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Le manque d'eau rend impossible la rétention du personnel soignant au Nunavik

durée 10h00
23 novembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

PUVIRNITUQ — Il est difficile de retenir les professionnels de la santé qui décident d'aller exercer au Nunavik, avec les pénuries d'eau constantes auxquelles ils sont confrontés. Des infirmières et des médecins pourtant dévoués pour la population nordique s'épuisent à travailler dans des conditions difficiles, dont fait certainement partie le manque d'accès à l'eau.

Dans le Grand Nord, les gens vont soit travailler avec les Cris dans la baie James ou avec les Inuit dans la baie d'Hudson, résume Raphaëlle Carpentier, infirmière au CLSC d'Inukjuak. «Il y a beaucoup d'infirmières qui décident d'aller dans la baie James pour pouvoir avoir accès à un certain confort, c'est-à-dire avoir de l'eau courante et du réseau cellulaire», indique-t-elle.

Sa collègue infirmière Raphaelle Durand se questionne sur sa propre tolérance à cet environnement. «Ce n'est pas fait pour tout le monde, vraiment pas. Et même quand t'aimes ça — moi j'aime la communauté, j'aime le rôle que je joue ici — il y a des irritants comme l'eau où je me dis: est-ce que dans 20 ans je vais être encore apte à ''dealer'' avec ça? Sûrement pas», tranche-t-elle.

Mme Durand affirme que la durée de service d'une infirmière dans le Nord est de 18 mois en moyenne. «Après, elles sont brûlées et elles reviennent», soutient-elle. La pénurie de main-d'œuvre crée un autre irritant pour ceux qui restent. Ils doivent s'adapter à un fort roulement de personnel et accompagner les recrues dans leurs premiers pas dans le Nord.

«Dernièrement, on a perdu une super bonne médecin, se désole Mme Durand. C’est multifactoriel, mais elle disait: ''je ne suis plus capable de baisser la qualité des soins que je donne aux patients à cause du manque d'eau''.»

Les sacrifices doivent en valoir la peine

Il y a eu beaucoup de nouvelles embauches récemment, se réjouit le Syndicat nordique des infirmières et infirmiers de la Baie-d'Hudson (SNIIBH-FIQ). Mais il reste ardu de les garder en poste avec l'environnement difficile.

Muriel Beauchamp a travaillé comme infirmière une vingtaine d'années pour le Centre de santé Inuulitsivik (CSI) et elle est maintenant impliquée auprès du syndicat. Durant sa carrière, elle a constaté «un énorme changement» dans le recrutement du personnel.

«Les gens ne restent pas. Il y en a qui viennent pour un ''stretch'' comme on dit, souvent quatre semaines, puis ils ne reviennent plus», affirme-t-elle. Selon Mme Beauchamp, les pénuries d'eau y sont pour quelque chose.

Le Dr Vincent Rochette-Coulombe, qui travaille à temps plein à Puvirnituq, abonde dans le même sens. «Il y a comme deux types de personnes qui travaillent au Nunavik: il y a ceux qui font trois semaines et ceux qui font trois ans», résume-t-il.

Mme Beauchamp le dit ainsi: «On quitte notre famille, on s'exile un peu le temps qu'on va travailler. On connaît tout ça. On le sait. Mais d'arriver et d'avoir des conditions exécrables comme ça, de manquer d'eau, ça ne donne pas le goût de tout faire ça. T'as besoin d'un certain confort, d'un bien-être.»

L'enjeu des douches

Pénurie d'eau ou pas, les locaux et le personnel sont habitués d'économiser l'eau. Tout le monde a un contenant de secours pour pouvoir tirer la chasse d'eau en cas d'urgence.

Le manque d'eau s'immisce dans la vie quotidienne de toutes sortes de façons, comme la préparation de repas, le lavage, le ménage, la vaisselle, etc. Mais ce qui est le plus difficile à vivre pour les Québécois du Sud qui viennent travailler dans le Nord, c'est d'espacer les douches de plusieurs jours.

«Ça va jouer énormément sur le moral des troupes», soutient Liv Larsen, coordonnatrice des ressources matérielles pour le CSI. Un jour, elle a elle-même frappé son mur alors qu'elle ne s'était pas douchée depuis une semaine et qu'elle a cru (erronément) que le camion des eaux usées était passé.

«Je me suis mise à pleurer. J'ai eu un moment de découragement. Ça vient te chercher en dedans», témoigne-t-elle.

Manon Rancourt, qui a été coordonnatrice à la direction des services hospitaliers au CSI, a souvent entendu des personnes être catégoriques: si elles n'ont pas d'eau, elles veulent s'en retourner.

«À un moment donné, les gens deviennent irritables et c'est très compréhensible, dit-elle. Le passage dans le Nord fait réaliser comment on vit dans l'abondance ici. On ne manque pas d'eau, et si on manque de l'électricité pendant une demi-heure, on devient fou. Là-bas, ce n'est pas rare de ne pas avoir d'internet et de ne plus avoir la TV.»

Le personnel soignant souligne à grands traits que le style de vie est complètement différent au Nunavik. «C'est sûr que tu ne peux pas prendre ta longue douche. Et des fois, on voit des grosses infections, tu as des gens qui t'ont toussé dessus toute la journée, t'as le goût de te laver, mais on ne peut pas. Ça oui, je pense que ça nuit à la rétention du personnel», commente Dr Rochette-Coulombe.

Les professionnels interrogés font tous valoir qu'eux, ils ont au moins la chance de revenir au Sud du Québec de façon cyclique, et de retrouver l'abondance de l'eau. Ils sont empathiques envers les Inuit qui n'ont pas de pause de ces conditions difficiles.

La journaliste Katrine Desautels a été soutenue par la Fondation Michener, qui lui a attribué la bourse Michener-Deacon pour le journalisme d’enquête en 2025, afin qu’elle documente les répercussions du manque d’accès à l’eau courante dans les communautés autochtones du Nunavik. Cet article est le troisième d’une série de quatre reportages.

Katrine Desautels, La Presse Canadienne

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