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La réduction des GES au Canada est encore plombée par les sables bitumineux

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18 septembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Les progrès réalisés dans la plupart des secteurs de la société pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre en 2024 sont, comme pour les années précédentes, plombés par l’augmentation des émissions du secteur des sables bitumineux.

Par ailleurs, les émissions nationales pourraient repartir à la hausse si les différents gouvernements continuent d’affaiblir les politiques de lutte aux changements climatiques.

Ces constats sont ceux de l’Institut climatique du Canada qui a publié, jeudi, les estimations des émissions nationales pour 2024.

Selon ces données, les émissions se chiffrent à 694 mégatonnes (Mt) d’équivalent dioxyde de carbone, un peu moins donc, qu’en 2023, alors qu’elles étaient estimées à 702 mégatonnes.

Les émissions du Canada se situeraient à 8,5 % sous les niveaux de 2005.

Rappelons que le pays s’est engagé à réduire d’ici 2030 ses émissions de GES de 40 à 45 % sous les niveaux de 2005.

L’Institut climatique du Canada soutient que, si la tendance se poursuit, les émissions du Canada ne seront réduites que de 20 à 25 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030.

Production de pétrole à la hausse

Les émissions liées à la production de pétrole et de gaz, le secteur le plus émetteur de GES au pays avec 31 % du total national, ont augmenté de 1,9 % en 2024. Cette hausse s’explique en partie par une production record du pétrole provenant des sables bitumineux (4 % de plus que l'année précédente).

«La tendance entre 2023 et 2024 est semblable à celle entre l'année 2005 et aujourd'hui, dans le sens où c'est toujours dans le secteur pétrolier et gazier que les émissions augmentent le plus et donc c'est toujours ce secteur qui est le plus grand obstacle à la réduction de nos émissions», a commenté Ross Linden-Fraser, chargé de recherche au projet 440 Mégatonnes de l'Institut climatique.

Stagnation et baisse dans les autres secteurs

Les émissions provenant des autres grands secteurs (transport, bâtiments, industrie) diminuent ou alors stagnent, selon les données de l'Institut climatique.

Les émissions du transport (23 % du total national) sont en baisse de 0,7 % par rapport à l’année précédente.

Les GES émis par les bâtiments (12 % du total national) ont diminué de 1,2 %.

Les GES causés par l’industrie lourde (11 % du total national) sont également en baisse de 1,2 %.

Le secteur de l’électricité (7 % du total du pays) a continué sa décarbonisation avec une modeste diminution de 1,9 % de ses émissions. Le secteur de l’électricité est celui qui a le plus diminué ses émissions dans les deux dernières décennies et il se situe maintenant à 59 % sous les niveaux de 2005.

Le «Programme d’innovation technologique et de réduction d’émissions» mis en place en Alberta, l’élimination graduelle de l’électricité alimentée par le charbon en Ontario, ainsi que les avancées dans le domaine de l’énergie renouvelable sont autant de raisons qui expliquent la décarbonation de ce secteur depuis 2005, selon l’Institut climatique du Canada.

GES produit par PIB: une tendance inquiétante

En 2024, l’intensité des émissions de la croissance économique (c’est-à-dire les émissions produites par unité de PIB) a diminué de 1,5 %, ce qui est inférieur à la norme historique.

«Les émissions produites par unités de PIB diminuent, mais le taux de diminution ralentit. Ce ralentissement, pour nous, c'est un signal d'alarme, c'est le signal que la tendance pourrait s’inverser dans les années à venir», s’est inquiété Ross Linden-Fraser, en entrevue avec La Presse Canadienne.

L’analyse de l’Institut climatique du Canada précise que certaines forces du marché, comme la production toujours plus grande de pétrole provenant des sables bitumineux, mais aussi l’expansion planifiée de la production de gaz naturel liquéfié (GNL), exacerbent l’intensité des émissions liées à la croissance.

«Avec les nombreux projets à forte intensité d’émissions d’intérêt national que les gouvernements envisagent, on peut s’attendre à une hausse des émissions pour la suite des choses», peut-on lire dans l’analyse de l’Institut.

Des décisions politiques

Pour diminuer, d’ici 2030, les GES de 40 à 45 % sous les niveaux de 2005, il faudrait réduire les émissions d’environ 40 Mt par année, «ce que la situation actuelle ne permet aucunement», selon l’Institut, qui écrit que «la cible aurait été réalisable si les politiques climatiques annoncées par les différents ordres de gouvernement avaient vu le jour comme prévu».

L’élimination de la tarification du carbone pour les consommateurs, le plafonnement des émissions pétrogazières, promis à maintes reprises par le fédéral, mais qui se fait toujours attendre, des retards dans les politiques nationales et provinciales sur les véhicules électriques et l’affaiblissement de la tarification du carbone industriel dans plusieurs provinces, sont des exemples de politiques retardées, annulées ou affaiblies, mais qui devaient jouer un rôle de premier plan dans l’atteinte des cibles pour 2030.

À elle seule, l’élimination de la tarification du carbone pour les consommateurs par le gouvernement Carney pourrait ajouter environ 20 Mt d’équivalent CO₂ d’ici 2030, selon les données de l’Institut, qui soutient que ce genre de décisions envoie un mauvais signal au marché.

«Avec les reculs récents des politiques climatiques et l’incertitude qui les entoure, les consommateurs et l’industrie hésitent davantage à investir dans des mesures et technologies de réduction des émissions», peut-on lire dans le rapport publié jeudi.

Chaque mégatonne a un impact

Le rapport souligne toutefois que, même si le Canada n’est pas sur la bonne voie d’atteindre sa cible pour 2030, chaque mégatonne (Mt) d’émissions évitée est importante.

«Chaque mégatonne évitée et chaque mégatonne réduite atténuent l’impact des changements climatiques», a indiqué Ross Linden-Fraser, chargé de recherche au projet 440 Mégatonnes de l'Institut climatique.

Les estimations de l’Institut ne sont pas aussi complètes que le bilan officiel du gouvernement, appelé «inventaire national des gaz à effet de serre».

L’Institut choisit de publier ce document sept mois avant le bilan officiel du Canada, qui est présenté chaque année en avril à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, et il utilise des données provenant notamment du Centre canadien d'information sur l'énergie et les émissions, de Statistique Canada, et des données publiques provinciales.

L’Institut climatique du Canada, qui est financé en partie par le gouvernement, se décrit comme «l’organisme par excellence au pays pour la recherche sur les politiques climatiques».

Stéphane Blais, La Presse Canadienne

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