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Les Inuit du Nunavik font preuve de résilience face aux problèmes d'accès à l'eau

durée 04h30
24 novembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

PUVIRNITUQ — Les communautés autochtones du Nunavik font preuve d'une résilience impressionnante face aux difficultés d'accès à l'eau. Il n'est pas rare qu'ils n'aient plus d'eau potable à la maison ou que leur réservoir d'eaux usées soit plein. Beaucoup s'adaptent à la situation sans broncher et vivent pleinement leur vie dans cette région éloignée du Québec, dominée par le paysage unique de la toundra.

«Je ne suis pas stressé avec ça, répond Joshua Nathan Kettler, lorsqu'on lui demande comment il vit les constantes pénuries d'eau. C'est que nous avons grandi avec ça. Il faut s'adapter. Dans le Sud (du Québec), on peut utiliser l'eau sans problème. Et tout le monde peut prendre une douche tous les jours, mais dans le Nord, il faut réfléchir à sa consommation.»

L'Inuit de 24 ans qui habite Inukjuak raconte qu'il doit aller chercher sa fille à l'école environ une fois par mois en raison d'un manque d'eau. Il doit alors s'absenter du travail le temps que l'interruption se règle, ce qui dure souvent un après-midi ou une journée complète.

Il y a certes une inégalité entre le nord et le sud de la province, admet M. Kettler. «Mais je me sens chanceux que notre municipalité travaille sans relâche et s'efforce de rester à son meilleur. C'est bien. Il y a encore des progrès à faire, mais je suis content comme c'est maintenant», relate-t-il calmement.

Même son de cloche à Puvirnituq où Marilyn Simpson (79 ans) vit avec son conjoint, Paulusi Angiyou (75 ans), le fils de ce dernier du même nom ainsi que sa copine Siasi Padlayat et leur petit bébé. Le jeune couple attend un autre enfant cet hiver.

«Il y a toujours eu un manque d'eau, peu importe que cela soit géré par une machine ou à la main comme nous étions habitués avant», commente M. Angiyou, qui a vécu en tente et en igloo durant son enfance.

«Nous avons vécu ici quand il n'y avait pas l'eau courante, raconte Mme Simpson. Nous nous adaptons mieux que certaines personnes en ville, je pense.»

Pour des Québécois qui n'ont jamais mis les pieds au Nunavik, cette détermination étonne. Manon Rancourt, ancienne coordonnatrice à la direction des services hospitaliers du Centre de santé Innulitsivik, a vécu à Puvirnituq quelques années. «Résilient, je pense que c’est la plus belle façon de qualifier ce peuple. C'est comme s'il n'y en avait jamais de problème. Ils sont très résilients avec ça. Ils sont venus au monde là-dedans, c'est ce qu'ils connaissent. Ce n'est pas un peuple qui est plaignard», commente-t-elle.

Des astuces ingénieuses

Mme Padlayat est un peu plus stressée lorsque le niveau du réservoir d’eau est bas en raison de sa petite fille, qui depuis peu, a cessé de boire au sein. Elle a donc besoin d’eau pour la préparation pour nourrisson. «C'est différent quand on a un bébé, c'est sûr que c'est une source d'inquiétude», confie-t-elle.

Quand le couple craint de manquer d'eau, le père se rend à la rivière avec de grandes cruches pour y ramener de l'eau qu'il fait ensuite bouillir.

M. Kettler fait pareil. «Dans le pire des cas, si tout est hors service, nous pouvons aller chercher de l'eau à la rivière un peu plus haut», dit-il. L'hiver, il fait un trou dans la glace «comme pour la pêche sur glace» et collecte l'eau dans le trou.

Le maire d'Inukjuak, Bobby Epoo, indique que les citoyens ne sont pas tous sensibles à la consommation d'eau. «Certaines familles sont très prudentes, certaines limitent volontairement leur consommation d'eau, tandis que d'autres s'en fichent complètement. (...) Je dirais que 40 % d'entre eux sont frustrés, 40 % y sont habitués et les 20 % s'en fichent complètement», mentionne-t-il.

À force de manquer d'eau, les résidents ont développé des astuces pour gérer leur réservoir. M. Kettler explique qu'il va parfois débrancher le tuyau d'évacuation de sa laveuse pour le mettre dans un très grand bac dans lequel l'eau du lavage va se déverser. Il va ensuite vider le bac à l'extérieur de la maison, ce qui empêche son réservoir d'eaux usées de se remplir trop vite.

Marilyn Simpson va plutôt garder l'eau de son bain lorsqu'elle a terminé de se laver et elle va en transvider une bonne partie dans la laveuse. Le cycle de lavage va ainsi utiliser beaucoup moins d'eau potable.

Responsabilité gouvernementale

Les raisons qui mènent à une pénurie d'eau sont très aléatoires, pointe Liv Larsen, coordonnatrice des ressources matérielles pour le Centre de santé Inuulitsivik.

«C'est difficile de mettre le doigt sur une chose et de dire: ''OK, on va régler ce problème''. Il va falloir que tout le monde mette la main à la pâte, soutient Mme Larsen. (...) Le gouvernement a sa part de responsabilité. Le gouvernement du Canada, en améliorant les pistes (des aéroports) pour permettre aux avions de pouvoir mieux atterrir et mieux voler. Puis le gouvernement du Québec, en mettant en priorité les services nécessaires, essentiels aux gens comme l'accès à l'eau.»

Il y a énormément d'aspects avec lesquels aucune autre région du Québec doit composer, souligne le Dr Yassen Tcholakov, médecin de santé publique et chef du service des maladies infectieuses au Nunavik. «Ce sont des choses sur lesquelles une intervention plus intensive, avec plus de ressources, pourrait plus rapidement changer l'état des choses au Nunavik. Il y a des plans d'immobilisation, des plans de construction et d'augmentation de la taille des CLSC dans les communautés où la population a grandi, mais ce sont des plans à long terme, (...) ce ne sont pas des choses qui vont arriver du jour au lendemain.»

«Il faut qu'on travaille avec les communautés et avec le ministère pour trouver des solutions qui vont permettre d'amener la population du Nunavik à un niveau de santé qui est similaire à celui du reste de la population du Québec», conclut Dr Tcholakov.

La journaliste Katrine Desautels a été soutenue par la Fondation Michener, qui lui a attribué la bourse Michener-Deacon pour le journalisme d’enquête en 2025, afin qu’elle documente les répercussions du manque d’accès à l’eau courante dans les communautés autochtones du Nunavik. Cet article est le quatrième d’une série de quatre reportages.

Katrine Desautels, La Presse Canadienne

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