Donald Trump a consacré l'année 2025 à tenter d'accaparer le plus de pouvoir possible

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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Près d’un an après son arrivée au pouvoir, l’ouragan politique nommé Donald Trump continue de secouer tant les États-Unis que le reste de la planète, une année clôturée par un discours à la nation à l’image de cette présidence hors norme.
«C'est une télé-réalité. C'est la stratégie "flooding the zone". On se lève le matin et on comprend en regardant une publication Truth Social de Trump que le sujet de la journée ce sera ça, puis en mi-journée ce sera autre chose, puis le lendemain c'est autre chose. C'est étourdissant», note Frédérick Gagnon, titulaire de la chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM. Cette stratégie de «flooding the zone» consiste à désorienter l’opposition et détourner l’attention du public en fournissant sans arrêt un volume démesuré de nouvelles aux médias.
Le fondateur de la chaire, Charles-Philippe David, abonde dans le même sens: «Tout est imprévisible, tout est sujet à volatilité extrême. Ça change tout le temps. C'est monsieur imprévisibilité.»
Un appétit pour le pouvoir
Pierre Martin, politicologue à l’Université de Montréal, souligne que cette stratégie lui a permis à tout le moins de réaliser des objectifs qui n’avaient rien à voir avec le bien-être des États-Unis ou des Américains: «Ses principaux objectifs, c'était de ne pas aller en prison, de se venger contre ses adversaires et de faire de l'argent.»
Malgré tout, en matière de gouvernance, l’ensemble des observateurs interrogés par La Presse Canadienne s’entendent pour dire que Donald Trump s’est quand même concentré sur un objectif politique prioritaire: accaparer le plus de pouvoir possible.
«Une expression qui décrirait cette première année serait: le test des limites du pouvoir présidentiel, résume le chercheur et expert en politique américaine Rafael Jacob. Il a réussi à faire passer un projet de loi mammouth au congrès, mais pour les décisions majeures, ce sont à peu près tous des décrets». Donald Trump avait d’ailleurs franchi la barre des 220 décrets à la mi-décembre.
Faire taire l'opposition
Frédérick Gagnon ajoute que «sa volonté de réduire autant que possible la résistance au pouvoir présidentiel s’est manifestée partout dans le système et partout dans la société», dit-il, faisant référence aux congédiements massifs dans la bureaucratie, particulièrement parmi les hauts fonctionnaires en désaccord avec lui. Ses attaques et poursuites incessantes contre les médias et les universités s’inscrivent également dans une volonté de restreindre tout discours critique à son endroit et toute pensée politique ou scientifique qui diverge des positions ultra-conservatrices de sa base électorale MAGA (Make America Great Again) et républicaine.
David Grondin, politicologue au département de communication de l’Université de Montréal, va jusqu’à qualifier la gouvernance Trump d’«autoritarisme fascisant». L’intention, dit-il, est de «réinterpréter le pouvoir présidentiel – donc l'article II de la Constitution – pour vraiment mettre le président comme chef de l'exécutif au-dessus des pouvoirs qu'on a d'abord associés au Congrès et cette volonté est très affirmée. On n'a jamais pensé que des présidents allaient risquer autant et que le Congrès allait obtempérer et céder son pouvoir».
Pour arriver à ses fins, Frédérick Gagnon note que, contrairement à son premier mandat, il n’a pas laissé le parti choisir les détenteurs de postes-clés: «Cette fois, il s'est entouré de gens dont la principale caractéristique est de lui être très, très loyaux. Ce n'est pas la compétence, l'expérience ou le CV qui comptait. Trump a voulu s'entourer de "yes-men" et de "yes-women".»
Perte de civilité
Pierre Martin abonde dans le même sens. «On anticipait mal l'ampleur du virage qu'il allait imprimer aux États-Unis à peu près à tous les plans, d'abord le fait de complètement mettre de côté toute forme de civilité dans le jeu politique. Pendant son premier mandat, il y avait encore quand même autour de lui suffisamment de contrôle pour le censurer dans une certaine mesure, mais il semble que tout ça soit disparu.»
