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Expansion du port à Contrecoeur: des citoyens «noyés» par le volume d'information

durée 10h00
18 octobre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — L'Administration portuaire de Montréal (APM) ne demandera pas de permis à la Ville de Contrecœur pour faire des travaux en sol contaminé sur les rives du Saint-Laurent et pour abattre des milliers d'arbres. Cette situation inquiète des citoyens qui, par ailleurs, peinent à saisir les impacts qu’aura ce grand chantier industriel sur l’environnement.

Hélène Reeves vit sur les rives du Saint-Laurent, à une dizaine de kilomètres du port de Contrecœur, où débutent des travaux qui dureront plusieurs années et qui incluent le dragage du Saint-Laurent pour aménager l’aire d’approche des navires et ainsi augmenter la capacité du port de Montréal d’environ 60 %.

La riveraine de la ville de 10 000 habitants s’inquiète des répercussions des travaux sur le fleuve, entre autres parce que l’inventaire des terrains contaminés de Contrecœur indique que les eaux souterraines et le sol de certains lots qui appartiennent au port sont, en raison du passé industriel du site, contaminés par des produits pétroliers et différents métaux: cadmium, cuivre, nickel, plomb et zinc.

«Ils prévoient pomper jusqu'à 1400 m3 d'eau directement du fleuve par jour pour arroser les terrains où il va y avoir de la construction. Donc, dans la mesure où on arrose les terrains qui sont en construction, qui sont possiblement des contaminants, comment tout ça va retourner dans le fleuve? Comment ils vont contrôler les eaux de ruissellement?», demande Mme Reeves, porte-parole de Vigie Citoyenne Port de Contrecœur.

«Le conseil municipal ne peut pas choisir de ne pas faire respecter ses règlements. C’est un non-sens», ajoute la riveraine.

Hélène Reeves fait notamment référence au règlement sur les permis et certificats de sa municipalité.

L’article 33 de celui-ci stipule qu’un promoteur qui souhaite effectuer des travaux de construction sur un terrain contaminé doit obtenir un permis de la Ville.

Selon l’article 32 du même règlement, un promoteur qui veut abattre des arbres (APM compte en abattre 13 000 dans le cadre de l’agrandissement du port) doit aussi obtenir un permis de la Ville.

«David contre Goliath»

Le 1er octobre dernier, le jour où APM a annoncé que les travaux préparatoires étaient sur le point de débuter, Hélène Reeves s’est présentée à la séance du conseil municipal de Contrecœur pour demander à la mairesse Maud Allaire si elle comptait faire respecter les règlements de la Ville concernant l’octroi de permis.

La mairesse a répondu que l’Administration portuaire de Montréal (APM) a fait savoir «qu’elle ne demanderait pas de permis à la Ville parce que c'est un projet fédéral». Par conséquent, a ajouté la mairesse Allaire, «on a décidé de suivre les recommandations de nos aviseurs juridiques» qui nous conseillent «de négocier une entente de bénéfices mutuels au lieu d'aller en cour, avec les frais juridiques et se battre contre Goliath, le fédéral» et «peut-être ne rien avoir en retour».

Sylvain Latour, directeur des communications de la Ville, a ajouté, lors de cette séance, que la municipalité «ne va pas négocier» sur la place publique.

«On ne peut pas accepter que la Ville de Contrecœur fasse des ententes à huis clos avec l'APM, (…) on demande à ce que ces règlements-là soient respectés», s’est indignée Hélène Reeves lors d’une entrevue avec La Presse Canadienne.

Le conseiller municipal Claude Dansereau croit aussi qu’APM devrait se plier aux règlements de la municipalité.

«Je pense que la Ville est dans son droit de demander tous les permis nécessaires, mais l’APM voit ça autrement.»

Dans un échange de courriels avec La Presse Canadienne, l’APM a écrit que son projet «relève de la compétence fédérale et se réalise sur des terrains fédéraux» et que, dans ce contexte, «c’est la réglementation fédérale qui s’applique à la réalisation des travaux».

Il n’est donc pas requis, selon l’APM, «de demander des autorisations aux municipalités».

Selon l’avocat Axel Fournier, qui pratique le droit municipal, «il y a de la jurisprudence» qui prévoit que, même pour une activité fédérale, la municipalité peut exiger un permis.

L'avocat fait ainsi référence à un jugement de la Cour d’appel du Québec en 2018 qui concerne la Ville de Lévis qui voulait interdire le parachutisme sur son territoire. La Cour avait imposé à un aérodrome de payer une amende pour avoir construit un bâtiment pour pratiquer le parachutisme sans demander de permis municipal. Mais la Cour avait précisé du même souffle que la municipalité ne pouvait pas interdire le parachutisme, indissociable de la navigation aérienne, car l’interdire entraverait une compétence exclusive du gouvernement fédéral.

«Il existe donc un précédent pour appliquer un règlement sur les permis à une activité fédérale, mais cette exigence ne donne pas grand-chose, car en bout de ligne, la municipalité ne peut pas refuser la délivrance du permis. Qui plus est, cette jurisprudence ne porte pas sur le cas où le demandeur de permis est un mandataire de la Couronne fédérale, ce qui est le cas de l’Administration portuaire de Montréal», a souligné Me Fournier.

Noyé dans l’information

Il est difficile pour les citoyens, mais aussi pour les élus, de comprendre les impacts qu’aura l’agrandissement du port sur le fleuve et ses rives.

Il y a, uniquement sur le site de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC), plusieurs milliers de pages de documentation qui décrivent le projet.

«En fait, il y a tellement d'information que ça prend quelqu'un à temps plein pour essayer de digérer tout ça, a souligné le conseiller municipal Claude Dansereau. Il n'y a pas un citoyen qui peut arriver à s'y retrouver sans lâcher sa job. Même lorsqu'on pose des questions à l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, on n'a pas nécessairement des réponses. C'est une manne d’information qui noie facilement tout le monde.»

«Il y a plusieurs citoyens qui ne sont pas du tout conscients des impacts du port et de sa construction, parce que ça demande énormément de travail pour comprendre», a ajouté Hélène Reeves.

La porte-parole de Vigie Citoyenne Port de Contrecœur a donné l’exemple d’une consultation publique lancée par l’AEIC le 26 septembre dernier, dans laquelle l’agence fédérale invite les citoyens à examiner les modifications provisoires apportées au projet et à fournir des commentaires jusqu’au 17 octobre 2025.

«C’est une consultation publique éclair qui dure 21 jours sur les 439 pages de changements au projet désigné. Vingt et un jours! Ce n’est pas sérieux, là! Ce n’est pas acceptable. Nous, comme citoyens, il faut qu'on essaie de comprendre les 439 pages pour essayer d'écrire quelque chose. Ça entraîne un certain cynisme chez les citoyens», a dénoncé Mme Reeves.

«Ce n'est pas normal en ce moment ce qui se passe au Québec, au Canada. Ce n'est pas du tout normal que ce soit les citoyens qui doivent faire tous ces travaux de recherche et de vérification pour essayer de comprendre des projets, que ce soit Northvolt, Stablex ou le port de Contrecœur (…), ce sont des dérives qui ne sont pas acceptables», a-t-elle ajouté.

L’APM souhaite utiliser le site de Contrecœur pour augmenter sa capacité de manutention de conteneurs. On estime que jusqu’à 1,5 million de conteneurs par année pourraient transiter par ce futur terminal et le site pourrait recevoir jusqu'à 1200 camions par jour.

Deux postes à quai, une aire de manutention de conteneurs, une cour ferroviaire intermodale, un portail d’accueil pour les camions et des installations de soutien doivent notamment être construits.

Ces travaux d'expansion impliquent aussi de draguer le fond du fleuve Saint-Laurent dans l'aire de distribution du chevalier cuivré, une espèce menacée.

En mars 2021, le ministre de l'Environnement a rendu une décision favorable au projet d’agrandissement du port, assortie de 387 conditions de réalisation.

Le projet fait également partie de la liste des projets d’infrastructure que le premier ministre Mark Carney souhaite voir approuvés et réalisés de façon accélérée.

Stéphane Blais, La Presse Canadienne

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