Les aliments ultratransformés prennent de plus en plus de place, selon des études

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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — La planète consomme de plus en plus d'aliments ultratransformés et les conséquences pour la santé sont désastreuses, prévient une série de trois articles publiée par le prestigieux journal médical The Lancet et à laquelle a contribué un chercheur de l'Université de Montréal.
Le premier article examine ainsi les preuves scientifiques selon lesquelles les aliments ultratransformés remplacent les aliments et les repas frais et peu transformés; détériorent la qualité de l'alimentation; et sont associés à un risque accru de multiples maladies chroniques.
«C'est une transition que nous avons vécue au cours du 20e siècle, a dit Jean-Claude Moubarac, qui est professeur au département de nutrition de l’Université de Montréal, chercheur au Centre de recherche en santé publique de l’UdeM et membre du groupe d’experts Guideline Development Group for Ultra-Processed Foods de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
«Et aujourd'hui, c'est important de reconnaître que ces produits sont vraiment des produits malsains associés à la détérioration de notre état de santé. C'est important de le reconnaître pour que, clairement, dans nos recommandations alimentaires, on puisse recommander aux gens quoi manger pour être en bonne santé, mais aussi quoi éviter, quoi retirer de l'alimentation pour pouvoir favoriser une santé optimale.»
Les aliments ultratransformés sont ceux qui ont été produits industriellement et qui contiennent des ingrédients que l’on ne trouve généralement pas dans une cuisine familiale, comme des émulsifiants, des agents de conservation, des colorants et des arômes artificiels.
Cette vaste catégorie comprend des produits tels que les boissons gazeuses, les nouilles instantanées et les croustilles, ainsi que des aliments moins évidents comme les yaourts aromatisés et les pains complets préparés dans le commerce.
Les auteurs indiquent que leur «revue systématique de 104 études prospectives a révélé que 92 d'entre elles montraient un lien entre les habitudes alimentaires ultratransformées et un risque accru de maladies chroniques».
Les méta-analyses de 15 résultats, ajoutent-ils, «ont révélé des liens statistiquement significatifs pour 12 d'entre eux, notamment: le surpoids ou l'obésité; le diabète de type 2 et d'autres facteurs de risque cardiométaboliques; les maladies cardiovasculaires, rénales et gastro-intestinales; la dépression; et la mortalité toutes causes confondues».
Une récente étude de Jean-Claude Moubarac montrait que la consommation de ces produits serait responsable de près de 40 % des maladies cardiovasculaires au Canada.
La série révèle que la part des aliments ultratransformés dans l'apport énergétique total a augmenté au cours des trois ou quatre dernières décennies dans huit des neuf pays à revenu intermédiaire et élevé ayant mené des enquêtes répétées sur la consommation ou les achats à l'aide de l'échelle Nova. Les augmentations ont été plus importantes dans les pays où la part des aliments ultratransformés était initialement faible et plus faibles dans ceux où cette part était déjà élevée.
Des enquêtes nationales, des cohortes importantes et trois études interventionnelles montrent systématiquement que l'exposition à un régime alimentaire ultratransformé dégrade largement la qualité de l'alimentation, écrivent les auteurs de l'étude.
Les conséquences néfastes comprennent des déséquilibres nutritionnels importants; de multiples facteurs favorisant la suralimentation; une réduction de l'apport en composés phytochimiques protecteurs de la santé; et une augmentation de l'apport en composés toxiques, en perturbateurs endocriniens et en classes et mélanges d'additifs alimentaires potentiellement nocifs, peut-on lire dans The Lancet.
«Le message global, c'est que le corps humain n'est pas adapté à ces produits qui sont des formulations riches en sucre, en gras et en sel, et qui nous encouragent à surconsommer, a dit le professeur Moubarac. Je pense que le message est particulièrement important pour les jeunes, puisque les jeunes apprennent à manger très tôt et on voit que leur niveau de consommation de ces produits est très élevé, plus élevé que chez les adultes, donc ils apprennent à désirer ces saveurs très sucrées, très salées, et ils perdent un peu le goût pour les textures plus complètes, plus nutritives.»
Selon les données les plus récentes dont on dispose, les aliments ultratransformés représentent près de 45 % de l’apport énergétique quotidien des Canadiens de 20 ans et plus.
Renforcer les efforts
Le deuxième article de la série propose d'ailleurs que les efforts déjà déployés pour réduire la consommation d'aliments ultratransformés «soient renforcés et élargis afin de traiter un ensemble plus large de facteurs du système alimentaire qui influencent la production, la commercialisation et la consommation des aliments ultratransformés».
