La Cour supérieure autorise une action collective sur le profilage racial


Temps de lecture :
3 minutes
Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Une juge de la Cour supérieure du Québec a autorisé un recours collectif intenté au nom de personnes racisées interceptées au volant par la police sans motif de soupçon d'une infraction.
La juge Catherine Piché a autorisé la poursuite dans un jugement rendu le mois dernier, qui vise les services de police de huit municipalités défenderesses et le procureur général du Québec, qui représente la Sûreté du Québec.
La liste des défendeurs comprend les policiers patrouillant dans une grande partie de la province, y compris ses plus grandes villes: Montréal et ses banlieues, Gatineau et Québec.
La poursuite a été déposée en novembre 2022 par Papa Ndianko Gueye à la suite d’un contrôle routier à Longueuil.
Il représente «toute personne racisée qui a fait l’objet d’une interception routière sans motif de soupçonner la commission d'une infraction par les services de police d’une des villes défenderesses ou par la Sûreté du Québec depuis le 23 mai 2019».
M. Gueye allègue avoir été intercepté au volant de son Audi blanche le 26 mars 2021, sans toutefois avoir commis d'infraction au Code de la route. L'agent lui a indiqué qu'il l'avait intercepté pour excès de vitesse, et M. Gueye a affirmé que l'agent était devenu agressif et avait rapidement appelé des renforts.
Quelques jours après l'interception, il s'est rendu au poste de police pour s'enquérir des circonstances de l'interception, mais on lui a répondu que la police n'en avait aucune trace. Il a reçu trois contraventions par la poste, dont une pour excès de vitesse. Il allègue que l'interception avait eu lieu «sans motif réel» et qu'il s'agit de profilage racial.
Le recours collectif a été déposé en novembre 2022, deux semaines après une décision historique du juge Michel Yergeau de la Cour supérieure du Québec dans une affaire visant à faire déclarer inconstitutionnelle une règle de common law permettant à la police canadienne d'intercepter des conducteurs sans motif.
Le juge Yergeau s'est rangé du côté de Joseph-Christopher Luamba, un Montréalais d'origine haïtienne, jugeant que le profilage racial existe et qu'il constitue une réalité qui pèse lourdement sur les personnes noires.
La décision du juge Yergeau a invalidé l'article 636 du Code de la sécurité routière de la province, qui confère aux agents le pouvoir discrétionnaire d'intercepter tout véhicule sans motif.
«La preuve prépondérante démontre qu'avec le temps, le pouvoir arbitraire reconnu aux policiers de procéder à des interceptions routières sans motif est devenu pour certains d'entre eux un vecteur, voire un sauf-conduit de profilage racial à l'encontre de la communauté noire», écrivait-il en octobre 2022.
«La règle de droit devient ainsi sans mot dire une brèche par laquelle s'engouffre cette forme sournoise du racisme».
Les avocats de M. Gueye comptent plusieurs personnes ayant travaillé sur l'affaire Luamba. Sa requête allègue que les forces policières des villes ciblées ont systématiquement exercé leur pouvoir de manière discriminatoire, en violation des droits et libertés des personnes relevant de cette catégorie.
Le gouvernement du Québec a fait appel à la décision Luamba, arguant qu'elle privait la police d'un outil important pour lutter contre la criminalité, mais la Cour d'appel a confirmé la décision du juge Yergeau l'année dernière. Elle a donné six mois à la province pour apporter les modifications nécessaires au Code de la sécurité routière. La Sécurité publique du Québec a annoncé le mois dernier que la plupart des contrôles routiers aléatoires effectués par la police avaient été suspendus, la Cour d'appel ayant refusé d'accorder une prolongation.
Plus tôt ce mois-ci, la Cour suprême du Canada a accepté d'entendre une affaire visant à déterminer s'il est constitutionnel pour la police d'effectuer un contrôle routier aléatoire sans soupçon raisonnable que le conducteur a commis une infraction.
Pour ce qui est de l'affaire Gueye, les parties devraient comparaître devant la Cour supérieure au cours des deux prochains mois pour une audience.
Sidhartha Banerjee, La Presse Canadienne