responsable du programme de transition pour le groupe Environmental Defence.
«La véritable action nécessaire pour lutter contre les changements climatiques consiste à éliminer progressivement les combustibles fossiles», a ajouté Emilia Belliveau, qui participe également à la COP30.
Du même souffle, l’environnementaliste a tenu à préciser que les pays riches ont la responsabilité d’aider financièrement les pays en voie de développement à s’adapter aux changements climatiques.
«Mais le commun des mortels qui se lève le matin en lisant cette annonce va se demander, "à quoi bon investir 400 millions, si on ne fait rien en amont, pour éviter le problème?», a ajouté Charles-Édouard Têtu.
La Presse Canadienne a demandé au bureau de la ministre si ce montant faisait partie de la somme de 450 millions $ annoncée en 2023 pour aider les pays en développement dans la lutte contre les changements climatiques, mais en fin d’après-midi jeudi, l’agence de presse n’avait pas obtenu de réponse.
Positions contradictoires
Depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015, le Canada a versé plus de 8,7 milliards $ au financement international de la lutte contre les changements climatiques, selon Environnement et Changement climatique Canada.
Mais depuis la signature de cet accord historique, la production de pétrole et de gaz au Canada n’a cessé d’augmenter, jusqu’à atteindre des niveaux record en 2024.
«Le rôle du Canada dans la lutte contre les changements climatiques est marqué par des positions très contradictoires», a souligné Emilia Belliveau.
En 2024, les émissions de GES étaient en baisse dans la plupart de secteurs de la société, mais ces progrès sont, comme pour les années précédentes, plombés par l’augmentation des émissions du secteur du pétrole et du gaz.
Les émissions liées à ce secteur, le plus grand émetteur de GES au pays avec 31 % du total national, ont augmenté de 1,9 % l’an dernier, selon les estimations de l’Institut climatique du Canada.
Le Canada est le quatrième plus grand producteur de pétrole brut et le cinquième plus grand producteur de gaz naturel au monde.
Est-ce que le Canada peut prétendre lutter contre les changements climatiques et réduire significativement ses GES tout en continuant d’augmenter sa production de gaz et de pétrole?
La Presse Canadienne a posé la question à la ministre de l’Environnement lors de son point de presse jeudi midi.
«Il faut se demander où nous serions, si on n'avait pas eu l'Accord de Paris», a d’abord répondu Julie Dabrusin en ajoutant que «ce que nous voyons au Canada, c'est que nos émissions en ce moment sont au plus bas depuis presque trois décennies, si on enlève les années de la COVID. Alors, on a fait un grand travail» et «nous redoublons d’efforts» avec la tarification du carbone industriel et le renforcement des règlements sur les émissions de méthane.
Selon les plus récentes estimations effectuées par l’Institut climatique du Canada, les émissions du pays en 2024 se chiffrent à 694 mégatonnes (Mt) d’équivalent dioxyde de carbone, un peu moins donc, qu’en 2023, alors qu’elles étaient estimées à 702 mégatonnes.
Les émissions du Canada se situeraient à 8,5 % sous les niveaux de 2005.
Rappelons que le pays s’est engagé à réduire d’ici 2030 ses émissions de GES de 40 à 45 % sous les niveaux de 2005.
Les estimations de l'Institut climatique du Canada sur les émissions de 2024 ont été publiées au mois de septembre dernier dans un rapport au sein duquel on peut lire cet avertissement:
«Avec les nombreux projets à forte intensité d’émissions d’intérêt national que les gouvernements envisagent, on peut s’attendre à une hausse des émissions pour la suite des choses.»
Stéphane Blais, La Presse Canadienne