Les auteurs demandent par exemple que les ingrédients caractéristiques des aliments ultratransformés ― comme les colorants, les arômes et les édulcorants ― soient indiqués sur les étiquettes apposées sur le devant des emballages, au même titre que les teneurs excessives en graisses saturées, en sucres et en sel, afin d'éviter les substitutions par des ingrédients malsains et de permettre une réglementation plus efficace.
Ils réclament également l'interdiction de ces aliments dans des établissements publics comme les hôpitaux et les écoles, et demandent qu'on limite l'espace qu'ils peuvent occuper dans les supermarchés.
Ils citent en exemple le Brésil, dont le programme national d’alimentation scolaire exige que 90 % des aliments servis soient peu ou pas transformés, et qu’ils proviennent de l’agriculture locale.
Des pays comme le Mexique et le Chili ont aussi adopté des mesures pour réduire l'omniprésence des aliments ultratransformés dans leur environnement alimentaire, notamment en imposant des restrictions sur la publicité; en modifiant leur étiquetage pour faciliter leur identification et décourager l'achat au point de vente; et en imposant leur retrait des écoles ou des hôpitaux «afin d'offrir une alimentation saine», a rappelé le professeur Moubarac.
Au Canada, ajoute-t-il, une taxation des aliments ultratransformés permettrait de générer des revenus qui pourraient être consacrés à la prévention.
«On est confrontés à des enjeux sociétaux très importants, a-t-il souligné. Changer du jour au lendemain son alimentation, c'est complexe, on a besoin de réfléchir à l'environnement alimentaire, puis comment on peut changer l'environnement pour que nos habitudes alimentaires puissent être favorisées.»
Plus près de nous, il mentionne sa collaboration avec l'Institut de cardiologie de Montréal, où on constate qu'on peut renverser des maladies comme le diabète de type 2 en retirant les aliments ultratransformés de l'alimentation des patients.
«Je pense que c'est ce qu'on va voir dans l'avenir: perdre du poids, perdre son diabète, perdre son hypertension en revenant à une alimentation qui est plus saine, a indiqué le professeur Moubarac. Ce n'est pas facile, mais c'est très possible de le faire, puis il faut commencer à en parler.»
Le troisième article explique comment les entreprises d'aliments ultratransformés utilisent des ingrédients bon marché et des méthodes industrielles pour réduire les coûts, en plus de déployer un marketing agressif et des designs attrayants pour stimuler la consommation. Les auteurs estiment que les ventes mondiales annuelles d'aliments ultratransformés totalisent 1900 milliards $ US, ce qui en fait «le secteur alimentaire le plus profitable».
Le professeur Moubarac s'attend donc à une riposte musclée de l'industrie alimentaire, qui «a des tactiques pour contrôler, pour essayer de gérer le politique, pour gérer la science et pour gérer les professionnels de la nutrition».
«C'est un peu comme l'industrie du tabac quand on a commencé à parler des dangers de la cigarette, a illustré le professeur Moubarac. Même si la science n'a pas répondu à toutes les questions, je crois qu'on a suffisamment de données pour agir de façon bienveillante. Il faut avoir un appui social et on doit comprendre les intérêts économiques derrière ces produits qu'on essaie de restreindre dans notre environnement.»
Il prédit aussi que certains experts s'opposeront à cette série d'articles pour des «raisons plus politiques que scientifiques».
Certains, a-t-il dit, feront valoir qu'on ne peut pas mettre tous les aliments ultratransformés dans le même panier, que la boisson sucrée, le sac de croustilles et les pizzas surgelées sont différents.
«Mais ces produits ont également des points en commun et la littérature montre que, lorsqu'on les prend ensemble, eh bien ils sont associés à une détérioration de notre état de santé plus que lorsqu'on les prend individuellement», a-t-il répliqué.
Le Québec est pour le moment retard, prévient-il, puisque les responsables gouvernementaux ne reconnaissent même pas encore «que la transformation des aliments a un impact sur la qualité des produits».
On doit inviter l'industrie agroalimentaire du Québec à faire autrement, puisqu'il est possible de transformer les aliments «sans aller dans l'ultratransformation (...) et lorsqu'on va accepter et reconnaître ce problème, je pense qu'on va pouvoir aller de l'avant au lieu d'être en retard».
«Le Québec doit comprendre que partout à travers la planète, les gouvernements s'intéressent à cette problématique et les premières industries qui vont se réformer vont être gagnantes, a-t-il conclu. Avec cette série, on espère être plus convaincants pour qu'on puisse entrer dans la danse parce que présentement, on est assis, puis on regarde des gens danser, puis on se plaint qu'on a mal, donc il faut commencer à se lever puis à bouger.»
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne