L'Alienfest est annulé, sur des allégations de censure concernant la fonderie Horne
Temps de lecture :
4 minutes
Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Un festival de musique à La Sarre, en Abitibi-Ouest, a été annulé après qu'un groupe local eut accusé les organisateurs de l'avoir «déprogrammé» en raison de ses critiques à l'égard de la fonderie de cuivre Horne, à Rouyn-Noranda.
L'album du groupe de métal «Guhn Twei», sorti en 2023, s'intitule «Glencorruption» et regorge de paroles qui dénoncent la fonderie Horne et son propriétaire, la société suisse Glencore. Les paroles de la chanson titre «Glencorruption» qualifient notamment les dirigeants de Glencore de «bandits à cravate», de «capitalistes parasitaires», de «tueurs d'enfants» et de «violeurs de planète».
Le chanteur Simon Turcotte soutient que son groupe devait se produire lors du troisième festival «Alienfest» en juin à La Sarre. Mais la semaine dernière, il a reçu un message d'un organisateur l'informant que finalement, son groupe ne se produirait pas au festival de 2024, a déclaré le chanteur.
L'organisateur, un employé du commanditaire du festival, le fabricant d'équipements en acier Métal Marquis, de La Sarre, a évoqué un «conflit d'intérêts», selon des captures d'écran du message partagé avec La Presse Canadienne.
Métal Marquis est un fournisseur de la fonderie Horne à Rouyn-Noranda, à une soixantaine de kilomètres au sud de La Sarre.
La fonderie a fait l'objet ces dernières années d'une intense surveillance médiatique et politique pour ses rejets d'arsenic dans l'air. Le Québec avait autorisé que ces émissions soient 33 fois supérieures aux normes provinciales. En 2022, le gouvernement de François Legault a finalement permis à la fonderie Horne d’émettre des niveaux d’arsenic cinq fois supérieurs à la norme.
Des études de l'Institut de santé publique du Québec ont démontré que les résidents de Rouyn-Noranda présentaient des taux de cancer du poumon plus élevés que ceux du reste de la province.
Le chanteur atteint de cancer
Le chanteur Simon Turcotte, âgé de 35 ans, a déclaré qu'on lui avait diagnostiqué un cancer en 2016 et que la maladie avait entraîné l'amputation de sa jambe droite. Il a déclaré qu'il avait participé activement au tollé général qui a suivi les reportages sur les émissions d'arsenic de la fonderie Horne.
«Censurer un artiste local à qui le cancer a coûté une jambe et qui dénonce l'empoisonnement de ses concitoyens dans ses chansons pour ne pas déplaire à une multinationale écocidaire, c'est l'antithèse totale du mouvement punk», a écrit le chanteur sur Facebook le 28 mars.
Or, le lundi suivant, les organisateurs de l'Alienfest annulaient carrément tout le festival, prévu début juin. Les organisateurs ont transmis un communiqué à Radio-Canada Abitibi où ils confirment que des «conflits d’intérêts» entre les commanditaires et des participants les ont contraints à annuler le festival.
Les organisateurs n'ont pas répondu aux demandes de commentaires de La Presse Canadienne, mais ils ont publié jeudi un deuxième communiqué confirmant par ailleurs qu'il n'y aurait plus de festival, une possibilité qui, selon eux, était déjà à l'étude avant d'annuler l'événement de 2024.
Les organisateurs assurent qu'ils ont pris cette décision sans aucune intervention des commanditaires. «C'est plutôt la charge imposante se trouvant sur les épaules des trois personnes bénévoles qui aura eu raison de la tenue de cet événement familial de musique alternative», peut-on lire dans le communiqué.
Le commanditaire n'a rien à voir
Dans un autre communiqué, publié mercredi, le commanditaire Métal Marquis affirme n'avoir aucun contrôle sur la programmation de l'Alienfest et n'avoir «jamais suggéré ni pris part aux décisions entourant l'annulation et la programmation du festival».
«Pour autant, ni la Fonderie Horne ni Glencore n'a exercé une quelconque forme de pression sur Métal Marquis et l'organisation du festival», ajoute le communiqué du commanditaire.
Un porte-parole de Métal Marquis a soutenu que son employé avait agi de manière indépendante lorsqu'il a annoncé au groupe «Guhn Twei» qu'il ne serait pas de la programmation du troisième festival.
«En tant que commanditaire, notre rôle n'est pas de définir ou de limiter la portée artistique des festivals que nous soutenons», assure Patrick Perreault, PDG de Métal Marquis, dans le communiqué.
La porte-parole de la fonderie Horne, Cindy Caouette, a déclaré jeudi que l'entreprise n'était pas impliquée dans le festival et qu'elle n'était pas au courant des critiques de «Guhn Twei».
«Climat de peur»
Simon Turcotte s'inquiète néanmoins de l'influence de la compagnie en Abitibi-Témiscamingue. «On est un peu sonnés par tout ce qui se passe, a-t-il avoué. On est très inquiet de ce que ça signifie pour la culture ici.
«C'est le festival lui-même qui est critiqué, mais c'est en fait le climat de peur que tout le monde semble avoir dans notre milieu culturel en Abitibi face à la fonderie» Horne.
Les organisateurs de l'Alienfest ont rejeté jeudi l'idée selon laquelle l'annulation du festival constituait une atteinte à la liberté d'expression artistique.
«Au final, le comité organisateur d'Alienfest regrette profondément les tensions occasionnées. L'intention n'a jamais été de brimer les artistes locaux, mais de tenter d'organiser un festival pour les familles de la région», lit-on dans le communiqué.
Glencore a fait l'objet d'enquêtes pour corruption dans plusieurs pays. En 2022, la société a accepté de payer jusqu'à 1,5 milliard $ d'amendes pour régler à l'amiable des allégations de corruption au Brésil, au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Le premier ministre du Québec, François Legault, a défendu le rôle économique de la fonderie Horne comme employeur majeur à Rouyn-Noranda. Il a rappelé en 2022 que l’usine créait 650 emplois dans la ville, qui comptait un peu plus de 42 300 habitants au recensement de 2021.
— Avec des informations de l'Associated Press.
Thomas MacDonald, La Presse Canadienne