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Des générations de leaders autochtones se préparent à une nouvelle bataille

durée 19h32
1 décembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

OTTAWA — Pour certains chefs des Premières Nations, la perspective d'un conflit avec les gouvernements provincial et fédéral au sujet du projet d'un nouvel oléoduc vers la côte de la Colombie-Britannique ravive de douloureux souvenirs.

Pour de nombreux jeunes des Premières Nations, c'est un tout nouvel appel à l'action.

«Mes ancêtres — tous les ancêtres de chaque membre des Premières Nations ici, dans ce qu'on appelle aujourd'hui la Colombie-Britannique — ont des histoires à raconter sur notre peuple qui a dû se battre en première ligne, par tous les temps», a déclaré Katisha Paul, représentante des jeunes de l'Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique et coprésidente du Caucus mondial des jeunes autochtones des Nations unies.

«Il est de notre responsabilité de poursuivre ce combat», a-t-elle ajouté.

Le grand chef Stewart Phillip, de l'Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, a participé à bon nombre de ces actes de résistance. Pendant des années, il a été l'un des visages publics des manifestations autochtones contre le projet avorté d'oléoduc Northern Gateway et d'autres projets d'extraction de ressources qui, selon lui, menaçaient le mode de vie de sa communauté.

L'opposition se réveille après la signature, la semaine dernière, d'un protocole d'entente entre le premier ministre Mark Carney et la première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, ouvrant la voie à la construction d'un oléoduc jusqu'à la côte de la Colombie-Britannique.

M. Phillip, qui représente plus de 100 chefs de la province, a déclaré que les conflits liés aux oléoducs sont devenus «ritualisés» en Colombie-Britannique — un rituel qu'il connaît bien.

Selon lui, le débat actuel sur l'oléoduc n'en est qu'à sa première phase, celle où les politiciens tentent d'influencer l'opinion publique. Le gouvernement de M. Carney a commis une erreur dès le départ en excluant les Premières Nations du processus décisionnel, a-t-il affirmé.

«Les Premières Nations de la Colombie-Britannique sont profondément indignées qu'aucun effort n'ait été fait pour consulter les Premières Nations qui seront touchées par un projet d'oléoduc jusqu'aux eaux côtières», a expliqué M. Phillip à La Presse Canadienne.

«Nous ne resterons pas les bras croisés pendant que les gouvernements complotent en secret et échafaudent des projets absurdes pour construire un nouvel oléoduc de combustibles fossiles jusqu'aux eaux côtières», a-t-il ajouté, qualifiant l'accord entre Ottawa et l'Alberta de «violation flagrante de nos droits constitutionnels et légaux».

Cet accord engage les deux gouvernements à œuvrer à la construction d'un oléoduc jusqu'à la côte ouest et ouvre la voie à des modifications de l'interdiction de la navigation des pétroliers le long des côtes.

L'accord stipule que l'engagement d'Ottawa est conditionné à l'approbation de l'oléoduc comme projet d'intérêt national et à la mise en place de «possibilités de copropriété et de partage des retombées économiques pour les Autochtones».

Malgré cette vague promesse de copropriété autochtone, aucun dirigeant des Premières Nations n'a été consulté quant au contenu du protocole d'entente, pas même ceux qui y sont favorables.

Des Premières Nations déçues

La Confédération des Premières Nations du Traité n° 6, dont les membres couvrent de vastes territoires des trois provinces des Prairies, a déclaré vendredi dans un communiqué de presse être «déçue» de l'exclusion des Premières Nations des négociations concernant l'oléoduc et a insisté sur le fait qu'elles doivent être représentées lors des prises de décisions qui affectent leurs peuples.

«Les Nations du Traité n° 6 sont les seules détentrices de droits sur ce territoire — l'Alberta n'existerait pas sans traité. Il est inacceptable que nous devions le demander. Rien ne peut se faire pour nous sans nous», a écrit le groupe dans son communiqué.

«Malgré cela, nous nous réjouissons de l'occasion qui se présentera à nous d'être inclus comme copropriétaires dans les projets de développement national à venir», a ajouté le groupe, précisant que le protocole d'entente offre «une occasion aux Premières Nations de participer à des initiatives économiques qui assureront une équité durable à nos communautés».

Merle Alexander, avocat autochtone spécialisé dans les ressources naturelles et établi à Victoria, a mentionné que le droit des Premières Nations d'être consultées sur les actions gouvernementales susceptibles d'affecter les droits issus des traités — la fameuse «obligation de consulter» confirmée par la Cour suprême — n'a pas été invoqué par l'accord conclu entre l'Alberta et le gouvernement fédéral.

Il a toutefois affirmé que le projet d'oléoduc actuel ne tardera pas à déclencher cette obligation de consulter, surtout si le dossier est renvoyé au nouveau bureau des grands projets d'Ottawa.

Selon M. Alexander, les droits d'une Première Nation ne peuvent prévaloir sur ceux d'une autre en vertu de la loi, et l'obligation de consulter ne disparaît pas du seul fait qu'un projet bénéficie du soutien d'une ou plusieurs communautés autochtones.

«Tout dépendra de la capacité du gouvernement fédéral à remplir son obligation de consulter de manière rigoureuse», a-t-il dit.

M. Alexander a ajouté qu'après que des Premières Nations ont contesté devant les tribunaux le processus de consultation de Trans Mountain, le gouvernement fédéral a mis en place un nouveau processus moins susceptible de faire l'objet de contestations judiciaires. Il a estimé que cela pourrait compliquer la tâche des Premières Nations opposées au nouvel oléoduc pour alléguer que les gouvernements et l'industrie n'ont pas respecté leur obligation de consulter.

«Les Premières Nations doivent faire preuve d'innovation et envisager différentes stratégies juridiques», a expliqué M. Alexander, évoquant la question non résolue du titre autochtone, terme juridique employé par le gouvernement, le long du tracé de l'oléoduc.

Bien que l'on ignore encore quel tracé empruntera l'oléoduc — le projet n'ayant même pas encore de bailleur de fonds du secteur privé —, la reconnaissance d'un titre autochtone le long de ce tracé permettrait d'élever le niveau de consultation, passant d'une simple consultation minimale à un consentement plus explicite, a-t-il expliqué.

«On entend souvent dire que les Premières Nations n'ont pas de droit de veto, mais cela suppose qu'elles ne possèdent pas de titre autochtone», a ajouté M. Alexander.

Plusieurs Premières Nations ont fait reconnaître leurs droits fonciers sur des terres en Colombie-Britannique au cours des dernières décennies — notamment les Haïdas, qui ont signé un accord avec Ottawa et la province plus tôt cette année, confirmant leurs droits sur Haida Gwaii, un territoire de près d'un million d'hectares situé sur la côte de la Colombie-Britannique.

Dans une entrevue accordée à La Presse Canadienne, la cheffe nationale de l'Assemblée des Premières Nations, Cindy Woodhouse Nepinak, a reconnu que le Canada traverse une période d'incertitude économique, mais a affirmé que les efforts déployés pour y remédier ont leurs limites.

«Le Canada peut créer tous les protocoles d'entente, bureaux de projets et groupes consultatifs qu'il souhaite, mais les chefs seront unis — et le sont déjà — lorsqu'il s'agit d'approuver des projets sur les terres des Premières Nations. On ne pourra pas contourner les détenteurs de droits», a-t-elle dit.

Pour Mme Paul, le fait que les communautés autochtones soient forcées de participer à un nouveau débat sur les oléoducs est aggravé par le manque de consultations menées jusqu'à présent par le gouvernement Carney.

«Plus nous rencontrons de résistance en tant que peuple de la terre, de l'eau et de l'air, plus nous devenons forts. Parce que nous gardons notre colonne vertébrale solide, a ajouté Mme Paul. Nos professeurs sont les cèdres, et la force que nous portons vient des océans et de la puissance de ces rivières.»

«Sur la scène internationale, le Canada est toujours considéré comme ce voisin poli. Mais nous veillerons à ce que le gouvernement fédéral soit tenu responsable de ses actions à l'échelle internationale.»

Alessia Passafiume, La Presse Canadienne

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