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Le Monastère des Augustines serait une source de bien-être, selon des études

durée 09h00
6 décembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

7 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Des invités, proches aidants et soignants du Monastère des Augustines, à Québec, y vivent une transformation qui les accompagnera dans certains cas pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, une métamorphose que des recherches menées par l'Université Laval attribuent au «patrimoine matériel et immatériel» de cet endroit plusieurs fois centenaire.

C'est d'ailleurs le témoignage d'une dame qui a mis la puce à l'oreille des chercheurs qu'il y avait possiblement là quelque chose à approfondir.

«Je me souviens d'une dame qui m'avait appelée, je pense que ça faisait six mois qu'elle était partie d'ici», a raconté la directrice générale du Monastère des Augustines, Isabelle Duchesneau.

«Je pense qu'elle avait passé trois ou quatre jours (ici). Elle m'a dit, je voulais juste vous témoigner que, je ne sais pas ce qui s'est passé chez vous, mais je porte encore en moi ce changement-là. Alors là, on savait qu'il se passait quelque chose.»

Ce «quelque chose» a fait l'objet de trois projets de recherche pilotés par VITAM – Centre de recherche en santé durable et l’Université Laval.

Les chercheurs ont constaté que le patrimoine matériel et immatériel du Monastère – à savoir, l'histoire des Augustines, leurs valeurs de soin, l'architecture du lieu et les artéfacts – favorise la diminution de l’épuisement et l’amélioration du bien-être, notamment chez les soignants et les proches aidants.

Les résultats, a-t-on précisé, soutiennent que le patrimoine des Augustines «active de multiples mécanismes psycho-environnementaux favorisant le bien-être».

Mais tout ça reste bien abstrait et il n'y a pas grand-chose à ce sujet dans la littérature scientifique, à part peut-être des études qui témoignent des bienfaits pour la santé mentale d'un contact avec la nature, a dit Simon Coulombe, qui est professeur titulaire au département des relations industrielles et titulaire de la Chaire de recherche en santé mentale, autogestion et travail à l'Université Laval.

Des études ont aussi été réalisées sur le patrimoine en Angleterre, mais il s'agissait davantage de mieux comprendre l'impact d'une visite à un lieu patrimonial ou à un musée, a-t-il ajouté.

«C'est intéressant, mais il n'y a pas toute la dimension du matériel et de sa mise en valeur autant qu'ici, a dit le professeur Coulombe. Et c'était ça qu'on trouvait intéressant comme innovation du côté de la recherche, d'aller documenter l'innovation sociale qui a été faite ici, de voir à l'intersection entre ce qui est tangible et intangible ce que les personnes qui viennent ici quelques heures ou plusieurs jours rapportent, comment elles vivent ça, ce que ça leur apporte.»

Trois études

La première étude a été menée auprès de 344 invités en séjour et de 34 membres du personnel et partenaires du Monastère. Les participants ont indiqué que le patrimoine matériel des Augustines «crée un sentiment immédiat de refuge».

Le lieu, ont-ils dit, est «sécurisant et apaisant, réduisant le stress, la tristesse et l’épuisement». La beauté du patrimoine favorise selon eux la contemplation et une «parenthèse hors du temps» qui permettent de se distancer du quotidien. L’expérience du lieu encouragerait aussi l’autocompassion, aidant les personnes à adopter une posture plus douce et équilibrée dans leur vie personnelle et professionnelle.

La deuxième étude a été menée auprès de 73 proches aidants, qui ont témoigné d'une réduction marquée de l’épuisement et de l’anxiété suite à leur séjour de répit au Monastère. Ils ont aussi rapporté plusieurs améliorations du bien-être qui se sont parfois maintenues jusqu’à trois mois après le séjour. Dans ce cas-ci, c'est «le patrimoine immatériel des Augustines» qui favoriserait l’autocompassion et la revalorisation du rôle d’aidant, «rappelant l’importance de prendre soin de soi pour mieux soutenir l’autre».

«Suite au séjour versus avant, il y a plusieurs améliorations sur plusieurs indicateurs de bien-être, de détresse, la capacité à continuer à assumer le rôle de proche aidant, a dit le professeur Coulombe. Et trois mois plus tard, il reste encore des effets positifs, donc on voit qu'il y a quelque chose de durable. Mais il y a aussi certains effets qui ne sont plus là, donc il y a possiblement éventuellement à se questionner à savoir ce qui pourrait être fait pour réactiver ça.»

Au-delà du sentiment de calme et d'apaisement que plusieurs rapportent quand ils franchissent la porte du Monastère, a-t-il poursuivi, des soignants et des proches aidants ont dit avoir trouvé un sens à ce qu'ils font, réalisant qu'ils sont «dans la lignée des Augustines» et y trouvant la force de continuer.

«L'idée de s'attacher à quelque chose de plus grand que soi, le sentiment de contribution sociale ou de faire partie d'une communauté, c'est majeur comme pilier du bien-être et de la santé», a rappelé le professeur Coulombe.

La troisième et dernière étude a été réalisée auprès de 73 soignants ayant participé à une journée de ressourcement au Monastère. Les participants ont expliqué que le lieu offre «un espace de répit permettant de réduire l’épuisement émotionnel».

