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La prestation des soins est mise à mal par les constantes pénuries d'eau au Nunavik

durée 10h00
23 novembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

PUVIRNITUQ — Même s'ils sont entourés de plans d'eau à perte de vue, paradoxalement, les résidents dans le Grand Nord du Québec ont un approvisionnement en eau déficient. Non seulement cela a un impact direct sur la santé des citoyens avec la propagation de maladies, mais le personnel de la santé doit faire preuve d'imagination pour réussir à soigner la population. La qualité des soins s'en trouve fragilisée.

Le Centre de santé Inuulitsivik, situé à Puvirnituq, dessert les sept villages le long de la côte de la baie d’Hudson. Dans cet établissement, il manque d'eau régulièrement, souvent pendant plusieurs jours, témoigne le Dr Vincent Rochette-Coulombe, qui entame sa troisième année comme médecin à temps plein à Puvirnituq.

Il confirme que le manque d'accès à l'eau affecte les soins qui sont donnés aux patients. Il donne en exemple l'installation d'un drain thoracique, qui consiste à faire un trou entre les deux côtes d'un patient pour y installer un tube. «Tu n’as pas d'eau pour te laver les mains. Le gant a brisé et tu te laves les mains avec des lingettes et du Purell. Ça n'a aucun sens. Ça prend des mesures d'hygiène de base et des fois, on n'est pas capable de les accomplir», déplore-t-il.

Raphaelle Durand, infirmière au CLSC d'Inukjuak, a vécu la même procédure, de façon tout aussi pénible. «On se retrouvait, l'équipe de deux infirmières et un médecin, plein de sang et plein de sécrétion. Ça prend de l'eau qui coule pour se laver, pour pouvoir après éviter de transmettre des maladies aux autres patients. Cette fois, on s’est lavé les mains avec des bouteilles d’eau», raconte-t-elle.

Sa collègue infirmière Luce Bugeaud Tremblay, qui est nouvelle dans le Nord, s'étonne de la quantité de bouteilles d'eau stérile qui sont utilisées. «Ça coûte très cher, mais nous, on les utilise à outrance parce que si on n'a pas d'eau, on n'a pas le choix d'utiliser ça», souligne-t-elle.

Des tout-petits fiévreux sans eau à la maison

L'eau est nécessaire pour toute sorte de services de santé, tels que la dentisterie ou encore pour les accouchements. Margaret Mina, sage-femme depuis 20 ans au CLSC d'Inukjuak, vit quotidiennement les défis d'un accouchement sans eau. Pas plus tard que l'été dernier, il a manqué d'eau pendant deux semaines complètes à son CLSC.

«Les femmes saignent lorsqu'elles accouchent. Nous devons toujours les laver, et quand il n'y a pas d'eau, c'est impossible et c'est dégoûtant. Donc, nous devons utiliser des bouteilles d'eau», indique-t-elle.

La sage-femme pointe aussi que les mamans (puisqu'elles doivent économiser l'eau) ne se lavent pas assez les mains lorsqu'elles rentrent à la maison avec leur nouveau-né. Alors la mère tombe malade et transmet le virus à son petit.

Lorsqu’un bébé de quelques semaines a la grippe ou contracte le virus respiratoire syncytial (VRS), ça peut être dangereux, explique Mme Mina. Il peut avoir besoin d’être intubé ou avoir besoin d’être évacué par transport aérien d'urgence.

Ce qui est également courant au Nunavik, ce sont les enfants qui font de la fièvre et qui n'arrivent pas à s'hydrater suffisamment à la maison, mentionne Raphaëlle Carpentier, une infirmière qui se promène dans les villages de la baie d'Hudson depuis un an et demi.

«Le conseil numéro 1 qu'on donne aux parents, c'est de garder les bébés et les enfants le plus hydratés. On leur dit de leur donner de l'eau toute la journée, de les encourager à boire. Souvent, les parents nous répondent ''mais je n'ai plus d'eau à maison. Je vais essayer d'aller en acheter''», relate Mme Carpentier.

L'eau embouteillée dans les magasins est très dispendieuse au Nunavik. Un contenant de 4 litres se vend autour de 15 $. «Ils n'ont pas les moyens d'aller acheter l'eau, donc encore une fois, on donne des bouteilles d'eau de l'[infirmerie], mais des fois on n'en a plus nous non plus. Ça devient super à risque. Il y a des bébés qui reviennent et qui n'ont pas été réhydratés parce que les parents n'ont juste pas d'eau à la maison. Ils reviennent, ils sont en déshydratation, et il faut mettre des solutés, des intraveineuses, alors que ça aurait pu être évité s'ils avaient eu de l'eau à la maison», expose l'infirmière.

