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L'élimination du changement d'heure apparaît peu probable sans les États-Unis

durée 04h30
15 septembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — À l’approche du retour à l’heure normale, le 2 novembre prochain, il semble douteux que Québec aille de l’avant avec l’élimination du changement d’heure, mais le président américain Donald Trump pourrait l’y forcer.

La Presse Canadienne s’est heurtée à une série de non-réponses, d’hésitations et parfois à la peur de se commettre en cherchant à savoir si le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, responsable de ce dossier, mettrait fin cet automne à la pratique de changer d’heure deux fois par année. Le dossier, semble-t-il, est beaucoup plus délicat qu’on pourrait le penser et les divers intervenants interrogés par La Presse Canadienne ont traité la question comme la proverbiale patate chaude.

Volonté populaire, santé publique et économie

Au bureau du ministre Jolin-Barrette, on nous a offert une réponse proprement politique, à savoir qu’«aucune décision n’a encore été prise», et ce, malgré l’imminence du prochain changement d’heure. On nous a cependant précisé que le ministre «prendrait certainement en considération l’avis des Québécois». Si l’on se fie à la consultation menée par le ministère à la fin de 2024 et au début de 2025, l’avis des Québécois est très clair: 91 % des 214 000 répondants au sondage en ligne ne veulent plus changer d’heure et près des trois quarts d’entre eux préféreraient que l’on conserve l’heure d’été à l’année.

Dans une missive du cabinet du ministre, on précise toutefois que «les équipes du ministère analysent les différents mémoires reçus dans le cadre de la consultation publique. Par ailleurs, le ministre rencontre lui-même plusieurs experts des milieux de la santé et de l'économie pour avoir le meilleur portrait de la situation et de la décision qui s'impose pour la santé et le bien-être des Québécois.»

Le changement d’heure est en effet considéré comme une nuisance en matière de santé publique, selon plusieurs experts. Bien que de nombreuses personnes n’éprouvent aucune difficulté avec cette pratique, les experts en sommeil parlent de dérèglement de l’horloge biologique et le Consortium canadien de recherche sur le sommeil a évoqué, dans son mémoire en marge de cette consultation, des effets néfastes sur les fonctions cardiaques, la tension artérielle, la régulation des hormones, le métabolisme, le système immunitaire, l’humeur, certaines fonctions intellectuelles, l’anxiété ou la dépression.

Santé publique: secret d'État

Sauf que, lorsqu’on a posé la question à la direction nationale de la santé publique, on nous a écrit ceci: «En réponse à vos questions, à la demande du ministère de la Justice, la direction nationale de santé publique a répondu à un sondage à l’été 2023 sur la question du changement d’heures dans la société québécoise. Pour le moment, la direction de la santé publique nationale ne s’est pas positionnée officiellement sur le sujet.»

Nous nous sommes donc tournés à nouveau vers le ministère de la Justice pour connaître la position de la direction nationale de la santé publique et, du même coup, les résultats de ce fameux sondage de 2023. Il a fallu huit jours aux relations médias du ministère pour nous répondre ceci: «Le ministère de la Justice consulte régulièrement divers ministères dans le cadre de ses travaux. Les commentaires sont recueillis à des fins d'analyses et il n'est pas prévu de les rendre publique (sic).» Ce que pense la santé publique demeure donc un secret bien gardé jusqu’ici.

Mais comme on nous dit que le ministre consulte également des experts du milieu économique, nous nous sommes tournés vers les grandes organisations d’affaires que sont le Conseil du patronat du Québec (CPQ) – représentant des grandes entreprises –, la section québécoise de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) – qui représente les PME – et la Fédération des chambres de commerce du Québec.

CPQ: «ni pour, ni contre»

Leurs réponses viennent tout à coup donner un tout autre éclairage à la question. Du côté du CPQ, on nous a expliqué, par voie de courriel, que «le CPQ n’est ni pour, ni contre une abolition du changement d’heure». Mais on nous a signalé que la question soulève des enjeux importants qui préoccupent le milieu de la grande entreprise, au premier chef la possibilité que le Québec fasse cavalier seul: «Il faudrait que ce projet de loi veille à harmoniser notre heure avec celle de nos partenaires américains.» Faisant valoir que ceux-ci représentent toujours 55 % de notre commerce extérieur malgré la guerre commerciale, on explique que «si nous ne sommes pas à la même heure que New York, Boston, Miami, etc., nous pourrions nous retrouver avec un problème de productivité.»

Et si le CPQ reconnaît «que le changement d’heure a un effet sur la santé mentale et physique tel que nous pouvons le lire dans la littérature médicale à cet effet, nous n’avons pas de données probantes à l’heure actuelle pour affirmer que le changement d’heure a un effet mesurable sur la productivité canadienne ou québécoise». Sur cette question, il semble qu’il n’existe aucune étude comparative de productivité entre les travailleurs des provinces qui changent d’heure et ceux de la Saskatchewan et du Yukon, seules juridictions canadiennes qui ne changent pas l’heure.

La Fédération des chambres de commerce du Québec, pour sa part, confirme avoir été approchée, mais son directeur des relations médias, Mathieu Lavigne, a expliqué que l'organisme n'avait pas vraiment grand-chose à dire là-dessus: «On leur a répondu que ce n'est pas un sujet qu'on a creusé et sur lequel on a une position arrêtée. Donc, on a décliné l'invitation».

FCEI: oui, mais...

À la FCEI, le vice-président de la section québécoise, François Vincent, a expliqué qu’un sondage mené auprès des membres, dont les résultats n’avaient pas été rendus publics jusqu’à son entretien avec La Presse Canadienne, montre là aussi une volonté de mettre fin au changement d’heure. Environ 75 % des répondants ont dit vouloir mettre fin à la pratique, 32 % préférant l’heure avancée (d’été), 27 % l’heure normale et 16 % n’ayant pas de préférence.

Mais il y avait un «mais», explique François Vincent. «On n'a jamais rendu publics les résultats parce que quand on lisait les commentaires, on voyait que beaucoup d'entrepreneurs avaient voté oui, mais ajoutaient dans les commentaires que ça devrait aussi se faire de façon coordonnée avec nos principaux partenaires, les États-Unis ou les autres provinces.»

«Même celles qui ont dit qu'elles étaient d'accord, plusieurs qui vont vouloir avoir plus de lumière le jour pour leurs clients, notamment le commerce de détail ou l'hébergement et d'autres qui veulent avoir plus de lumière le soir pour sauver de l'argent sur la facture d'électricité.»

Qui le fera en premier? Possiblement Trump

Cette question de l’harmonisation avec les États-Unis et l’Ontario est cruciale pour le monde des affaires. Ironiquement, l’Ontario a adopté une loi en 2020 pour éliminer le changement d’heure à condition que le Québec le fasse aussi. Et voilà que les gens d’affaires aimeraient bien voir disparaître le changement d’heure, à condition que l’Ontario en fasse autant, véritable cercle vicieux.

Et c’est là où le président Trump pourrait défaire le nœud gordien en agissant de manière unilatérale, comme il en a l'habitude. En avril dernier, il s’est fait insistant auprès du Congrès pour que celui-ci adopte une loi qui rendrait permanente l’heure avancée, disant vouloir plus de lumière en fin de journée.

«Si jamais les États-Unis décident de ne plus changer d'heure, je pense que tout le monde sera obligé de suivre au Canada», estime François Vincent. Il appert donc que la décision, en bout de ligne, n’appartiendra pas au ministre Jolin-Barrette.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne

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