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Haïti menacé de famine, une insécurité alimentaire qui aggrave la crise

durée 06h00
13 mai 2023
La Presse Canadienne, 2023
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

OTTAWA — Même si le Canada contribue à combattre la faim, l'Organisation des Nations unies (ONU) prévient que le chaos politique qui règne à Haïti met le pays à risque de famine, alors que des agriculteurs sont kidnappés. 

«Ce n'est pas la crise alimentaire chronique habituelle en Haïti. C'est extrêmement grave, expose Jean-Martin Bauer, directeur national du Programme alimentaire mondial pour Haïti. 

Il est très difficile d'organiser une élection pacifique avec une population affamée.»

Lors d'une évaluation en octobre dernier, quelque 20 000 personnes en Haïti ont été classées comme étant en situation d'insécurité alimentaire catastrophique, ce qui, selon M. Bauer, est la première fois que des personnes dans les Amériques sont caractérisées comme étant à risque de famine.

La population la plus durement touchée vit à Cité Soleil, une zone contrôlée par les gangs de la capitale, Port-au-Prince, où les habitants sont confrontés à des conditions que l'on retrouve plus souvent en Somalie et en Afghanistan, affirme M. Bauer. 

Quelque cinq millions de personnes — la moitié de la population du pays — se trouvent actuellement au stade de «crise» de l'insécurité alimentaire, le troisième niveau sur cinq dans la classification intégrée de la phase de sécurité alimentaire. Ils sont confrontés à des niveaux de malnutrition supérieurs à la moyenne.

Ceux qui courent un risque «catastrophique» sont au niveau cinq. Dès que 20 % d'une population atteint ce stade, on considère qu'elle souffre de la famine.

La faim alimente les gangs et est exacerbée par les groupes armés, mentionne M. Bauer. Haïti est entré dans une crise politique au milieu de l'année 2021 avec l'assassinat de son président. Le pays est depuis dirigé par le président de facto Ariel Henry, sous la direction duquel les gangs ont comblé un vide du pouvoir.

M. Henry a appelé une armée étrangère à intervenir pour éliminer les gangs, une idée que Washington soutient, mais que le premier ministre Justin Trudeau a averti qu'elle pourrait se retourner contre lui. Ce mois-ci, un comité de la Chambre des communes a déconseillé l'envoi de troupes canadiennes.   L'approche d'Ottawa a été de fournir un soutien en matière de renseignement à la police et de sanctionner les élites soupçonnées de donner du pouvoir aux gangs, dans l'espoir de susciter un consensus politique parmi les Haïtiens sur la manière dont la communauté internationale devrait intervenir. 

Une crise qui s'aggrave

L'ONU affirme que les gangs contrôlent désormais 80% de Port-au-Prince, bien que les groupes locaux aient des estimations encore plus élevées. Les gangs s'emparent souvent de la nourriture ou la taxent, qu'elle arrive dans la capitale depuis les zones rurales ou de l'étranger via les ports.

Les changements climatiques et la hausse des prix du carburant en Haïti ont aggravé une crise de la faim qui découle de problèmes qui durent depuis des décennies, avance M. Bauer.

Le nombre d'Haïtiens ayant des besoins alimentaires aigus a triplé depuis que l'ouragan Matthew a frappé l'île en 2016, au milieu d'une série de sécheresses et de problèmes d'importation de nourriture.

«Ce qui m'inquiète, c'est que les problèmes qui ont provoqué cette crise alimentaire s'aggravent», témoigne M. Bauer. 

Haïti importe la moitié de sa nourriture, ce qui explique pourquoi les blocus des gangs causent tant de chaos. Les Haïtiens utilisent le riz comme aliment de base, mais le pays importe 80 % de cette récolte, en raison des mesures désastreuses de libéralisation du marché prises en 1994 sous la pression américaine, pour lesquelles le président américain Bill Clinton a depuis présenté ses excuses.

«Les petits agriculteurs ont été écrasés. Ils ne sont pas en mesure de rivaliser sur le marché libre. Et par conséquent, vous avez une migration (urbaine) et une vulnérabilité accrue dans les zones rurales», analyse M. Bauer.

Le taux d'inflation des prix alimentaires en Haïti a atteint 50 %, et la Banque mondiale affirme qu'il s'accentuera rapidement.

Ces derniers mois, des gangs ont commencé à s'emparer de certaines parties du grenier à blé d'Haïti, la vallée de l'Artibonite, où M. Bauer a déclaré que des agriculteurs étaient kidnappés pour obtenir une rançon. Les gangs extorquent aux agriculteurs l'accès aux systèmes d'irrigation, ou les chassent afin de louer des terres agricoles productives.

Lueur d'espoir

Inquiet de cette expansion des groupes armés dans les zones rurales, M. Bauer remarque toutefois que l'ONU a contribué à inverser la tendance, avec l'aide des Canadiens.

Le Programme alimentaire mondial a mis en place une initiative de repas en milieu scolaire dans le cadre duquel l'organisation achète des récoltes aux agriculteurs, puis demande à une équipe de préparer des repas sains pour les enfants. Cela permet d'embaucher des travailleurs locaux et de donner aux enfants les nutriments dont ils ont besoin pour apprendre.

Le nombre d'enfants recevant un repas quotidien grâce à ce programme est passé de 93 000 l'automne dernier à 183 000 à la mi-avril, en grande partie grâce aux dons des Canadiens et du gouvernement fédéral.

«Cela montre que si nous donnons une chance aux agriculteurs, ils répondront à la stimulation de l'offre que nous leur proposons», soutient M. Bauer.

L'organisation a également lancé un projet de micro-assurance qui protège 5 millions $ d'actifs détenus par les petits agriculteurs, pour les empêcher de jeter l'éponge et de devenir des citadins pauvres. Elle distribue également de l'argent aux gens afin qu'ils puissent choisir les aliments qu'ils aiment tout en soutenant l'économie locale.

Le mois dernier, les Nations unies ont publié un plan de réponse humanitaire pour Haïti, dont 60 % des fonds demandés sont destinés à l'alimentation et à l'agriculture.

Selon M. Bauer, cette situation reflète la réalité: la faim croissante rend plus difficile la lutte contre d'autres maux, qu'il s'agisse d'endiguer une épidémie de choléra ou de stopper le recrutement des jeunes par les gangs.

«La sécurité alimentaire se trouve être l'un des éléments constitutifs de la sécurité humaine. Et nous devons y remédier afin d'aider Haïti à sortir de sa situation actuelle», dit le travailleur humanitaire. 

Dylan Robertson, La Presse Canadienne