M. Martin n’est cependant pas prêt à aller aussi loin que certains collègues: «Il faut faire attention à des mots comme fascisme, nazisme, etc. Effectivement, ce qu'on a devant nous, c'est un régime, une nouvelle façon de concevoir la politique qui montre des tendances autoritaires. Le refus d’accepter toute forme d'opposition et de critique, aussi son traitement élémentaire de la vérité, sa façon de mentir de façon assez ouverte, il y a beaucoup de caractéristiques d'un régime qui tourne vers l'autoritarisme, qui même à plusieurs égards y est déjà rendu.»
Frédérick Gagnon, lui, se réfère à une expression utilisée par d’autres chercheurs selon qui «la démocratie américaine est maintenant une démocratie illibérale où les droits et libertés des individus ne sont pas pleinement respectés, où les contrepoids ne sont pas puissants et certains vont plus loin en disant que les États-Unis sont déjà un système semi-autoritaire».
Les tribunaux et la grogne comme contrepoids
Le régime politique américain est cependant composé de contrepoids et de contre-pouvoirs qui tardent à se manifester, du moins du côté politique, estime Rafael Jacob. «Le Congrès a un devoir constitutionnel de contrepoids. On peut arguer de façon très convaincante qu'il ne l'a pas fait dans la dernière année. Le Congrès le laisse essentiellement faire à peu près ce qu' il veut.»
Mais M. Jacob estime qu’il est beaucoup trop tôt pour conclure qu’un autre contre-pouvoir, celui des tribunaux, a abdiqué devant le président. Plusieurs tribunaux ont statué contre lui sur les questions du droit de sol, des droits de douane, de l’envoi de troupes dans certains États ou encore le congédiement de hauts fonctionnaires.
Donald Trump donne l’impression de ne respecter aucun de ces jugements, mais il fait surtout du bruit et va en appel, note Rafael Jacob. Il rappelle que la Cour suprême ne s’est pas encore prononcée sur les dossiers les plus importants. «Il y a un énorme gouffre entre la rhétorique et les faits et gestes. On n’a pas suffisamment de matière pour dire qu’il fait ce qu’il veut et outrepasse les décisions des tribunaux parce que les tribunaux, souvent, ont invalidé ce que Trump a essayé de faire et le plus haut tribunal du pays a annoncé qu'il allait statuer sur une question ou une autre, mais ne l'a pas encore fait.» Ce n’est que lorsque la Cour suprême aura rendu des décisions dans les dossiers les plus controversés que l’on verra la force réelle du contre-pouvoir judiciaire.
La lenteur de la justice
Cependant, note Frédérick Gagnon, «les cours sont un contrepoids important, mais dont on ne ressent les effets qu’à moyen et long terme. Plus on va avancer dans le temps, plus on va voir des juges, des cours remettre en question les pouvoirs du président, invalider certaines de ses décisions. La Cour suprême va peut-être en invalider aussi. Et le gros point d'interrogation, c'est de voir si Trump va respecter ces décisions-là.» Il attend d’ailleurs avec impatience la décision du plus haut tribunal sur la légalité des droits de douane, car s’il devait trancher contre le président, «ce serait un précédent, un geste symbolique important parce que ça pourrait donner envie à d'autres acteurs de la société américaine d'intenter des poursuites contre Trump sur les tarifs».
Cette question du temps préoccupe grandement Pierre Martin: «Malheureusement les tribunaux fonctionnent sur une autre vitesse que le jeu politique et il y a énormément de choses qui peuvent bouger, changer, évoluer dans un cycle politique qui est souvent une question d'heures, une question de jours alors que les tribunaux prennent du temps.» Il note par exemple que même si l’abolition – clairement illégale selon lui – de l’Agence du développement international devait être renversée par la Cour suprême, l’aide a déjà été coupée. «Certains estiment que ces coupures vont littéralement provoquer des centaines de milliers de morts. Pour ces dizaines ou centaines de milliers de personnes qui sont mortes à la suite de ces décisions, il sera un peu tard. Oui, la justice est un contre-pouvoir, mais c'est un contre-pouvoir qui est trop lent.»
L’autre contre-pouvoir qui commence lentement à se manifester est celui du peuple. «Il y a quand même une insatisfaction sans précédent. Il est plus impopulaire que n'importe quel autre président. Le seul autre président aussi impopulaire, juste un petit peu moins, c’était Trump dans sa première administration», souligne David Grondin.
