Le Canada pourrait perdre son statut de pays exempt de rougeole

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Par La Presse Canadienne, 2025
TORONTO — Le Canada est sur le point de perdre son statut international de pays exempt de rougeole, maintenant qu'une éclosion, apparue au Nouveau-Brunswick et s'étant propagée à d'autres provinces, a franchi le cap du premier anniversaire.
Le pays a éliminé la rougeole en 1998 et a conservé ce statut pendant plus de 25 ans, ce qui signifie qu'il n'y avait plus de transmission communautaire continue et que les nouveaux cas étaient liés à des voyages.
Mais depuis le 27 octobre 2024, le virus s'est propagé à plus de 5000 personnes au Canada, dont deux nourrissons en Ontario et en Alberta qui ont été infectés par la rougeole in utero et sont décédés après leur naissance.
Les experts en santé publique et en maladies infectieuses attribuent le retour de la rougeole à la baisse des taux de vaccination, découlant de l'hésitation à se faire vacciner et de la méfiance envers la science, ainsi qu'à la perturbation des vaccinations systématiques pendant la pandémie de COVID-19.
L'Organisation panaméricaine de la santé (OPS), bureau régional de l'Organisation mondiale de la santé pour les pays d'Amérique du Nord et du Sud, examinera le statut d'élimination de la rougeole au Canada lors d'une réunion en novembre.
D'autres pays, dont les États-Unis, constatent également une résurgence des cas de rougeole. L'OPS a indiqué que l'épidémie aux États-Unis n'avait commencé qu'en janvier de cette année, ce qui laisse encore un certain temps avant de risquer de perdre le statut d'élimination atteint en 2000.
Le virus prend le dessus
La docteure Natasha Crowcroft, vice-présidente des maladies infectieuses et des programmes de vaccination à l'Agence de la santé publique du Canada, estime que ce malheureux jalon signale que «nous n'avons pas réussi à devancer le virus», mais souligne également l'importance de travailler pour retrouver le statut d'élimination.
«Il faut démontrer que le pays n'a connu aucune transmission continue pendant au moins 12 mois et que tous les systèmes fonctionnent suffisamment bien pour maintenir cette situation par la suite», a expliqué Dre Crowcroft lors d'une entrevue l'été dernier, alors qu'il semblait probable que l'échéance du 27 octobre ne puisse pas être respectée.
Ces systèmes comprennent une surveillance de haute qualité pour détecter rapidement les cas suspects de rougeole et contenir la propagation, ainsi que le maintien d'une couverture vaccinale de 95 %, un niveau nécessaire pour atteindre l'immunité collective contre l'une des maladies les plus contagieuses au monde.
Deux autres pays membres de l'OPS, le Venezuela et le Brésil, ont perdu leur statut d'élimination de la rougeole en 2018 et 2019 respectivement. Grâce à des efforts soutenus de santé publique, ils l'ont tous deux retrouvé après environ cinq ans, a indiqué un porte-parole de l'OPS dans un courriel.
«Un signal d'alarme pour tous»
Dre Crowcroft, qui a été plusieurs années conseillère technique principale de l'OMS sur la rougeole et la rubéole, a affirmé que, jusqu'à récemment, le succès de la vaccination dans l'élimination de la maladie signifiait que seules les générations plus âgées en avaient constaté les effets au Canada.
«Ils connaissaient l'enfant sourd qui avait contracté la rougeole, ou l'enfant en retard scolaire qui avait contracté une rougeole grave, ou (…) à quel point cela pouvait être horrible. C'est quelque chose que nous avons oublié», a-t-elle expliqué.
Nicole Basta, professeure agrégée d'épidémiologie à l'Université McGill, a acquiescé, affirmant que la situation actuelle devrait être «un signal d'alarme pour nous tous».
«Puisque nous avons profité de cette période d'élimination de la rougeole pendant tant de décennies, je pense que la véritable menace actuelle de la rougeole n'a pas été reconnue très récemment», a-t-elle déclaré.
«Cela nous rappelle une fois de plus l'ampleur du travail que nous devons accomplir au quotidien pour accroître la vaccination, garantir que les gens aient confiance dans les vaccins, que leurs questions trouvent des réponses et qu'ils aient pleinement confiance dans la vaccination pour se protéger et protéger leurs proches.»
La professeure Basta, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en prévention des maladies infectieuses, a souligné l'importance d'établir des liens de confiance avec les dirigeants des communautés sous-vaccinées.
«Ce sont vraiment ces défenseurs de la vaccination issus des communautés qui contribuent à améliorer la vaccination, à sensibiliser à la nécessité de la vaccination et à créer le changement positif nécessaire pour que ces éclosions ne persistent pas et ne se reproduisent plus.»
Un retour d'autres maladies?
La docteure Cora Constantinescu, spécialiste des maladies infectieuses pédiatriques et responsable d'une clinique de prévention de la réticence à la vaccination à Calgary, a déclaré qu'il était temps de remettre la vaccination au premier plan de l'actualité, auprès du public et des gouvernements, alors que les gens se sont lassés de parler de vaccins pendant la pandémie de COVID-19.
Certains professionnels de la santé ont également éprouvé une certaine lassitude à l'égard des vaccins, a-t-elle ajouté, mais la persistance de l'épidémie de rougeole en Alberta a ravivé leur ardeur à plaider en faveur de la vaccination de leurs patients et à assurer leur sécurité.
La montée de la rougeole au Canada suscite également chez elle des inquiétudes quant à une possible baisse des taux de vaccination contre d'autres maladies, comme la polio et la coqueluche.
«Je n'aurais jamais imaginé une épidémie de rougeole aussi massive de mon vivant, si on m'avait posé la même question il y a dix ans», a indiqué Dre Constantinescu.
«Aujourd'hui, face à toutes ces maladies évitables par la vaccination, je me dis: "Oh là là, elles vont probablement arriver et nous devons nous préparer."»
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Nicole Ireland, La Presse Canadienne