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La LHJMQ pourrait devoir répondre en Cour de sa tolérance des abus sexuels et autres

durée 12h05
24 mai 2023
La Presse Canadienne, 2023
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Temps de lecture   :  

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Par La Presse Canadienne, 2023

MONTRÉAL — Les sévices sexuels et physiques que les joueurs de hockey junior majeur ont systématiquement fait subir aux recrues au fil des ans reviennent hanter la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ), ses équipes et la Ligue canadienne de hockey (LCH) qui la chapeaute.

Une demande pour autoriser une action collective a été déposée mardi en Cour supérieure au palais de justice de Québec au nom de l’ex-joueur Carl Latulippe, repêché alors qu’il avait 16 ans et qui a porté les couleurs des Saguenéens de Chicoutimi, des Voltigeurs de Drummondville et des Harfangs de Beauport durant les saisons 1994-1995 et 1995-1996.

Un parcours pénible

Carl Latulippe, aujourd’hui âgé de 45 ans, a déjà raconté les sévices dont il a été victime et qui se retrouvent maintenant dans la demande d’action collective. Il est notamment question de masturbations forcées, de confinement nu en groupe dans des toilettes d’autobus, de consommation forcée de grandes quantités d’alcool, d’agressions sexuelles avec lésions dont il a été témoin, tous des événements qui se sont produits chez les Saguenéens et les Voltigeurs, mais pas chez les Harfangs de Beauport, depuis devenu les Remparts de Québec.

Le groupe que compte représenter Carl Latulippe est décrit comme étant «tous les joueurs de hockey qui ont subi des abus, alors qu’ils étaient mineurs et évoluaient au sein de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (ci-après la «LHJMQ»), et ce, depuis le 1er juillet 1969». 

Une description qui fait frémir

La définition d’abus, telle que présentée par la demande, a de quoi faire frémir: «Le terme "abus" désigne toute forme d’agression physique, sexuelle et/ou psychologique, notamment le fait d’avoir été confinés, rasés, dénudés, drogués et/ou intoxiqués de force, forcés ou encouragés d’agresser physiquement et/ou sexuellement autrui, forcés de boire ou de manger de l’urine, de la salive, du sperme, des excréments et/ou d’autres substances abjectes, forcés de s’auto-infliger des blessures, ou forcés de commettre des actes de bestialité».

La demande est extrêmement sévère envers les entraîneurs, les équipes et les deux ligues. «Les défenderesses, alors qu'elles avaient l'obligation de protéger les membres du Groupe et de veiller à leur bien-être, ont été témoins de l'abus, l'ont encouragé, négligé, toléré, couvert ou ignoré», est-il écrit.

Le parcours raconté par Carl Latulippe dans la demande est extrêmement révélateur à cet effet. Dégoûté par ce qu’il avait subi dès son arrivée chez les Saguenéens, il avait quitté l’équipe, mais l’entraîneur l’avait convaincu de revenir. Le jeune joueur «lui avait alors mentionné que les vétérans ne se comportaient pas bien envers les recrues, sans entrer dans les détails. L’entraîneur de l’époque lui a alors répondu qu’il fallait endurer ces comportements, que ceux-ci ne duraient qu’un an et que ça formait le caractère.» 

«Lors de son retour au sein de (l'équipe) Les Saguenéens, les abus ont continué», raconte-t-on.

Son passage chez les Voltigeurs devait également être marqué par d’autres abus. 

Séquelles importantes

Carl Latulippe dit avoir souffert de plusieurs séquelles psychologiques à la suite de ces abus, notamment des dépendances à la drogue et au jeu qui l’ont empêché de maintenir ses revenus. Aussi, il dit n’avoir jamais pu remettre les pieds dans un aréna et avoir refusé à son fils de jouer au hockey, de crainte qu’il subisse également des sévices.

Il réclame, sur une base individuelle, «des dommages-intérêts non pécuniaires de 400 000 $ afin de compenser toute sa douleur, sa souffrance, ses angoisses, sa honte, son humiliation, ses abus de substances, ses inconvénients». Il demande également «250 000 $ pour ses pertes pécuniaires, incluant une perte de productivité, son incapacité de générer et conserver des revenus, la dilapidation de son patrimoine afin de maintenir sa dépendance à la drogue et au jeu, ainsi que les déboursés futurs et frais de thérapie qu’il souhaite entamer pour travailler et traiter les abus qu’il a subis». 

À cela s’ajoute une demande, pour l’ensemble des personnes qui se joindraient au groupe, des dommages-intérêts punitifs et exemplaires au montant de 15 millions $ «compte tenu de la gravité de l’atteinte intentionnelle à sa dignité et à l’intégrité physique et psychologique de sa personne, la sévérité des abus et l’abus de pouvoir et de confiance qui les accompagnait».

Des statuts bafoués

La demande d’autorisation d’action collective s’appuie notamment sur les statuts de la LCH et de la LHJMQ qui soutiennent toutes deux que leur mission est d’encadrer les joueurs «dans un environnement sécuritaire et formateur pour les préparer à leur vie d’adulte», comme l’écrit la ligue québécoise.

On reproche ainsi aux ligues et aux équipes d’être responsables «de la création et de la tolérance d'une culture d'abus et de conduite criminelle à l'égard de joueurs mineurs qui comptaient sur les entraîneurs, les équipes et la ligue pour veiller à leur bien-être et pour les dommages subis par le demandeur et les membres du Groupe».

Plus directement ces reproches visent le commissaire du LHJMQ et les autres commissaires faisant partie de la LCH, qui auraient été «parfaitement au courant des abus commis au sein de leurs ligues» et n'auraient «rien fait pour y mettre fin».

Culture du silence

Pour le groupe représenté par Carl Latulippe, il ne fait aucun doute qu’«il existe au sein de la LCH et la LHJMQ (et les autres ligues juniors majeures d’hockey) un problème systémique de comportements abusifs envers les joueurs mineurs, exacerbé par une culture de silence qui est généralisée et soutenue par les défenderesses».

Selon la requête, «ces comportements abusifs existent depuis des années parmi les équipes actuelles et passées de la LHJMQ et sont toujours présents à ce jour».

La Ligue de hockey junior majeur du Québec n'avait pas encore retourné les appels de La Presse Canadienne au moment d'écrire ces lignes.

Révélations fracassantes

Une demande d’autorisation d’action collective visant sensiblement les mêmes objectifs avait été rejetée en février dernier par un juge ontarien. Dans ce cas, elle était portée par trois plaignants au nom de quelque 15 000 joueurs provenant des trois ligues de hockey junior majeur canadien, soit la LHJMQ et ses semblables en Ontario et dans l’Ouest canadien. 

La décision du juge Paul Perrell avait semé la consternation au pays, avec ses révélations de cas révoltants de torture et d’agressions criminelles graves. Le magistrat avait cependant suggéré que les joueurs affectés lancent des procédures individuelles. La demande présentée au Québec prévoit d’ailleurs exclure les joueurs qui choisiraient cette voie.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne