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Ingérence étrangère: le Canada devrait s'inspirer de l'Australie, selon des experts

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1 mars 2023
La Presse Canadienne, 2023
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Temps de lecture   :  

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Par La Presse Canadienne, 2023

OTTAWA — Un ancien haut fonctionnaire et un éminent chercheur en sécurité nationale affirment que le Canada peut se tourner vers l'Australie pour trouver des idées sur la manière de mieux gérer la menace d'ingérence étrangère.

Ottawa devrait «copier et coller» la loi australienne de 2018 qui oblige les personnes faisant du lobbying au nom d'autres pays à s'enregistrer auprès du gouvernement, a indiqué Michael Wernick, qui a été greffier du Conseil privé de 2016 à 2019.

Les évaluations détaillées des menaces publiques de l'Australian Security Intelligence Organisation (ASIO), le service de renseignements australien, pourrait aussi servir de modèle au Canada pour expliquer les éléments de l'ingérence étrangère, a ajouté Wesley Wark, chercheur principal au Center for International Governance Innovation.

Le gouvernement libéral a subi des pressions ces dernières semaines pour expliquer ce que fait le Canada au sujet d'allégations d'ingérence chinoise – divulguées dans des fuites anonymes aux médias provenant de sources de sécurité – lors des deux dernières élections fédérales.

Dans le cours normal des relations, les pays critiqueront d'autres nations ou prendront des décisions qui pourraient être préjudiciables, mais c'est un comportement manifeste qui pourrait simplement être qualifié de «diplomatie agressive», a souligné M. Wark.

Les actions franchissent le seuil de l'ingérence étrangère lorsqu'elles sont menées secrètement.

Un gouvernement étranger comme la Chine, par exemple, pourrait essayer de cibler les communautés de la diaspora pour les encourager à adopter des positions prochinoises, ou les faire taire par des menaces, a noté M. Wark.

Cela pourrait déborder dans l'arène électorale si Pékin encourageait clandestinement une communauté de Canadiens à soutenir des candidats qui pourraient favoriser une position plus prochinoise ou saper la légitimité de candidats dont les opinions ne plaisent pas à la Chine.

En plus de l'adoption du Foreign Influence Transparency Scheme Act en 2018, l'Australie a pris plusieurs autres mesures, notamment la nomination d'un coordinateur national de la lutte contre l'ingérence étrangère et la création d'un groupe de travail réunissant les services de sécurité et de police pour découvrir, perturber et enquêter sur les activités d'ingérence étrangère.

«Ce serait une bonne chose si nos partis politiques se réunissaient et traitaient cela dans l'intérêt national», a avancé M. Wernick.

Un protocole en place

En vertu d'un protocole fédéral concernant les élections, il y aurait une annonce publique si un groupe de hauts fonctionnaires déterminait qu'un incident – ou une accumulation d'incidents – menaçait la capacité du Canada à tenir un scrutin libre et équitable.

Il n'y a pas eu d'annonce du genre concernant les élections de 2019 ou 2021. Dans les deux cas, les libéraux sont revenus au gouvernement avec des mandats minoritaires tandis que les conservateurs formaient l'opposition officielle.

Un rapport de l'ancien fonctionnaire Morris Rosenberg, rendu public mardi, a révélé que plusieurs aspects du protocole fonctionnaient bien en 2021.

Cependant, il a signalé la communication comme l'un des domaines à améliorer.

«De nombreux commentaires ont été formulés sur la nécessité de procéder à une annonce rapide afin de communiquer clairement aux Canadiens et aux médias de la menace, le plan intégré mis en place pour y faire face et le rôle du Protocole et du groupe d’experts en tant qu’éléments de ce plan», indique le rapport.

Manque de transparence

Les agences fédérales, dont le Service canadien du renseignement de sécurité, n'ont pas montré de volonté d'être vraiment ouvertes et transparentes sur les menaces auxquelles le pays est confronté, selon M. Wark.

«Ils ne voient toujours pas cela comme leur affaire, informer le public, a-t-il soutenu. Donc, nous obtenons des rapports au compte-gouttes, mais rien de vraiment substantiel et rien de systématique.»

En comparaison, le chef de l'ASIO australien prononce un discours annuel énonçant ces menaces.

Dans son discours le plus récent, prononcé le mois dernier, le directeur général de la sécurité, Mike Burgess, a déclaré que l'Australie était confrontée à un défi sans précédent d'espionnage et d'ingérence étrangère «et je ne suis pas convaincu que nous, en tant que nation, comprenons pleinement les dommages qu'elle inflige à la sécurité, la démocratie, la souveraineté, l'économie et le tissu social de l'Australie».

«L'année dernière, nous avons identifié plusieurs espions de plusieurs pays développant et essayant de tirer parti de relations avec des responsables gouvernementaux, des employés de banque, des médecins, des employés de la police et d'autres professions pour obtenir les détails personnels de dissidents présumés.»

Il a également fourni des détails sur deux récents complots d'ingérence étrangère, affirmant que les deux avaient été arrêtés «avant que le mal ne puisse être fait».

Des dommages réels?

Il y a une «distinction importante» entre les intentions et les capacités d'un État étranger, «qui, je pense, a complètement disparu dans ce tapage actuel sur l'ingérence électorale chinoise», a relevé M. Wark.

Les fuites de renseignements sur l'intention de la Chine d'intervenir dans les élections canadiennes ne révèlent pas nécessairement quoi que ce soit sur les dommages, le cas échéant, qui ont été réellement causés.

Cela peut jeter un doute à la fois sur la loyauté de la communauté de la diaspora chinoise et sur la capacité des gens à se faire leur propre opinion dans la sphère politique, a ajouté M. Wark.

«Ces deux suggestions sont profondément antidémocratiques et servent en fait les objectifs chinois d'une manière qui, je pense, ne fait l'objet d'aucun commentaire.»

Jim Bronskill et David Fraser, La Presse Canadienne