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Kanesatake: pas d'infraction constatée par le fédéral, un groupe réclame une enquête

durée 16h22
23 mai 2023
La Presse Canadienne, 2023
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5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

MONTRÉAL — Un groupe qui affirme parler au nom de citoyens de Kanesatake réclame une commission d’enquête indépendante avec la participation de l’ONU sur la crise dans la communauté mohawk située sur la Rive-Nord de Montréal, alors qu’Environnement Canada indique ne pas avoir constaté, jusqu’à présent, d’infraction à la loi concernant les présumés rejets toxiques dans un cours d’eau adjacent au site de G&R Recyclage.

Dans un échange de courriels avec La Presse Canadienne, l’attachée de presse du ministre fédéral de l'Environnement, Kaitlin Power, a expliqué que des fonctionnaires se sont rendus six fois sur le site G&R Recyclage dans la communauté de Kanesatake dans les derniers mois. 

Jusqu’à présent, ces inspecteurs n’ont pas constaté de preuve que l’entreprise avait enfreint la Loi sur les pêches, qui interdit le rejet de substance nocive dans les cours d’eau.

Mais le député néo-démocrate Alexandre Boulerice, qui a brandi un contenant d’eau grise et opaque devant les journalistes mardi après-midi à Montréal, réclame une commission parlementaire sur la situation. 

«Je n'ai pas vu de rapport, mais je n'ai pas besoin de beaucoup de rapports pour vous dire que si ça, c'est de l'eau qu'on retrouve sur le terrain à Kanesatake à cause d'un dépotoir illégal qui est contaminé, personne ne veut vivre dans un environnement comme ça», a indiqué le député.

Un homme qui se fait appeler «Blue», et qui réclame l’anonymat car il craint les représailles, a fourni au député le contenant d’eau qui proviendrait du territoire autochtone.

«Mais l'autre question aussi, c'est: est-ce que ces inspecteurs ont la capacité de faire tout leur travail? Est-ce que leur sécurité est assurée? Parce que c’est pratiquement une zone de non-droit en ce moment, c’est complètement inacceptable de laisser des bandits, des gangsters faire la loi dans une telle communauté», a lancé le député néo-démocrate.

Ce n'est pas parce que les inspecteurs fédéraux n'ont pas trouvé de preuve d'infraction que le site est conforme pour autant.

La province a également envoyé des inspecteurs visiter le dépotoir de l'entreprise G&R Recyclage et une enquête a été ouverte par le ministère l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques.

«Des constats d'infraction ont été délivrés par le Directeur des poursuites criminelles et pénales», selon une ordonnance publiée en 2019 par le gouvernement provincial.

Le ministère a constaté plusieurs manquements et dans son ordonnance no. 690, il a ordonné notamment à l'entreprise G&R Recyclage de «cesser tout dépôt de matières résiduelles dans un lieu non autorisé», de «disposer, dans un lieu autorisé à les recevoir, toutes les matières résiduelles entreposées de façon non conforme» et de «remettre le lot visé dans l'état où il était avant que ne débutent les travaux effectués en contravention avec la Loi sur la qualité de l'environnement».

Ping-pong devant le bureau du ministre Miller

Le député Alexandre Boulerice participait à une manifestation qui a réuni environ 25 personnes devant le bureau du ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, mardi.

Les manifestants avaient le visage caché par des masques médicaux, des bandeaux, ou alors par des masques qui représentaient les visages des ministres Steven Guilbeault, Marc Miller et de leur homologue québécois Ian Lafrenière.

Ceux-ci se sont adonnés à des parties de ping-pong, sur une table installée sur le trottoir de la rue Saint-Jacques, afin de dénoncer le jeu de «ping-pong» entre le gouvernement fédéral et la province concernant la situation à Kanesatake.

Blue, le porte-parole du groupe, a expliqué que la communauté de Kanesatake craint les répercussions environnementales de l’écoulement d’eaux qui seraient toxiques et qui proviendraient du centre de tri G&R Recyclage qui appartient aux frères Robert et Gary Gabriel.

«La Presse a rapporté que le conseil de bande a admis en privé qu'il se sentait impuissant à appliquer les règlements par crainte d'intimidation violente» et «il n'y a pas eu d'autre choix que de rester anonyme dans ce fiasco qui est le fruit de l'apathie de tous les niveaux de gouvernement et de l'abandon du droit des Mohawks», a indiqué le porte-parole masqué.

Questionné à savoir s’il parlait au nom des membres de la communauté de Kanesatake, Blue a répondu par l’affirmatif.

«Ici, en ce qui concerne cette situation et ces questions, oui», a indiqué le porte-parole du groupe.

Il a précisé que certaines citoyennes de Kanesatake «sont présentes aujourd’hui, elles représentent un groupe dans la communauté» et qu’elles sont «extrêmement nerveuses concernant leur sécurité».

Une enquête avec un rapporteur de l’ONU

Les manifestants réclament une commission d’enquête indépendante avec la participation d’un rapporteur sur les peuples autochtones de l’ONU pour déterminer «comment la crise s’est développée» et la responsabilité des différents gouvernements.

Ils demandent également la décontamination du site G&R Recyclage et d’autres sites semblables et une solution pour assurer la sécurité des résidants «en consultation directe et sécuritaire des membres».

Les manifestants ont annoncé mardi qu’ils lançaient «la campagne sortons les vidanges» et promis «des actions directes pendant un mois».

Des dégâts environnementaux très préoccupants

Si aucune infraction à la loi n’a encore été détectée par le gouvernement fédéral, le ministre Guilbeault et la ministre fédérale des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, ont toutefois indiqué, dans un communiqué diffusé la semaine dernière, que «les dégâts environnementaux à Kanesatake et les impacts sur la sécurité de la communauté sont très préoccupants».

Dans une déclaration écrite, l’attaché de presse de la ministre Hajdu a réitéré mardi que son bureau «travaille activement avec l'ensemble du gouvernement fédéral, y compris avec Environnement et Changement climatique Canada, la province de Québec et les partenaires autochtones pour trouver une solution permanente à long terme».

La ministre a également fait savoir qu’elle s'est entretenue avec le ministre québécois responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, jeudi dernier, et a convenu d'organiser une réunion trilatérale avec le grand chef Victor Bonspille «pour discuter de la situation et trouver une solution durable pour répondre aux besoins de la communauté».

Le ministère fédéral des Services aux Autochtones a également fait parvenir à La Presse Canadienne un communiqué publié la semaine dernière dans lequel la ministre a déclaré que «la violence et les menaces visant les membres de la communauté de Kanesatake sont inacceptables» et qu’afin d'assurer la protection de la communauté, son ministère «a fourni 3,2 millions $ sur quatre ans dans le cadre de l'initiative des sentiers de la sécurité communautaire, pour répondre au besoin identifié par la communauté d'avoir une équipe de sécurité spécialisée qui pourrait collaborer avec la Sûreté du Québec».

Mardi matin, La Presse Canadienne a invité le bureau du ministre québécois Ian Lafrenière à commenter la situation, mais l’agence de presse n’avait pas encore obtenu de réponse en après-midi.

Le bureau du ministre Miller a de son côté répondu que «l’enjeu relève du portfolio de la ministre Hajdu».

La semaine dernière, le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault avait indiqué qu’il avait participé à plusieurs rencontres avec le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, et avec le ministre québécois responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, afin de régler le problème.

Un corps policier démantelé

Le corps policier autochtone de Kanesatake a été démantelé en 2005 à la suite de conflits internes qui avaient dégénéré en violence, alors que la résidence du chef de l’époque, James Gabriel, avait été incendiée et le poste de police placé en état de siège par des manifestants opposés au remplacement, par James Gabriel, du chef de police de l’époque. 

Depuis 2005, ce sont les policiers de la Sûreté du Québec qui sont chargés de patrouiller le territoire autochtone, mais leur présence est mal accueillie par les Mohawks depuis la crise d’Oka en 1990 et ils ne s’aventurent que très rarement à l’intérieur des limites du territoire.

Stéphane Blais, La Presse Canadienne