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La poésie canadienne anglaise se retrouve sur un site internet

durée 12h44
4 novembre 2023
La Presse Canadienne, 2023
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Temps de lecture   :  

3 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

EDMONTON — Jason Camlot parlait en 1999 avec son nouveau patron du département de langue anglaise de l'Université Concordia quand il a remarqué, dans un coin du bureau, une boîte de carton poussiéreuse contenant 80 bobines de son.

Quand il a voulu savoir ce que c'était, on lui a répondu que ce n'était que des lectures de poésie enregistrées dans les années 1960 et 1970 que personne n'avait écouté.

Il n'a jamais oublié la boîte poussiéreuse. Et il y a sept ans, il l'a retrouvée. Et il s'est mis à écouter les fameuses bobines.

«C'était une série de lectures inouïe! lance le Pr Camlot. Tous les principaux noms de la poésie [anglophone] nord-américaine étaient superbement enregistrés.»

Et il s'est avéré que bien d'autres universités possédaient des boîtes poussiéreuses semblables. La découverte du Pr Camlot a permis de créer SpokenWeb, un site contenant des milliers d'heures de lectures numérisées et des propos à l'improviste exprimés par certains de plus grands écrivains du Canada anglais à une époque où cette littérature se créait.

Tous les grands noms de la littérature canadienne-anglaise défilent: Margaret Atwood, W.O. Mitchell, Mavis Gallant, Rudy Wiebe, Michael Ondaatje, Al Purdy, Irving Layton. Tous des lions littéraires en train de rugir.

Les bobines retrouvées à l'Université Concordia, enregistrée du temps où le campus Sir George-Williams était une université autonome, font entendre 60 poètes, dont Alan Ginsberg et Jose Luis Borges.

«C'est un immense privilège d'être les gardiens de ce grand trésor littéraire», reconnaît Michael O'Driscoll, un professeur de l'Université de l'Alberta, qui participe aussi au projet SpokenWeb.  

SpokenWeb a continué de progresser au fil des années. Aujourd'hui, il regroupe 14 collections, 13 institutions, sept partenaires institutionnels, cinq partenaires communautaires et plus de 50 chercheurs. Il a enregistré environ 7000 heures de lecture.

«Chaque collection a sa propre histoire», souligne le Pr O'Driscoll.

Un des organisateurs d'une série de lectures enregistrée à Montréal avait une boîte de Mini Discs à côté de son micro-ondes. Un professeur de l'Université de la Colombie-Britannique a obtenu des boîtes d'enregistrements d'une poétesse de l'Okanagan qui les a apportées dans le coffre de son auto. La médiathèque de l'Université de l'Alberta comptait 3000 enregistrements dans des boîtes qui n'avaient jamais été ouvertes.

Chaque enregistrement a été soigneusement répertorié selon le nom du poète, des poèmes lus, de l'endroit et de la date de l'enregistrement. Une seule heure de bobine nécessite trois heures de travail.

Ces enregistrements ne font pas seulement entendre une simple lecture. Souvent, les auteurs des poèmes présentent eux-mêmes leurs oeuvres, répondent à des questions, parlent d'eux-mêmes et font le point sur ce qu'ils tentent d'accomplir.

«C'est extrêmement intéressant et informatif. Ce n'est pas seulement au sujet des poèmes, mais aussi de la place qu'un poète devait occuper dans le monde, selon ces auteurs, dit le Pr Camlot. Ils sont en train de jouer ce rôle.»

Certains poètes lisent leur oeuvre avec une énergie folle.

«Je suis très heureux de voir une aussi grande foule ce soir, lance Irving Layton en 1967. Cela m'encourage beaucoup. Je suis très ému.»

Pendant une lecture en 1974, Margaret Atwood invite les gens debout à venir s'asseoir à l'avant. Elle avait dû interrompre son «récital» parce qu'il faisait trop chaud dans la salle.

«Comment ça ? Est-ce chaud et humide ? Quelqu'un est mort ?»

«Nous étions au sommet de la poésie publique. Les salles étaient vraiment pleines», constate le Pr O'Driscoll.

Au début de 2024, lorsque toutes les bobines auront été numérisées, les étudiants pourront écouter les remarques des écrivains, les universitaires pourront examiner les changements subis par les poèmes au fil des lectures, les amoureux de la littérature pouvoir entendre leur poème favori lu par son auteur. Tout ça, en se rendant sur un site internet.

Quelque chose se passe lorsqu'un poème passe des yeux aux oreilles, dit le Pr Camlot.

«Ce qu'on entend, ce sont des poètes qui font de leur mieux pour communiquer certaines de leurs intentions. Et il arrive qu'ils sont eux-mêmes surpris par leurs propres mots. Chaque fois que nous écoutons ces enregistrements, nous apprenons quelque chose de nouveau. Il était encore trop tôt pour évaluer la valeur de ces enregistrements.»

Bob Weber, La Presse Canadienne