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Les gestionnaires de communauté en ligne font souvent face à une détresse

durée 16h29
31 décembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Le travail des gestionnaires de communauté en ligne est méconnu, pourtant, ils subissent une pression constante et font souvent face à une détresse psychologique.

Camille Alloing, professeur au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), s’est entretenu avec La Presse Canadienne au sujet de son étude sur ces travailleurs.

M. Alloing s’est interrogé sur l'identité des personnes qui travaillent en ligne quotidiennement et dont le travail est de jouer sur les émotions des autres en créant du contenu.

En arrivant au Québec en 2019, M. Alloing a constaté qu’il n’existait pas d'études sur le travail émotionnel engendré par les activités professionnelles en ligne.

«Le travail émotionnel, c’est la façon dont on va utiliser ses propres émotions pour réguler les émotions des autres dans des situations de face-à-face et particulièrement de service», explique-t-il.

Selon lui, cette absence d’études sur le sujet pourrait s’expliquer par «cette idée que l’on est derrière un écran, donc peut-être qu’on subit un peu moins de violence ou qu’on arrive à prendre plus de recul».

Afin de réaliser son étude, M. Alloing s’est entretenu avec près de 35 relationnistes et communicateurs en ligne, dont certains étaient gestionnaires de communauté à temps plein, et d’autres menaient plusieurs activités en parallèle.

«Je me suis particulièrement intéressé aux personnes qui interagissent avec les internautes. Pas forcément celles et ceux qui font juste produire du contenu, mais vraiment celles et ceux qui vont répondre dans les commentaires, qui vont lire les commentaires», dit-il.

Impact psychologique et rôle des organisations

Il a enquêté sur les conséquences affectives de ce travail de gestion en ligne pour les professionnels qui sont très peu encadrés par les organisations et sont parfois confrontés à des attaques, des épuisements professionnels ou des dépressions.

Pour mener son étude à bien, M. Alloing a demandé à différents professionnels de partager leurs écrans de travail et de lui expliquer les différentes tâches de leurs journées.

Il revient sur ce procédé et relate que «cela m’a permis d’observer que ce qui générait le plus de détresse, c’était vraiment l’accumulation de messages»

Le fait d’être constamment exposé à des messages, des insultes et la peur de ce qui va arriver ont un grand impact sur les gestionnaires de communauté.

M. Alloing a rencontré des professionnels de tous types d’organisations, notamment des OBNL, des personnes travaillant pour les médias, pour des entreprises commerciales ou encore pour des universités.

La même chose est ressortie chaque fois, a constaté M. Alloing: «la plupart ne sont pas du tout soutenus».

Selon Camille Alloing, les entreprises ont l’idée que cela fait partie de leur travail et que la capacité d’encaisser les critiques et les insultes fait partie de leurs compétences professionnelles. Il ajoute que la plupart des travailleurs ne savent même pas à quoi servent certaines publications de contenu, le nombre de «j’aime» reçus, ni ce que cela leur apporte.

«On forme des personnes à aller se confronter en continu jusque chez eux le soir, à interagir avec des gens en continu mais, la plupart du temps, ça ne s’appuie sur aucune stratégie réelle, aucune attente, hormis être en ligne pour être en ligne», déplore M. Alloing.

«Les organisations qui les emploient leur disent "écoutez il faut être sur les médias sociaux", tout le monde est sur les médias sociaux», ajoute-t-il.

Selon M. Alloing, il serait nécessaire de laisser aux travailleurs la possibilité de s'épancher sur ce qu’ils ressentent et sur leur détresse psychologique, que ce soit avec une psychologue au besoin ou tout simplement de leur laisser la possibilité d’être écoutés.

Considérer les violences subies à travers cet emploi comme une blessure de travail et avoir des mécanismes de signalement qui précèdent l’épuisement professionnel et la dépression pourraient également être d’autres types de solutions, d'après le professeur.

«Enfin, le fait de ne pas laisser à une seule personne la charge d’être constamment en interaction, donner la possibilité de diversifier les tâches», ajoute M. Alloing.

Le droit à la déconnexion

Les plateformes utilisées par les gestionnaires de communauté empêchent la déconnexion, déclare M. Alloing.

Le chercheur dit effectivement que les pages Facebook et Instagram professionnelles doivent être reliées à un compte.

«Très souvent c’est le compte personnel du gestionnaire de communauté qui est rattaché à la page Facebook, relate M. Alloing. Les gens nous disent: “Si je rentre chez moi le soir et je veux voir ce qui s’est passé sur Facebook et bien je vois quand même que ma publication a été aimée ou qu’il y a eu des commentaires sur telle photo.”»

Le problème vient, selon M. Alloing, du fait que les plateformes mélangent vie personnelle et professionnelle sans réellement faire de distinction et que les employeurs n’invitent pas réellement à la déconnexion.

M. Alloing ajoute que la conception de ce qu’est la déconnexion varie entre les hommes et les femmes.

«Les hommes, quand ils veulent se déconnecter, ils vont tenir des discours: “moi, je vais m’imposer à mon chef, je vais cacher mon téléphone ou donner ma carte SIM à mon conjoint ou à ma conjointe”, indique M. Alloing. Chez les femmes, c’est plus une charge mentale supplémentaire: “je vais faire l’effort de ne pas penser au travail".»

Dans son article paru en début d’année 2025, M. Alloing soulignait l’absence de programmes universitaires consacrés au fonctionnement des communautés en ligne.

Au mois d’octobre, l’UQAM a annoncé la création d’un nouveau programme qui débutera dès la session d'automne 2026: un certificat en études des communautés en ligne. M. Alloing a participé à la création de ce programme qui se donnera essentiellement en ligne.

«La formation vise à avoir une compréhension plus large de l’environnement numérique», a déclaré M. Alloing.

Anja Conton, La Presse Canadienne

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