L’immersion dans le calme et les valeurs de soin héritées des Augustines, a-t-on indiqué, encouragent les participants «à mieux prendre soin d’eux-mêmes, un réalignement jugé essentiel à la durabilité de leur pratique». Chez une majorité de participants, «l’expérience a renforcé significativement le sens du travail, rappelant les racines profondes de la profession», une expérience qui favoriserait également une compassion renouvelée envers soi et les autres.

«Ce qui est marquant et qui ajoute du poids à ce qu'on trouve, c'est le portrait très, très, très constant d'une personne à l'autre, a souligné le professeur Coulombe. Oui, il y a des variations dans comment c'est vécu, mais c'est très constant. Une grande proportion des invités arrivent ici stressés, fatigués, anxieux, et ils ressortent avec un calme, de la quiétude, de la sérénité... C'est très constant d'une personne à l'autre.»

Tous ces résultats ont été colligés à l'aide de questionnaires validés, mais les chercheurs comptent poursuivre leurs travaux en mettant à profit des techniques de neuro-imagerie pour scruter le cerveau des participants et générer des données ancrées encore plus solidement dans la science.

Réconciliation

La religion, on le sait, a occupé une place immense dans la société québécoise jusqu'au moment de la Révolution tranquille.

Des milliers de Québécois qui sont passés entre les murs des établissements gérés par les différentes communautés religieuses y ont toutefois vécu des expériences fort peu agréables. Certains lecteurs gardent probablement un souvenir impérissable des châtiments corporels qui faisaient office de discipline à l'époque, pour ne citer qu'un seul exemple.

On peut donc légitimement se demander dans quel esprit plusieurs se trouvent au moment d'arriver au Monastère des Augustines, que ce soit parce qu'ils ont besoin de soins ou parce qu'un de leurs proches y séjourne.

«On a des anecdotes et on voit un peu de tout, a dit Mme Duchesneau. La plupart des gens vont connecter avec l'histoire de compassion plus qu'avec l'histoire de religion. Le témoignage de plusieurs personnes, c'est de dire que ça leur faisait un peu peur de venir ici, "mais mon Dieu, ça me réconcilie".»

Les besoins de la société en matière de santé mentale ne cessent d'augmenter, a rappelé le professeur Coulombe, et force est de constater que les ressources dont on dispose sont insuffisantes.

Il faut donc commencer à explorer des pistes alternatives, a-t-il dit, et c'est dans cette optique que les chercheurs veulent maintenant explorer comment on pourrait appliquer ailleurs ce qui est ressenti et vécu au Monastère.

«Ce que je trouve le plus intéressant, c'est de voir comment on peut mettre en valeur quelque chose (le patrimoine) qu'on a de la difficulté à mettre en valeur, a expliqué le professeur Coulombe. On ne sait plus quoi faire avec, mais peut-être qu'on pourrait l'exploiter pour répondre à un enjeu contemporain.»

De seize à quatre

Les trois premières Augustines à mettre le pied au Québec y arrivent de Dieppe, en France, en 1639. Elles y fondent le premier hôpital en Amérique, au nord du Mexique, et au fil des siècles créent douze monastères-hôpitaux dans la province.

La construction du monastère-hôpital de l’Hôtel-Dieu de Québec débute en 1695, mais le bâtiment est ravagé par les flammes en 1755. La reconstruction se termine en 1757, et certains des éléments de l'époque – comme un escalier multicentenaire dont les marches dignes d'une maison des miroirs témoignent de son âge tout autant qu'elles menacent de faire trébucher les distraits – sont encore utilisés aujourd'hui et font partie de son «patrimoine matériel».

Le monastère accueillait, il y a seulement dix ans, encore seize religieuses. Elles ne sont plus que quatre aujourd'hui.

On croise au hasard de notre visite l'une d'entre elles, sœur Lise Tanguay, la supérieure générale actuelle de la congrégation.

Bon pied bon œil, l'esprit vif et la parole posée, la jeune femme de 82 ans raconte que ceux qui passent la porte du Monastère sont frappés par quelque chose d'unique qui explique possiblement, et du moins en partie, ce qu'ils y vivent par la suite.

«Ils nous disent qu'ils entendent le silence, a-t-elle dit. Ils sont coupés de la frénésie du monde extérieur et ça leur permet de cueillir quelque chose et de se recueillir, parce que dans "recueillir", il y a "cueillir".»

La vocation des Augustines, rappelle la religieuse, a toujours été d'offrir des soins à ceux qui en avaient besoin, de les accueillir inconditionnellement, sans jugement, sans essayer de leur imposer leur foi – une philosophie dont les murs du Monastère se sont vraisemblablement imprégnés au fil des siècles et qui continue à en émaner aujourd'hui.

Avant de retourner à ses décorations de Noël, sœur Lise relate une anecdote qui, en quelques mots, illustre mieux que les scientifiques ne pourront jamais le faire ce phénomène qui se trouve pourtant au centre même de leurs travaux.

«Il n'y a pas longtemps, j'ai croisé une femme ici qui pleurait à chaudes larmes, a-t-elle dit. Je suis allée la voir et je lui ai demandé si je pouvais l'aider. Elle m'a regardé et elle m'a simplement dit, "non merci, je viens de trouver ce que je cherchais depuis toujours".»

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne

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