Des infections cutanées sévères

L’accès limité à l’eau à la maison fait en sorte que le lavage des mains est bref, les douches sont moins fréquentes et laver la vaisselle ou les vêtements peut être reporté de plusieurs jours. La santé publique du Nunavik reconnaît que les résidents autochtones en subissent les conséquences et que ces enjeux ne datent pas d’hier.

En 2004, l’Enquête de santé auprès des Inuit du Nunavik indiquait que les Inuit sont exposés à des parasites et des maladies gastro-intestinales en raison des enjeux d'accessibilité à l'eau.

«C'est sûr que le manque d'eau, le fait de ne pas être capable de laver ses vêtements, laver les draps, ça contribue à propager les infections», affirme Dr Rochette-Coulombe. Dans sa pratique dans le Nord, il voit «énormément d'infections cutanées sévères», entre autres chez les enfants. «Des fois, ils viennent consulter et c'est vraiment sévère, il faut donner beaucoup d'antibiotiques», dit-il.

L'eczéma est l'une de ces infections, et elle se traite habituellement avec des crèmes. Mais il faut aussi avoir une bonne hygiène de la peau pour éviter que ça s'infecte, précise Raphaëlle Carpentier. L'infirmière explique que le traitement en arrive aux antibiotiques parce que les patients ne peuvent pas se doucher régulièrement ni laver leur vêtement.

Toilettes pleines à l'hôpital

Le printemps dernier, le village de Puvirnituq a vécu une pénurie d'eau majeure en raison d'un tuyau qui a gelé. Les patients de l'hôpital ont dû être évacués par avion, car il n'était plus possible d'assurer leur sécurité. Seuls les cas très urgents pouvaient être admis à l'hôpital.

Il n'était même plus possible de tirer la chasse d’eau dans l'hôpital. «C'est une situation que personne ne veut voir dans un établissement de santé», admet le Dr Yassen Tcholakov, médecin de santé publique et chef du service des maladies infectieuses au Nunavik.

La santé publique a investigué des «situations très inquiétantes de pneumonie d'acquisition communautaire», pendant cette pénurie d'eau qui s'est échelonnée sur plusieurs semaines. «Donc des infections pulmonaires très graves, qui sont presque certainement reliées au fait que ces maladies se transmettent beaucoup plus facilement, puisque les gens ne pouvaient pas mettre en place des interventions sanitaires normales», explique Dr Tcholakov.

Le Dr Rochette-Coulombe, qui a vécu la crise sur place, se rappelle de l'épidémie de gastro-entérite qui a suivi. «Il suffit que ça pogne, puis ça devient une traînée de poudre. La gastro, même quand tu te laves bien les mains, c'est super contagieux. Après, tu ne peux pas te laver, tu ne peux pas laver tes mains, tu ne peux pas flusher ta toilette. C'est terrible», lâche-t-il.

Et le manque de logements ajoute à la problématique de l'eau. Comme les familles sont souvent nombreuses et entassées dans une maisonnée, les virus se propagent très facilement.

Par ailleurs, de nombreux résidents ont été contraints de s'approvisionner directement dans des sources d'eau naturelle pendant la crise. «En général, si on fait bouillir l'eau au Nunavik, en grande majorité, elle est très, très propre. Si les gens la font bouillir, ils éliminent normalement tous les risques infectieux. Mais s'ils la boivent directement, il peut y avoir parfois des pathogènes dans cette eau», soulève le Dr Tcholakov.

«La situation à Puvirnituq, je pense par malchance, a été pire que d'habitude. Mais des enjeux comme celui-là, d'accès à l'eau, ça arrive année après année dans plusieurs communautés au Nunavik», met en lumière l'expert en santé publique. Il appelle les décideurs à s'attaquer aux infrastructures d'approvisionnement en eau qui sont extrêmement fragiles.

La journaliste Katrine Desautels a été soutenue par la Fondation Michener, qui lui a attribué la bourse Michener-Deacon pour le journalisme d’enquête en 2025, afin qu’elle documente les répercussions du manque d’accès à l’eau courante dans les communautés autochtones du Nunavik. Cet article est le deuxième d’une série de quatre reportages.

Katrine Desautels, La Presse Canadienne

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