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Les images du nouveau passeport comme champ d'une bataille culturelle

durée 12h30
19 mai 2023
La Presse Canadienne, 2023
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Temps de lecture   :  

3 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

OTTAWA — «Justin Trudeau a effacé Terry Fox.»

C'est ainsi que le chef conservateur Pierre Poilievre résume notamment le nouveau passeport canadien, dans une vidéo de près de cinq minutes sur Twitter condamnant le gouvernement libéral, debout devant le Monument commémoratif de guerre du Canada, une autre image retirée des futurs documents de voyage.

Cette vidéo en anglais, qui qualifie le nouveau passeport de «livre à colorier» du premier ministre Justin Trudeau, parce qu'il présente des images d'un écureuil mangeant une noix ou d'un garçon sautant dans un lac, a attiré près d'un million de personnes en une semaine, dépassant de loin les autres vidéos récentes du chef conservateur.

«C'est de la politique de trolls», estime Jason Hannan, professeur agrégé à l'Université de Winnipeg au département de rhétorique, d'écriture et de communication. «Ce n'est pas comme si l'identité canadienne dépendait de la conception des passeports. Ce n'est pas comme si les Canadiens se couchaient le soir en pensant joyeusement aux passeports. C'est un faux débat créé de toutes pièces.»

Les libéraux ne sont pas les premiers à modifier le travail de marketing, d'image de marque ou de publicité de gouvernements précédents, a rappelé de son côté Alex Marland, professeur de sciences politiques à l'Université Memorial, de Terre-Neuve-et-Labrador. «Tous les gouvernements façonnent le pays à leur image chaque fois qu'ils le peuvent», a-t-il déclaré.

«La tendance générale est que le Parti libéral amène généralement le Canada dans une direction plus indépendante, et les conservateurs dans une direction plus historique, dans une Histoire telle qu'ils la perçoivent.»

Le professeur Marland l'illustre avec cet exemple: un portrait de la reine Elizabeth II avait été accroché au ministère des Affaires étrangères lorsque les conservateurs étaient au pouvoir, mais les libéraux une fois élus en 2015 ont remis les deux tableaux de Pellan qui étaient là auparavant.

De même, le premier ministre conservateur Stephen Harper avait fait repeindre l'avion gouvernemental en rouge, blanc et bleu, et remis le terme «royal» dans les appellations de l'armée de l'air et de la Marine.

Les libéraux, de leur côté, ont participé au cours de l'histoire au changement des armoiries, de l'hymne national et du drapeau du Canada.

«Une guerre culturelle»

Bien qu'il ne soit pas nouveau pour les politiciens d'attaquer les décisions du gouvernement, M. Poilievre a présenté la refonte du passeport comme une question de guerre culturelle, suggérant que l'histoire, l'identité, les valeurs et les personnages emblématiques du Canada sont en jeu, a estimé le professeur Hannan, qui écrit un livre sur le sujet.

Le professeur de rhétorique et de communications rappelle qu'une guerre culturelle est une lutte pour le cœur et l'âme d'une nation. Cette notion a explosé au Canada lors de la pandémie de COVID-19, avec la politisation et le clivage sur le port du masque et la vaccination.

«C'est une lutte pour définir ce que nous défendons, ce vers quoi nous devrions tendre. C'est une lutte sur ce que signifie appartenir à tel ou tel pays, sur ce que signifie être Canadien, qui nous sommes et qui nous ne sommes pas», explique-t-il. «Donc, si vous pouvez contrôler ce débat, vous pouvez exercer un pouvoir politique considérable.»

Le professeur Hannan souligne toutefois que cela peut conduire à une culture nocive et toxique, comme ce qui a été observé aux États-Unis ces dernières années. «C'est extrêmement corrosif pour la culture de la démocratie, car ça élève ces faux problèmes au-dessus des problèmes réels et fondamentaux.

«Malheureusement, lorsque vous n'avez pas de vision politique significative à offrir pour une société meilleure — lorsque vous ne pouvez pas réellement dire ce que vous voulez pour le Canada, à part de vagues idées et des propos vides de sens sur la 'liberté' —, alors vous attisez la peur, l'indignation et la haine.»

Et lorsque des politiciens réussissent à attiser cette peur, ils peuvent «amener des gens qui ne se parleraient jamais autrement (…) dans une sorte d'unisson, hurlant contre un ennemi commun».

Mais puisque le prochain gouvernement peut très bien procéder à sa propre refonte une fois élu, certains croient que l'indignation sur ces sujets est quelque peu exagérée. «Ces choses ne sont pas éternelles. On n'est pas en train de concevoir de nouveaux édifices du Parlement, qui seront là pour 100 ans», a déclaré David Soberman, professeur de marketing à l'Université de Toronto.

Mickey Djuric, La Presse Canadienne