Les dirigeants d'Hydro-Québec n'ont pas confronté un employé accusé d'espionnage


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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Un ancien chercheur de l'Institut de recherche sur les services publics d'électricité du Québec, accusé d'espionnage économique au profit de la Chine, n'a jamais été confronté aux préoccupations de la haute direction d'Hydro-Québec.
«Ce n'était pas une obligation», a déclaré Patrick Cyr, un gestionnaire qui supervisait Yuesheng Wang à l'époque.
Wang, 38 ans, a plaidé non coupable d'espionnage économique en vertu de la Loi sur la protection de l'information du Canada; c'est la première fois qu'une personne est accusée de ce crime.
Il fait également face à quatre autres chefs d'accusation déposés en 2022 et 2024 en vertu du Code criminel: utilisation frauduleuse d'un ordinateur et abus de confiance lors de son arrestation en novembre 2022, et accusations portées en 2024 pour avoir commis des actes préparatoires pour le compte d'une entité étrangère et avoir informé cette entité – la République populaire de Chine – de ses intentions.
La question au cœur de la thèse de la Couronne est que Wang avait publié ses recherches sans passer par le comité de propriété intellectuelle de l'institut de recherche ni au su d'autres responsables d'Hydro-Québec. Le comité doit être informé de tout projet d'article, de conférence ou de brevet et les approuver.
Les technologies de batterie ciblées
Lors d'un contre-interrogatoire serré mené vendredi par l'avocate de Wang, Alexandra Boulanger, M. Cyr a expliqué que la conclusion initiale était que les règles internes d'Hydro-Québec avaient été compromises lorsqu'un article universitaire a été publié en mars 2022, au su de l'entreprise.
«Des personnes à l'interne effectuaient le travail scientifique pour vérifier: quelles étaient les publications ? Quels étaient les éléments publiés sur les sites web ?», a témoigné M. Cyr.
La Couronne fédérale allègue que Wang a soumis des candidatures à des universités chinoises dans le cadre du programme Mille Talents, un outil de recrutement utilisé par le gouvernement chinois pour inciter les scientifiques formés à l'étranger à revenir travailler en Chine dans le cadre de sa politique d'acquisition de technologies.
Wang se serait engagé à aider des entités chinoises à commercialiser des technologies de batteries liées à des domaines de recherche confidentiels d'Hydro-Québec.
C'est M. Cyr qui a envoyé un courriel à la sécurité de l'entreprise pour obtenir une analyse interne des activités scientifiques externes de Wang.
Il a témoigné que la confidentialité s'applique à la majorité des projets du Centre d'excellence en électrification des transports et en stockage d'énergie, un institut de recherche d'Hydro-Québec situé à Varennes, au Québec, qui étudie les technologies de batteries avancées et les systèmes de stockage d'énergie.
M. Cyr a déclaré que les détails de recherche en cours pour un article ou un futur brevet sont considérés comme confidentiels, mais que les informations rendues publiques par des publications ou des brevets ne le sont pas.
La cour a appris que Wang n'avait jamais informé personne de son intérêt à changer d'emploi. M. Cyr a souligné que les employés sont autorisés à occuper un autre emploi, mais qu'ils doivent le déclarer et que celui-ci ne doit pas être dans l'industrie des batteries en raison de risques de conflit d'intérêts.
Le gestionnaire a raconté que les projets qu'Hydro-Québec entreprend avec des partenaires externes sont assujettis à des accords de confidentialité et que les employés seraient informés que l'information ne devrait pas être divulguée.
Il a également souligné lors de son témoignage que les informations de recherche et la documentation contenue dans les cahiers de laboratoire manuscrits, essentiels à la validation des résultats, notamment pour les brevets, sont la propriété d'Hydro-Québec. Les informations sont conservées dans un coffre sécurisé et leur accès est hautement contrôlé.
La découverte de la première publication par les supérieurs de Wang a déclenché une enquête interne, qui a finalement conduit à son licenciement du centre de recherche en novembre 2022. Il a été suspendu sans salaire en août 2022 à son retour de vacances autorisées par l'entreprise lors de son voyage en Chine. Son ordinateur a été saisi et son accès aux systèmes internes a été désactivé à ce moment-là.
Renforcement des mesures de confidentialité
Lors du contre-interrogatoire, M. Cyr a admis avoir entendu dire que les règles du centre étaient devenues plus strictes avec le départ du fondateur de l'institut, Karim Zaghib, qui a témoigné plus tôt cette semaine et qui a pris sa retraite du centre.
M. Cyr a expliqué au tribunal qu'Hydro-Québec avait pris des mesures pour bloquer l'accès aux services de messagerie électronique personnelle sur les ordinateurs de l'entreprise à compter de mars 2021, une modification de politique détaillée pour les employés au cours de cette année civile. Hydro-Québec fournit également des caméras dédiées, pour documenter les travaux scientifiques, a-t-il précisé.
Les témoins de la Couronne au procès ont déclaré que les communications entre l'accusé et les employés se faisaient principalement en anglais.
Wang, qui ne parle pas français, s'était joint à l'institut de recherche de la société d'État en 2016. Une grande partie de la formation et des communications aux employés de ce service public provincial se déroulaient en français, y compris les examens annuels obligatoires du code de déontologie. Malgré six ans passés au sein de l'établissement, Wang n'a pas beaucoup appris le français.
Le juge Jean-Philippe Marcoux de la Cour du Québec a également informé l'avocat de l'accusé, Gary Martin, qu'il souhaiterait que Wang témoigne en mandarin s'il devait témoigner – ce qui pourrait durer jusqu'à trois jours – en raison de la difficulté à comprendre son fort accent anglais.
La procureure de la Couronne fédérale, Sabrina Delli Fraine, a également indiqué au tribunal vendredi soir qu'elle envisageait d'appeler des témoins ne figurant pas sur sa liste actuelle.
Le procès sera suspendu une semaine la semaine prochaine avant de reprendre le 27 octobre. Il se déroule au palais de justice de Longueuil, au sud de Montréal.
Sidhartha Banerjee, La Presse Canadienne