L'ancienne ministre McKenna décrit les difficultés liées à la tarification du carbone


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Par La Presse Canadienne, 2025
OTTAWA — L'ancienne ministre fédérale de l'Environnement, Catherine McKenna, affirme que les efforts du gouvernement de Justin Trudeau pour expliquer la tarification du carbone aux Canadiens ont été «timides» et qu'obtenir une rencontre avec le premier ministre pour en discuter «semblait impossible».
Catherine McKenna dévoile ces détails dans sa nouvelle autobiographie, «Run Like A Girl», qui paraîtra la semaine prochaine.
Élue pour la première fois en 2015, elle a été immédiatement nommée ministre de l'Environnement et a supervisé la mise en œuvre de la tarification du carbone en 2019. Elle décrit dans son livre ses difficultés à défendre et à promouvoir cette mesure, qui a finalement été abrogée par le premier ministre Mark Carney dès son entrée en fonction en mars.
Elle explique que l'idée de rendre la tarification du carbone «neutre en termes de recettes» en reversant les sommes perçues aux Canadiens lui est venue lors d'une rencontre avec George Shultz, un républicain qui était secrétaire d'État sous l'ancien président américain Ronald Reagan.
«Mais faire avancer cette idée en interne n'a pas été facile. Certains, notamment au Cabinet du premier ministre, souhaitaient investir les nouvelles recettes dans des projets verts, écrit Mme McKenna. J'ai soutenu que, si nous empruntions cette voie, les gens y verraient une ponction fiscale et remettraient en question la façon dont nous dépensions l'argent.»
Elle avance que le ministre des Finances de l'époque, Bill Morneau, était favorable à un programme sans incidence sur les recettes, mais que, lorsqu'ils ont tenté de présenter l'idée à M. Trudeau, ils ont eu du mal à obtenir une rencontre.
«Il s'agissait d'une politique gouvernementale phare, mais obtenir une demi-heure pour en discuter semblait impossible», écrit-elle.
Dans une entrevue avec La Presse Canadienne, l'ancienne ministre mentionne que ses efforts pour obtenir une rencontre avec Justin Trudeau ne devaient pas être interprétés comme une remise en cause de son engagement en faveur de l'action climatique.
«Je pense que c'était davantage dû à son style de leadership. Il était difficile d'obtenir des rencontres avec lui. On nous disait toujours : "Vous pouvez toujours appeler le premier ministre", mais pour une raison ou une autre, je n'ai pas pu obtenir de rencontre pendant très longtemps au sujet d'une des politiques les plus importantes», explique-t-elle.
«Je voulais vraiment le regarder dans les yeux et lui dire : "Vous êtes d'accord, n'est-ce pas ?"», précise-t-elle.
Finalement, écrit Mme McKenna, ce sont les députés libéraux qui se sont exprimés lors d'une réunion du caucus qui l'ont aidée à rallier M. Trudeau à sa cause.
Un changement à caractère politique
La décision de l'ancien premier ministre d'exempter le mazout de chauffage de la tarification du carbone, plusieurs années plus tard, a finalement mis fin à cette politique, mentionne-t-elle.
Cette décision, intervenue deux ans après le départ de Mme McKenna de la politique fédérale, a largement profité aux habitants du Canada atlantique, alors que les habitants d'autres régions du pays sont plus susceptibles de se chauffer avec d'autres combustibles, comme le gaz naturel.
«J'ai été stupéfaite. Il ne s'agissait pas seulement d'un changement de politique, mais d'une décision politique flagrante visant à consolider le soutien au Canada atlantique. Quand j'ai vu M. Trudeau debout derrière un podium avec une pancarte sur laquelle on pouvait lire : “Rendre la vie plus abordable”, j'ai recraché mon café», écrit Mme McKenna.
«L'annonce était plus que cynique. Elle était stupide. Elle a créé de la confusion et du ressentiment à l'extérieur du Canada atlantique. Elle a également miné les objectifs climatiques du gouvernement et envoyé le message que l'action contre les changements climatiques pouvait être retardée à tout moment, politiquement parlant», estime-t-elle.
Le gouvernement a rencontré d'autres obstacles pour convaincre les Canadiens d'appuyer la tarification du carbone à la consommation, écrit-elle, citant la réticence des grandes banques canadiennes à inscrire correctement la remise canadienne sur le carbone dans les comptes bancaires des particuliers et le refus initial de l'Agence du revenu du Canada d'effectuer des paiements trimestriels plutôt que des paiements forfaitaires.
La politique a été encore plus affaiblie par une analyse erronée publiée par le directeur parlementaire du budget (DPB), qui laissait entendre que les Canadiens payaient plus qu'ils ne recevaient en remboursements, affirme Mme McKenna.
En 2024, le bureau du DPB a admis avoir commis une erreur dans son analyse initiale cinq ans plus tôt en incluant la tarification du carbone imposée aux grandes industries. Il a refait l'analyse et est arrivé à une conclusion similaire, tout en reconnaissant que l'impact sur le revenu des ménages serait inférieur à ce qu'il avait prédit dans son rapport précédent.
Les libéraux ont également critiqué l'analyse du DPB pour avoir examiné l'impact économique de la tarification du carbone sans tenir compte du coût des changements climatiques eux-mêmes.
Dans son livre, Catherine McKenna qualifie l'erreur du DPB de «faute professionnelle flagrante».
Elle soutient également que les libéraux ont limité leurs efforts pour communiquer aux Canadiens l'impact réel de la tarification du carbone sur le revenu de leurs ménages.
«C'était en partie la faute de notre gouvernement», écrit Mme McKenna, ajoutant que les libéraux ont imposé des restrictions sur la publicité gouvernementale après leur élection.
Les fonctionnaires fédéraux craignaient qu'une campagne de sensibilisation du public sur la tarification du carbone soit perçue comme trop politique, se souvient l'ancienne ministre.
«Rétrospectivement, nos restrictions ont eu l'effet inverse. Je ne comprenais pas en quoi la fourniture d'informations factuelles sur une réduction du carbone que les Canadiens devaient demander lors de leur déclaration d'impôts pouvait être qualifiée de politique», écrit-elle.
«Au lieu de cela, ils ont été nourris de déclarations trompeuses ou de mensonges éhontés de la part de politiciens conservateurs, comme Pierre Poilievre, qui a qualifié à plusieurs reprises la tarification du carbone de "taxe destructrice d'emplois" devant être "supprimée"», ajoute-t-elle.
Confiance envers Mark Carney
Aujourd'hui, Mme McKenna préside le groupe d'experts de haut niveau des Nations Unies sur les engagements des entités non étatiques en matière de carboneutralité.
Un nouveau rapport sera publié dans quelques semaines, expliquant comment l'Accord de Paris a joué un rôle déterminant pour inciter les gouvernements et l'industrie à agir en matière de réduction des émissions, et comment la prochaine décennie sera cruciale pour la lutte contre les changements climatiques.
Son rapport paraît alors que le gouvernement Carney refuse toujours de dire s'il s'engage à respecter les objectifs de réduction des émissions du Canada pour 2030.
S'adressant aux journalistes jeudi à Edmonton, M. Carney a déclaré privilégier les «résultats et non les objectifs» lorsqu'on lui a demandé s'il était toujours engagé à respecter les objectifs du Canada dans le cadre de l'Accord de Paris.
Interrogée sur l'orientation du gouvernement Carney concernant l'Accord de Paris – qu'elle a contribué à négocier et dont elle parle longuement dans son livre –, Mme McKenna avance avoir confiance en M. Carney.
«J'ai travaillé avec Mark Carney lorsque j'étais ministre. Il est venu au Canada et a soutenu nos politiques. Nous avons discuté de l'importance de la tarification du carbone, explique Mme McKenna. Il n'a pas annoncé son plan climatique. Il dit que cela viendra.»
Nick Murray, La Presse Canadienne