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Les artistes s'inquiètent face à l’essor fulgurant des contenus générés par l’IA

durée 09h00
15 novembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

OTTAWA — Le 1er novembre, Xania Monet faisait son entrée dans le classement Adult R&B de Billboard. Une semaine plus tard, le titre «Walk my Walk» de Breaking Rust se hissait en tête du classement des ventes numériques country de Billboard.

Bien que ces deux artistes aient une apparence et une voix humaines, ils ne le sont pas. Tous deux sont générés par intelligence artificielle.

Monet a été la première artiste générée par IA à faire son entrée dans un classement de diffusion radio de Billboard.

Pour les artistes humains, c'est une source d'immense inquiétude.

«Je constate que de plus en plus de gens sont effrayés, en colère et bouleversés par ce qui se passe», a déclaré en entrevue Arun Chaturvedi, président de l'Association des auteurs-compositeurs du Canada.

«Déjà, 100 000 chansons sont mises en ligne chaque jour sur Spotify par des créateurs humains, et ce chiffre augmente de façon exponentielle avec ce genre de productions IA de piètre qualité, ce qui rend la tâche encore plus difficile pour les artistes qui souhaitent se faire connaître.»

Les musiciens ne sont pas les seuls artistes à s'inquiéter. Le Comité permanent du patrimoine de la Chambre des communes entamera lundi la rédaction d'un rapport, après avoir tenu ses auditions, plus tôt ce mois-ci, dans le cadre d'une étude sur l'IA et le secteur créatif.

Les députés membres du comité ont entendu des groupes et des syndicats représentant les industries créatives, notamment la musique, l'édition et la production télévisuelle et cinématographique.

Le contenu généré par l'IA est rendu possible par l'ingestion massive de contenu existant par les systèmes d'IA. Les groupes créatifs contestent l'utilisation par l'IA d'œuvres protégées par le droit d'auteur sans autorisation et souhaitent la mise en place d'un système de licences encadrant cette utilisation.

Un groupe représentant les éditeurs canadiens a souligné que même le premier ministre n'est pas à l'abri de la concurrence de l'IA.

John Illingworth, directeur général de l'Association des éditeurs canadiens, a souligné lors de son audition devant le comité qu'un véritable «déluge» de livres de faible qualité, générés par l'IA, déferle sur les grandes plateformes de distribution. «Une recherche sur Amazon.ca avec les mots-clés “biographie de Mark Carney”, par exemple, fait apparaître une multitude de prétendues biographies de notre premier ministre. Nombre d’entre elles arborent une couverture générée par une IA et certaines apparaissent même mieux dans les résultats de recherche que ses propres ouvrages», a fait valoir M. Illingworth, faisant référence au livre de M. Carney publié en 2021.

«Le consommateur moyen n’a aucune façon de distinguer un livre bien documenté d’un ouvrage incohérent et sans intérêt avant de l’acheter», a-t-il ajouté.

Victoria Shen, directrice générale de la Guilde des écrivains du Canada, a affirmé aux députés que l’IA générative est «entraînée grâce au travail d’artistes et de créateurs et menace désormais leurs moyens de subsistance».

Tania Kontoyanni, présidente du conseil d’administration de l’Union des artistes, a affirmé que les artistes ont nourri une bête qui menace maintenant de les dévorer.

Wyatt Tessari L’Allié, fondateur et directeur général de Gouvernance et sécurité de l’IA Canada, a indiqué que des plateformes comme Spotify et Google sont déjà inondées de contenu généré par l’IA – et ce n’est que le début. «D’ici quelques années, lorsque nous aurons probablement accès à du contenu IA personnalisé de haute qualité, disponible à la demande et à très bas coût, il est fort probable que plus de 90 % du contenu visionné par les Canadiens sur leurs plateformes soit généré par l’IA», a-t-il déclaré.

Le PDG de Disney a indiqué cette semaine que la plateforme de diffusion en continu Disney+ pourrait permettre aux utilisateurs de générer leur propre contenu.

Licences et transparence

Les groupes de l’industrie créative ne demandent pas au gouvernement de freiner la concurrence dans le domaine de l’IA. Ils souhaitent plutôt que le gouvernement exige de la transparence de la part des entreprises d’IA afin de pouvoir savoir quand leurs œuvres sont utilisées, ce qui faciliterait la mise en place d’un système de licences.

«La transparence quant à l’intégration des œuvres dans l’entraînement d’un système est essentielle pour que les artistes sachent ce qui est utilisé et ce qu’ils peuvent concéder sous licence», a déclaré Erin Finlay, conseillère juridique d’Access Copyright, aux députés.

«Sans cette information, les artistes sont complètement démunis. Dois-je concéder une licence ? Puis-je le faire ? Mon œuvre est-elle utilisée ? Je n’en sais rien.»

Lisa Broadfoot, vice-présidente aux affaires industrielles et commerciales de l'Association canadienne des producteurs de médias, a indiqué que le groupe «appuie le développement d'un marché des licences dynamique où les producteurs et autres titulaires de droits peuvent négocier librement l'utilisation de leur propriété intellectuelle pour la formation de l'IA et d'autres usages».

La question de la façon dont le droit d'auteur encadre l'utilisation d'œuvres protégées pour la formation de l'IA est actuellement portée devant les tribunaux au Canada et aux États-Unis. Les groupes de l'industrie créative ont exhorté les députés à ne pas ajouter de nouvelles exceptions à la Loi sur le droit d'auteur qui profiteraient aux entreprises d'IA.

La question de l'ajout d'une nouvelle exception pour l'exploration de textes et de données à la législation figurait parmi les questions examinées par le ministère du Patrimoine canadien lors d'une consultation il y a deux ans. L'industrie technologique est favorable à cette exception, qui s'appliquerait à l'utilisation de matériel à des fins de formation.

Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l'Internet et du commerce électronique à l'Université d'Ottawa, a averti le comité que le développement de l'IA se délocaliserait si le Canada rendait le développement de cette technologie plus difficile ou plus coûteux.

«Il est donc essentiel de veiller à ce que nos cadres juridiques en matière de droit d'auteur soient concurrentiels à l'échelle mondiale», a-t-il affirmé.

«C’est pourquoi nous avons besoin de lois sur le droit d’auteur qui continuent de trouver un juste équilibre grâce à des règles d’utilisation équitable efficaces et, compte tenu des exceptions relatives à l’exploration de textes et de données ailleurs, notamment dans l’UE, des exceptions appropriées qui positionnent le Canada comme réceptif aux possibilités offertes par l’IA.»

Anja Karadeglija, La Presse Canadienne

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