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Les pharmaciens surpris de voir une mesure sur les agences privées dans la loi 2

durée 04h30
30 octobre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — La loi 2 a créé beaucoup de remous au sein du corps médical dans les derniers jours, mais un passage concernant le recours par les pharmacies aux agences privées est passé sous le radar. Des pharmaciens sont inquiets et ils sont surpris de la disposition qui a été glissée dans le projet de loi.

On peut lire dans la pièce législative que les pharmacies communautaires ne peuvent recourir aux services d’une agence de placement de personnel ou à de la main-d’œuvre indépendante que dans la mesure prévue par règlement du gouvernement.

Précisons d'emblée que l'encadrement du recours aux agences était une demande de l'Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP). Elle se réjouit donc que le ministre de la Santé, Christian Dubé, ait été de l'avant sur cet aspect. Toutefois, elle ne s'attendait pas à ce que «ça arrive dans ce véhicule». L'Ordre des pharmaciens du Québec et l'Association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec (APPSQ) sont également surpris et soulignent ne pas avoir été consultés.

«Ce n'était pas censé arriver comme ça nécessairement dans un projet législatif avec toutes les controverses qu'il y a autour. Mais disons que pour ce qui est de cet article, oui, on est satisfait et on a bien hâte évidemment de discuter des règlements pour que tout ça s'applique correctement sur le terrain», commente en entrevue Benoit Morin, président de l'AQPP.

Pour lui, l'encadrement du recours aux agences en pharmacie est essentiel pour être capable d'appliquer le projet de loi 67 qui a élargi les pouvoirs des pharmaciens.

«On est face aux mêmes enjeux que le ministère avait avec les infirmières où on a une rareté de main-d'œuvre, mais qui est accentuée par le recours des agences de remplacement ou des pharmaciens remplaçants qui se retirent des pharmacies et qui s'offrent à des conditions et des prix beaucoup plus élevés, avec des conditions de travail beaucoup plus restreintes au niveau des heures, soirs et fins de semaine, ce qui complique la gestion du personnel pour les propriétaires. Ça amplifie la pénurie artificielle et ça met une pression financière sur les pharmacies», détaille M. Morin.

Le président de l'APPSQ, Patrick Hemery, veut lui aussi éviter les abus dans les tarifs des pharmaciens, mais il croit qu'il faut mettre de l'avant d'autres solutions «pour réguler le marché sans en venir à une interdiction totale».

«Il faut avant tout offrir des environnements de travail où le bien-être, la reconnaissance et la flexibilité sont au cœur de la pratique. Cela devrait être la norme pour 100 % des pharmacies du Québec, mais nous en sommes encore très loin», mentionne-t-il dans un courriel transmis à La Presse Canadienne.

Aggraver la pénurie?

M. Hemery s'interroge par ailleurs sur le message implicite que cela envoie. «Dans notre milieu, il existe une totale liberté dans la négociation des conditions entre le pharmacien propriétaire et le pharmacien salarié ou remplaçant. Ces ententes reposent sur le respect mutuel et sur la réalité des besoins locaux, non sur un rapport de force», soutient le pharmacien.

Or, selon le président des pharmaciens propriétaires, il y a des abus qui se font au détriment des pharmacies «qui sont parfois dans des conditions vulnérables» et qui n'ont «pas le choix» d'accepter des offres abusives.

D'autre part, M. Hemery craint que la nouvelle mesure aggrave la pénurie de pharmaciens. «Ces remplacements ponctuels, rendus possibles par une certaine souplesse, permettaient de garder les pharmacies ouvertes et de répondre aux besoins de la population. Sans cette flexibilité, plusieurs pharmaciens vont simplement réduire leurs heures de présence dans le réseau, car personne n’acceptera de travailler la fin de semaine au même taux horaire qu’en semaine», explique-t-il.

L'Ordre des pharmaciens du Québec a une réaction mitigée quant à l'encadrement du recours aux agences. «On est tous un peu surpris, on est tous un peu choqués. On va faire un pas de recul, on va attendre de voir ce que le gouvernement va mettre là-dedans, puis on va fonctionner. Ça va être nos nouvelles règles de jeu. Ma préoccupation, c'est qu'il n'y ait pas de ruptures de services et que la qualité de l'exercice soit présente pour la population», indique le président de l'Ordre, Jean-François Desgagné.

Beaucoup d'inquiétude sur les réseaux sociaux

M. Desgagné rapporte qu'il y a beaucoup d'inquiétude chez les pharmaciens présentement, notamment sur les réseaux sociaux. «Il y a énormément de conversations. C'est normal, les gens ont été surpris par cette mesure, moi le premier. [...] Quand il y a des mesures nouvelles qui sont annoncées et que notre réalité personnelle est impactée, je peux comprendre tout à fait les gens d'être préoccupés, mais encore là, on va voir comment le gouvernement veut opérer», réitère-t-il.

Le président de l'Ordre ajoute que les agences de remplacement ne sont pas le problème, mais un symptôme de la pénurie de personnel, tant des pharmaciens que des assistants techniques.

L'interdiction du recours aux agences (sauf en cas de règlement) fait craindre des impacts sur la clientèle. M. Hemery anticipe des fermetures temporaires ou des horaires réduits. «Les patients seront les premiers touchés, avec un accès réduit aux services et un suivi clinique moins approfondi, car les pharmaciens devront prioriser la distribution des médicaments au détriment des consultations et du suivi personnalisé», dit-il.

Du côté de l'Association des pharmaciens propriétaires, on a espoir qu'une partie des pharmaciens dans les agences de remplacement reviennent s'implanter dans une pharmacie. M. Morin souligne par ailleurs qu'il ne veut pas une interdiction totale. Il croit qu'il faut conserver un certain niveau de remplacement pour répondre aux besoins «comme c'était le cas il y a quelques années» et retrouver un équilibre.

La couverture en santé de La Presse Canadienne est soutenue par un partenariat avec l'Association médicale canadienne. La Presse Canadienne est seule responsable de ce contenu journalistique.

Katrine Desautels, La Presse Canadienne

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