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L'influence des œuvres de fiction dans les décès par suicide

durée 10h15
23 août 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — L'exposition à une représentation du suicide dans une œuvre de fiction est associée à une augmentation significative des décès par suicide et des tentatives de suicide, conclut l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) dans un récent rapport.

Le phénomène de contagion suicidaire est bien documenté dans les pratiques journalistiques, mais un peu moins dans les œuvres de fiction. À la demande du ministère de la Santé, dans le cadre de sa Stratégie nationale de prévention du suicide 2022-2026, l'INSPQ a analysé ce lien dans une synthèse des connaissances qui regroupe 65 études.

L'objectif était d'identifier l’influence des représentations du suicide dans les œuvres de fiction sur les comportements suicidaires chez les jeunes de moins de 25 ans. «Ces dernières années, des œuvres de fiction prisées par les jeunes ont soulevé des préoccupations quant au risque de contagion suicidaire qu’elles pouvaient représenter», peut-on lire dans le rapport.

Le suicide au Québec représente environ le quart des décès observés chez les jeunes de 15 à 34 ans, avec une proportion plus élevée chez les garçons. De plus, parmi tous les groupes d’âge, les adolescentes de 15 à 19 ans ont les taux les plus élevés d’hospitalisation pour tentative de suicide.

On parle de contagion suicidaire lorsque des gens s’identifient à des personnes qui ont des comportements suicidaires en reproduisant ces comportements. Yan Ferguson, coauteur de la publication de l'INSPQ, se rappelle qu'il y a déjà eu de nombreux décès par suicide sur le pont Jacques-Cartier, à Montréal, influencés par les moyens et les endroits qui étaient rapportés dans les médias. Depuis, des guides de pratiques journalistiques ont été élaborés.

Pour vulgariser la contagion suicidaire, Hugo Fournier, président-directeur général de l'Association québécoise de prévention du suicide (AQPS), parle du suicide du journaliste Gaétan Girouard dans les années 1990. À cette époque, il était intervenant dans un centre de prévention du suicide et se rappelle avoir été submergé d'appels dans les heures qui ont suivi la nouvelle.

Les médias avaient exposé le moyen utilisé par M. Girouard. Dans les semaines qui ont suivi, il y a eu une hausse importante des tentatives de suicide avec la même méthode dans la région de Québec, Sainte-Foy-Sillery, raconte M. Fournier «C'est pour ça qu'aujourd'hui, on n'entend plus vraiment parler des moyens», explique-t-il.

Plus récemment, la série télévisée «13 Reasons Why», sortie en 2017, a causé un tollé auprès d'experts en prévention du suicide. «Il y avait des caractéristiques vraiment propres à la série qui étaient problématiques, notamment l'accent sur le moyen utilisé ou la manière de représenter la demande d'aide», explique M. Ferguson.

Le pdg de l'AQPS fait aussi mention de cette série controversée. «Dans une œuvre, que ce soit un roman, une pièce de théâtre, une série ou un film, lorsque le suicide est présenté de manière dramatique, détaillée ou romantisée, il peut avoir vraiment un effet d'identification chez le spectateur vulnérable. Ça a été clairement observé scientifiquement avec la série "13 Reasons Why".»

«Il y a plusieurs articles de recherche qui se sont penchés sur cette série, et les liens scientifiques ont été établis entre l'augmentation du nombre de suicides et la prise en charge dans les hôpitaux pour tentative de suicide versus la série», détaille M. Fournier.

La façon dont la contagion suicidaire s'installe dans les œuvres de fiction n'est pas encore tout à fait bien comprise, précise M. Ferguson. «Lorsqu'il y a une personne qu'on estime, une idole, nos parents même, on développe certains comportements par imitation. Dans le contexte des œuvres de fiction, l'identification au personnage est le mécanisme qui est le plus souvent postulé comme étant utilisé pour expliquer la contagion suicidaire», explique-t-il.

Éviter de romancer le suicide

Les créateurs, comme les cinéastes, les metteurs en scène ou les écrivains, ont un rôle à jouer pour bien représenter le suicide dans leur œuvre. «Si l'émission à la télévision présente mal le suicide, une personne qui est en situation de souffrance et de désespoir pourrait à ce moment-là se projeter dans ce qui est vécu de manière fictive et ça pourrait contribuer à l'amener à faire une tentative de suicide», fait valoir M. Fournier.

D'ailleurs, l'AQPS a créé en 2024 un guide pour les auteurs de fiction afin de les outiller sur les bonnes pratiques. «Si c'est romantisé et qu'il y a une personne qui est en peine d'amour et qui voit que le personnage fait une tentative de suicide, que c'est la seule solution à sa souffrance — on sait que le suicide, ce n'est pas une solution — eh bien la personne peut passer à l'acte, soutient M. Fournier. Un autre effet négatif est la normalisation du suicide. Par exemple, si le suicide est présenté comme une réponse compréhensible ou inévitable face à la souffrance.»

Le guide de l'AQPS va notamment amener les créateurs à se questionner en fonction de leur médium. Au théâtre ou à l'écran, ils peuvent par exemple se demander si le choix musical ou l'éclairage glorifie ou romance le suicide.

On sait aussi que les messages qui informent à propos des ressources d'aide existantes à la fin d'un article ou d'un film, ou encore les traumas-avertissements au début, sont efficaces. «Ça fait la job. Est-ce que c'est suffisant? La réponse est non», tranche M. Fournier, expliquant qu'il faut à la fois de bonnes pratiques de la part des auteurs et un message avec les ressources disponibles.

Il y a tout de même des effets positifs à traiter du suicide dans les œuvres de fiction, tient à partager M. Fournier. Il estime que le suicide est encore un tabou dans la société, et que la représentation à l'écran ou dans n'importe quelle œuvre sert à ouvrir le dialogue et à légitimer la souffrance.

«Ça contribue à augmenter l'empathie et la compréhension de l'entourage, et ça réduit la stigmatisation. Parce que quelque part, c'est normal à un moment donné dans notre vie de vivre de la détresse, de la souffrance, de vivre des coups durs. C'est juste normal, mais en même temps, il faut apprendre à bien le vivre», conclut-il.

Si vous pensez au suicide ou vous inquiétez pour un proche, des intervenants sont disponibles en tout temps au 1 866 APPELLE (1 866 277-3553), par texto (535353) ou par clavardage à suicide.ca.

La couverture en santé de La Presse Canadienne est soutenue par un partenariat avec l'Association médicale canadienne. La Presse Canadienne est seule responsable de ce contenu journalistique.

Katrine Desautels, La Presse Canadienne

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