Le prix politique du coût de la vie
Au sommet de cette insatisfaction se trouve une des questions qui a mené Trump au pouvoir, note Frédérick Gagnon: «On parle de plus en plus du coût de la vie, du fait que Trump n'est pas capable de tenir promesse là-dessus. Tout coûte cher aux États-Unis, l'assurance santé, l'essence, la nourriture. Le mot «affordability» (le fait d’être abordable) est en train de devenir le buzzword de la politique américaine et il y a de plus en plus de gens qui commencent à faire un lien entre les tarifs de Trump et leur effet inflationniste. En politique intérieure, le vendeur de poudre de perlimpinpin, si je peux l'appeler ainsi, est démasqué sur bien des questions.»
«Il se fie sur son talent de vendeur pour reconstruire la réalité, pour faire croire à ses partisans que tout va très bien, renchérit Pierre Martin. Il leur dit que les prix sont en train de baisser, que l'emploi est en train d'exploser, que l'industrie retourne aux États-Unis. Il leur dit toutes ces choses-là sans pouvoir les prouver. Et à l'épicerie, les gens se rendent compte que ce n'est pas vrai.»
Au final, dit-il, «il y a beaucoup de raisons de croire que ce régime de Donald Trump pose une menace au maintien, à la survie d'une démocratie efficace aux États-Unis. Le temps peut encore faire son œuvre, il y a encore moyen de renverser un certain nombre de tendances. Il y a beaucoup de signes qui vont dans la direction de menaces très claires à la démocratie américaine, mais la démocratie américaine n'a pas encore dit son dernier mot», croit-il.
Fin de la Pax Americana
Sur la scène internationale, la présidence Trump 2.0 s’avère catastrophique, affirme sans détour Charles-Philippe David. Le chercheur est sur le point de publier un nouvel ouvrage dont il nous a confié le titre en primeur: «Le monde en péril? La fin de la Pax Americana».
La publication d’un document de stratégie de sécurité nationale, en novembre, «rend les choses un peu plus claires, malgré toutes les contradictions, les inepties, les idioties de ce document-là», dit-il. «On assiste vraiment à la fin de la Pax Americana. Ce modèle de relations internationales a été façonné par les Américains après 1945. Et Trump prend ces 80 ans d'histoire et de construction du système international et le met à la poubelle.»
Son admiration pour les hommes forts, «une belle tendance masculiniste chez lui» explique pourquoi «il est prêt à faire des concessions invraisemblables à (Vladimir) Poutine (le président russe), et que, chaque fois que (le président chinois) Xi Jinping lui fait peur sur la question des tarifs, il préfère finalement négocier plutôt que de l'affronter, ce qui n’est pas son comportement dans le cas des Européens et des Canadiens. Il pense que ses alliés sont presque des ennemis.»
«Le tsar des affaires étrangères»
«Donald Trump se considère le tsar des affaires étrangères. Il n'écoute l’avis de personne. C'est lui qui définit la politique étrangère américaine», affirme l’expert.
Il déplore que le document de stratégie nationale n’ait pas fait couler plus d’encre alors qu’il a «un impact énorme sur nous, comme Canadiens, Québécois. Cette volonté d'affirmer la primauté américaine sur tout le continent, je pense qu'on dormirait vraiment au gaz si on ne croyait pas qu'un jour on ne sera pas visé par les folies de Donald Trump.»
Ukraine et Gaza: l'empereur est nu
La prétention de Donald Trump de mettre fin aux conflits en Ukraine et en Israël en 24 heures montre par ailleurs que l’empereur est nu, souligne Rafael Jacob: «En matière de politique étrangère, il y a eu énormément de spectacle, mais très, très peu de changement réel.» Dans ces deux dossiers, on a clamé «des changements incroyables, un sommet à droite puis à gauche, une rencontre à droite et à gauche. Des propositions, des plans de paix. La réalité, c'est qu'il n'y a presque rien qui a changé de façon appréciable.»
Ce qui a changé, répète Charles-Philippe David, c’est qu’«il n'y a plus concordance de valeurs entre cette administration et ses alliés. On veut se servir et on ne veut plus du tout servir, même du bout des lèvres, l'ordre mondial. Et l'ordre mondial, c'est la démocratie, entre autres. Or, quand t'es rendu que tu dénonces les démocraties qui te sont alliées et que tu préfères plutôt faire affaire avec les autocraties, ben c'est la fin. C'est la fin d'un système international que notre génération a connu.»
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne