Loi 2: des médecins et associations craignent une crise imminente en pédiatrie

Temps de lecture :
5 minutes
Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Des médecins de famille craignent une crise majeure dans les soins pédiatriques en raison de la controversée loi 2 qui va lier la rémunération des médecins à des indicateurs de performance. Les codes de vulnérabilité des patients établis par le gouvernement désavantagent les bébés et les enfants puisque ceux-ci sont surtout classés «vert», c'est-à-dire non vulnérables.
Dr David Rothstein et Dre Alicia Lessard sont médecins de famille et directeurs médicaux de la Clinique médicale Step à Montréal, qui prend en charge plus de 21 000 familles et accueille chaque jour près de 300 enfants. Ils s'inquiètent pour les enfants et veulent leur donner «une voix».
Rappelons que c'est la Régie de l'assurance maladie du Québec qui devra fixer les niveaux de vulnérabilité des patients qui se déclinent comme suit:
- en santé (vert), ce qui inclut les patients sans affection ou avec affection mineure aiguë ainsi que les nouveau-nés en santé
- affection mineure chronique (jaune)
- affection modérée (orange), ce qui comprend certains cancers ou troubles de santé mentale
- affection majeure (rouge), notamment les personnes avec un cancer majeur, un trouble de santé mentale majeur et l'affection majeure d’un nouveau-né.
Les bébés et les enfants sont généralement étiquetés dans la catégorie «en santé».
«Ça les dépriorise totalement, lâche Dre Lessard. C'est comme si on est en train de dire que c'est eux qui ont le moins besoin de services médicaux en fait. Donc, déprioriser dans le sens que ce n'est pas eux qui vont probablement avoir l'accès premier. C'est ça qui nous inquiète le plus.»
Dans l'application de sa loi, le gouvernement prévoit qu'au 1er juillet 2026, «un département territorial de médecine familiale est tenu de procéder en priorité à la répartition des personnes dont le niveau de vulnérabilité est ''affection majeure''». Ensuite, graduellement, jusqu'au 31 décembre 2026, la répartition des patients se poursuivra avec les catégories «affection modérée» et «affection mineure chronique».
C'est un problème, selon le Dr Craig McCullogh, qui travaille aussi à la Clinique médicale Step. «Avec cette loi, dans la prochaine année, ils vont assigner la plupart des patients vulnérables aux cliniques. Ils vont commencer avec les patients rouges, après ça, on peut passer en orange, après ça, les patients jaunes, et c'est sûrement l'année 2027 où les patients verts vont être affiliés à une clinique. Donc, pour la prochaine année, s'ils font comme ça, aucun enfant ne va avoir un médecin de famille», prévient-il.
La clinique Step, qui a ouvert ses portes en 2024, a mis en place des «corridors avec les grands hôpitaux de la région» pour prendre en charge les nouveau-nés sans médecin de famille. Concrètement, on demande à la maman qui vient d'accoucher si elle et son bébé seront en mesure d'être suivis par un médecin. «S'ils n'en ont pas, on les prend automatiquement ici», résume Dre Lessard.
«Mais là, ça ne sera plus vraiment possible parce que nous, on aura plusieurs plages horaires qui devront être enlevées pour des patients verts, pour devoir voir d'autres types de patients», explique-t-elle.
Comment faire de la prévention?
Les cibles de performance sont difficilement applicables aux enfants, puisqu'une visite médicale est plus imprévisible qu'avec un adulte. Par conséquent, elle peut avoir une durée plus longue. Les bébés et les enfants peuvent être agités et il faut aussi prendre le temps de rassurer les parents, particulièrement lorsqu'il s'agit du leur premier enfant, soulignent les trois médecins interviewés.
Les tout-petits ont au minimum huit visites médicales dans leur première année de vie. «Les visites de contrôle qu'on fait, donc un [suivi] régulier, ça ne sera peut-être plus du tout facile à avoir parce que justement, il va falloir prioriser les autres patients. Souvent, dans des visites de contrôle [...] c'est là où on va déceler des retards de croissance, des retards de développement, qu'on peut pousser plus loin, poser plus de questions», détaille Dre Lessard.
Son collègue le Dr Rothstein abonde dans le même sens en soulignant que la médecine préventive est d'autant plus importante pour les enfants. «Surtout les jeunes enfants, les nouveau-nés, les bébés, ils sont les plus vulnérables, dit-il. C'est eux qui deviennent mal très vite, qui ont besoin d'avoir des visites de contrôle. [...] La médecine préventive, c'est ce qui est vraiment important pour ces patients.»
L'objectif du gouvernement est que les 200 000 patients vulnérables sans médecin de famille au Québec soient pris en charge au plus vite. La Dre Lessard admet que les maladies chroniques sont «un fléau» pour le «système de santé en ce moment».
«Mais nous, ce qu'on pense, c'est que si on est en train de prévenir ou de traiter ou de déceler le plus tôt, c'est là où on va être capable de venir diminuer ce fléau de maladies chroniques, que ce soit physique ou psychologique. Nos patients, en ce moment, c'est aussi les patients de demain. Si on les prend en charge dès le début, on va pouvoir être capable d'offrir une société plus en santé demain», fait valoir la médecin de famille.
Deuxième vague d'exode des médecins?
Deux organisations pédiatriques nationales mettent en garde contre le projet de loi 2. Dans un communiqué conjoint diffusé mercredi, les Directeurs de pédiatrie du Canada (DPC) et la Société canadienne de pédiatrie (SCP) ont prévenu que la loi «qui rend les médecins collectivement responsables de l'atteinte des objectifs d'accès au moyen de mesures punitives, aggravera l'épuisement professionnel des spécialistes en pédiatrie et compromettra l'accès aux soins essentiels et urgents pour les enfants et les jeunes».
Les DPC et la SCP exhortent le gouvernement du Québec à abroger intégralement le projet de loi 2 et ils appellent à une reprise des négociations. «Chaque jour où ce projet de loi reste en vigueur, les besoins immédiats et à long terme en matière de soins de santé pour la santé et le bien-être de nos enfants sont davantage compromis», écrivent-ils.
Des Québécois ont peur de perdre leur médecin. Le Dr McCullogh assure que des dizaines de patients lui demandent quotidiennement s'il a l'intention de quitter le Québec.
À la clinique Step, les directeurs médicaux ont reçu des messages de médecins qui envisagent de quitter. Il s'agit d'un reflet de ce qui se passe à travers la province alors qu'il y a une hausse des demandes des médecins québécois pour pratiquer en Ontario et au Nouveau-Brunswick.
Selon Dr McCullogh, une deuxième vague d'exode pourrait se produire, car plusieurs médecins attendent de voir quel sera le dénouement du sursis demandé par deux fédérations à la Cour supérieure du Québec.
—
Le contenu en santé de La Presse Canadienne obtient du financement grâce à un partenariat avec l’Association médicale canadienne. La Presse Canadienne est l’unique responsable des choix éditoriaux.
Katrine Desautels, La Presse Canadienne