La clause dérogatoire par Québec «menace la liberté et la démocratie»


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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — L’utilisation de la clause dérogatoire par le gouvernement du Québec menace la liberté et la démocratie, selon le PDG du Conseil national des musulmans canadiens. Celui-ci participait, lundi, à une conférence de presse portant sur le projet de loi S-218 du sénateur Peter Harder, qui vise à encadrer l'utilisation de la clause dérogatoire.
Stephen Brown, PDG du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), a vivement critiqué les usages potentiels de la clause dérogatoire, et aussi le gouvernement du Québec, affirmant que l’utilisation de cette clause va à l’encontre des principes de l’État de droit.
«Imaginez vivre dans un pays où les élus pourraient adopter des lois autorisant le gouvernement à confisquer vos biens, à perquisitionner votre maison sans mandat, à vous arrêter et à vous détenir sans vous inculper, et à appliquer des sanctions que nos tribunaux jugent cruelles», a énuméré M. Brown.
«Imaginez vivre dans un pays où les élus pourraient même vous retirer le droit de prier ou de pratiquer votre religion simplement pour leur propre gain politique. (…) C'est exactement le genre d'aberration qui pourrait se produire et qui, dans certains cas, se produit déjà dans notre pays», en raison de l’utilisation de la clause dérogatoire, a-t-il ajouté.
Il ne s’agit pas d’une «situation hypothétique», a fait valoir Stephen Brown en expliquant que, dans la province où il vit, au Québec, «le gouvernement a ouvertement commencé à recourir à la clause dérogatoire pour retirer les droits des minorités religieuses».
Cela a commencé avec «le projet de loi 21, puis avec un deuxième projet de loi» et «un troisième est promis, pour interdire aux gens de prier à l’extérieur», a poursuivi le PDG du CNMC.
«La clause dérogatoire a toujours été censée être utilisée en dernier recours pour protéger les libertés des Canadiens, et non pour les contourner. C'est pourquoi le projet de loi du sénateur Harder est si important en ce moment, car il met en lumière ce débat en coulisses et nous oblige, en tant que Canadiens, à affronter les dangers bien réels qui menacent actuellement nos libertés et notre démocratie», a ajouté Stephen Brown.
Adoptée en 2019, la Loi sur la laïcité de l’État québécois (l’ancien projet de loi 21) interdit le port de signes religieux à certains employés de l’appareil gouvernemental.
«Le projet de loi 21 enseigne aux enfants que l'inclusion est conditionnelle, que leurs droits sont négociables et que, contrairement à ce que nous leur enseignons en classe, leur identité pourrait un jour être considérée comme un obstacle, et non comme une force», a pour sa part indiqué Fatima Anbari, une enseignante de troisième année, qui a perdu son travail dans une école de Chelsea au Québec, en 2021.
«Je m'abstiens toujours de dire que j'ai perdu mon emploi à cause de mon hijab. Mon hijab n'interférait en rien avec mes responsabilités d'enseignante. J'ai perdu mon emploi à cause d'une loi qui a jugé que mon identité choisie était incompatible avec mon rôle professionnel d'enseignante», a -t-elle fait valoir.
Projet de loi S-218
Lors de la conférence de presse où les trois intervenants se sont exprimés uniquement en anglais, le sénateur Peter Harder a expliqué que le projet de loi S-218, déposé au Sénat et qui fait actuellement l’objet d'un débat en Chambre, vise à modifier la Constitution du Canada afin de prévoir les modalités selon lesquelles le Parlement doit traiter tout projet de loi comportant une clause dérogatoire.
La clause dérogatoire a été enchâssée dans la Constitution lors de son rapatriement en 1982 et permet à une loi de déroger à certains articles de la Charte.
S-218 exige notamment «le dépôt au Parlement d'une déclaration du ministre de la Justice expliquant les raisons de l'abrogation des droits, lesquels en particulier et pourquoi l'article un n'est pas applicable».
Il garantit aussi «la tenue d'un débat et d'une audience, et non le recours au bâillon pour faire avancer le projet de loi à la Chambre des communes. Et surtout, il exige une majorité qualifiée à la Chambre des communes», a expliqué le sénateur.
Ce projet de loi, a fait valoir Peter Harder, vise à renforcer la protection des droits et libertés fondamentaux en garantissant une plus grande responsabilité et une transparence parlementaire lorsque les gouvernements invoquent la clause dérogatoire.
La constitutionnalité de la loi 21 est contestée en Cour suprême
La proposition du projet de loi S-218, qui a été déposé au printemps dernier, s’inscrit dans le contexte où Ottawa demande à la Cour suprême de se prononcer sur l’utilisation préventive de la clause dérogatoire.
Le gouvernement caquiste de François Legault a utilisé cette mesure exceptionnelle afin de protéger la loi 21 sur la laïcité de l’État des tribunaux.
Dans un mémoire déposé au début du mois de septembre dernier, le gouvernement fédéral ne se prononce pas directement sur la loi 21, mais demande à la Cour suprême d’encadrer la manière dont les gouvernements provinciaux peuvent invoquer la clause dérogatoire.
Le fédéral soutient que le recours répété à cette clause équivaut à «modifier indirectement la Constitution» et que la Cour devrait pouvoir statuer sur la question de savoir si cela peut entraîner une «atteinte irréparable» aux droits des Canadiens.
Stéphane Blais, La Presse Canadienne